«Condamnées pour légitime violence» ou «Ceci n’est pas un opéra»
Transgresser les conventions et briser les barrières de l’art lyrique avec une expérience immersive inédite. C’est ce que propose la Biennale In Situ, du 21 au 27 septembre à Lausanne. La série d’événements réinventera la scène, le théâtre et l’opéra dans le but de démocratiser l’accès à l’art lyrique. Dans un espace original, une ancienne gare CFF, la Biennale explorera la thématique « Condamnées pour légitime violence » qui abordera les violences faites aux femmes.
Texte et propos recueillis par Marie Butty
La conférence de la sociologue Natacha Chetcuti-Osorovitz ouvrira cette semaine qui se profile riche en nouvelles expériences. Performances, concerts ou encore films documentaires seront proposés tous les soirs avec, notamment, spécialement créée pour l’occasion, la production Les Suppliantes d’après Eschyle et A. Salieri de la compagnie AGORA qui aura lieu le 21, 24, 26 et 27 septembre. Créée en 2015 sous l’impulsion de l’artiste Benjamin David, AGORA propose d’explorer les frontières entre théâtre, musique et nouveaux médias. Également directeur artistique du projet, Benjamin David nous a accueillies à l’Espace Amaretto afin de nous présenter la Biennale.
Benjamin David. Crédit: Marie Tercafs
Quelle a été la réflexion derrière la proposition de ces événements?
Je viens de l’opéra classique. J’étais assistant à l’opéra Munich et, après quelques années là-bas, j’avais l’impression que l’opéra avait besoin d’un renouvellement, de redéfinir ses contours. Lorsque l’on pense à l’opéra, on voit un domaine très difficilement accessible tant par les thématiques – qui sont souvent déconnectées des préoccupations sociétales actuelles ou, du moins, nécessitent un savoir spécifique pour comprendre ce qu’il se passe – que par les prix pratiqués. La Biennale cherche à élargir ce que le mot « opéra » signifie – d’ailleurs nous utilisons très peu le mot « opéra », nous essayons plutôt de parler de « théâtre lyrique ». Nous nous basons sur la musique de Salieri, nous gardons les éléments musicaux et visuels propres à l’opéra, mais nous sommes dans un espace atypique – une ancienne gare marchande CFF – qui n’a rien à voir avec un opéra. Le public n’est plus assis dans un siège mais amené à déambuler au sein de l’orchestre, au sein des chœurs, être proche des artistes. Il est invité à vivre l’opéra comme il le souhaite: si une personne veut s’allonger, fermer les yeux et uniquement écouter la musique c’est possible! Il n’y a donc pas de scène mais