Virginia Sirolli, à la reconquête des planches
Suite à un concert donné au BFM en novembre 2023, notre rédactrice Athéna Dubois-Pèlerin avait rencontré la jeune étoile de la comédie musicale Virginia Sirolli. Dans L’Agenda papier n°107, l’artiste était revenue sur son parcours, du Conservatoire populaire de Genève aux castings de West End. Nous, on est fan, et comme elle chante ce jeudi 19 septembre au Montreux Jazz Café de Genève, on trouvait que c’était une bonne occasion de reposter ici son portrait, pour celles et ceux qui ne l’avaient pas encore lu!
Texte et propos recueillis par Athéna Dubois-Pèlerin
C’était un vendredi soir de novembre 2023, le Bâtiments des Forces Motrices à Genève affichait complet. Des familles entières se pressaient dans la salle pour assister au concert Young Broadway donné par le collectif LYMPA, qui réunissait sur scène six chanteur·euse·s solistes de comédie musicale et l’orchestre du Collège de Genève sous la baguette du chef Philippe Béran. Stupeur au moment du très attendu Gethsemane, morceau-phare de l’opéra-rock Jesus Christ Superstar: « Jésus » s’avance, c’est une très jeune femme en combinaison argentée, le regard de biche étiré à l’eyeliner, la tête ceinte d’un impressionnant chignon frisé, à défaut d’une couronne d’épines. Chatoyante, la voix de soprane s’approprie la mélodie avec une aisance insolente, refuse tout compromis avec la partition écrite pour voix d’homme, soigne les graves veloutés, éclate dans les aigus lancinants du Christ se préparant à la crucifixion.
Rideau. Dans le foyer du BFM, le public se gratte la tête, encore sonné. On cherche en vain le nom de la chanteuse, qui ne figure nulle part dans le programme du concert.
Un mois plus tard, nous la retrouvions dans un café du centre-ville à Genève, vêtue cette fois d’un simple pullover, cheveux lâchés et sourire décontracté aux lèvres. Virginia Sirolli, artiste italo-suisse de 24 ans, était de passage dans sa ville d’enfance – en coup de vent, comme toujours. Les Abbruzzes dans le sang, Genève dans le coeur et tout Broadway dans la voix, la jeune femme passait alors le plus clair de son temps à Londres, où la prestigieuse Mountview Academy venait de lui décerner son diplôme de comédie musicale.
Au pied levé
Tout en sirotant un thé à la menthe, elle raconte les coulisses de la fameuse soirée au BFM, où elle a été appelée à remplacer au pied levé l’un des ténors de la production, terrassé par une extinction de voix. « Jeudi à 23h, Ylan [Assefy-Waterdrinker, directeur artistique de LYMPA, ndlr] me demande si je peux reprendre le rôle. Je ne connaissais aucun des morceaux. J’ai dit oui, immédiatement, pour ne pas me laisser le temps de tergiverser. »
Comment accomplit-on un tel tour de force? « Oh, c’était très ambitieux! reconnaît Virginia, l’oeil brillant. Mais c’est ça, la scène: l’appel du vide, et le saut à exécuter. C’est normal d’avoir le vertige. Mais dans ce métier, j’ai appris à ne pas redouter l’inconfort: c’est une étape transitoire, qui a pour but de nous faire mûrir. »
Du ballet à la comédie musicale
Des mots qui surprennent dans une bouche aussi jeune, mais Virginia Sirolli n’est pas à un contraste près. C’est avec une gaieté philosophe qu’elle revient sur les surprises et les déceptions qui jalonnent la vie d’artiste du spectacle. La sienne commence comme tant d’autres, enfant de la balle née de deux parents chanteurs d’opéra, minois mutin et esprit généreux qui se destine très tôt à la scène. Aux vocalises, elle préfère toutefois les pointes: la danse classique est son premier, et restera longtemps, son seul amour. À 11 ans, sitôt finie l’école primaire, elle intègre la filière pré-professionnelle du Conservatoire populaire de Genève, et s’entraîne à raison de 20 heures par semaine.
Quatre ans plus tard, c’est le drame: ses genoux lâchent, son corps épuisé par les entraînements lui fait comprendre que la carrière de ballerine n’est pas pour elle. À l’amertume de la désillusion s’ajoute un profond sentiment d’aliénation qui entraînera la jeune fille jusque dans les gouffres de l’anorexie. « Ça a été si dur, en pleine adolescence, de devoir faire ce travail de deuil et de renaissance. De réapprendre à aimer ce corps qui m’empêchait de faire ce que j’aimais le plus au monde. »
En 2017, un séjour à Londres lui fait découvrir les spectacles de West End et lui fournit l’occasion d’un premier cours de chant, pour lequel elle se révèle douée. La comédie musicale lui apparaît alors comme une planche de survie, un moyen de se donner à la scène sans épuiser son corps. « J’ai déplacé sur le chant tout le bagage que j’avais durement acquis pendant mes années de danse. Toute la rigueur, la discipline, le sens de la beauté, l’amour de l’excellence. J’ai compris que ce que j’aimais dans la danse, ce n’était pas tant le mouvement du corps, mais l’expression qu’il permet. Et cette expression, cette narration, je pouvais aussi la capturer par le chant et par le théâtre. »
Photo ©Marco Pugliese
Le rôle de l’échec
Sa première tentative d’intégrer une école de comédie musicale échoue, mais à la seconde, elle est reçue à Mountview. S’ensuivent trois années de formation pratique en chant, danse et théâtre, qui lui donneront notamment son plus beau rôle à ce jour sur scène, celui de Morticia dans La Famille Addams d’Andrew Lippa. Pour autant, tout n’est pas gagné à l’obtention du diplôme. « On ne parle pas assez du rapport à l’échec dans ce milieu, alors que c’est une composante essentielle de tous les parcours, sans exception. Être artiste du spectacle, c’est courir les castings, et donc fatalement enchaîner les refus. Derrière chaque réponse positive se cachent 30, 50, peut-être même 100 échecs. »
Un refus particulièrement douloureux? « Le rôle de Christine, dans une production du Fantôme de l’Opéra. Mais je ne désespère pas de le chanter un jour. » La comédie musicale culte d’Andrew Lloyd Webber serait donc son Saint-Graal personnel? « Non, le rôle de mes rêves, c’est Cunégonde, dans l’opérette Candide de Bernstein. Mais voilà qui ouvre la porte à d’autres problèmes. »
Elle sourit en secouant ses boucles, pointe du doigt un énième contraste qui sous-tend sa personnalité d’artiste: une voix de jeune première, dans un corps androgyne qui ne correspond pas entièrement aux critères de beauté qui sévissent dans l’industrie du spectacle. Ainsi, les rôles pour lesquels on l’envisage à Londres se réduisent encore trop souvent à des personnages secondaires cocasses, des folles ou des sorcières. « Des personnages féminins excentriques ou abrasifs. Rarement des protagonistes ingénues. Mais les temps changent, les mentalités s’élargissent petit à petit. »
Et en Suisse? « Ici, tout est encore à inventer! La comédie musicale est un art mineur dans ce pays, alors même qu’il y a un public fervent et une vraie soif pour ce genre de spectacles…»
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À l’heure où Athéna l’interviewait, elle ne le savait pas encore : elle a obtenu le rôle de meneuse de revue dans la Revue Genevoise 2024!
On peut donc aller l’écouter prochainement:
- Ce jeudi 19 septembre 2024 au Montreux Jazz Café,Genève Aéroport, accompagnée du pianiste Evariste Perez pour des airs de jazz et de comédie musicale
- Du 10 octobre au 31 décembre 2024 dans La Revue Genevoise
virginia-sirolli.com
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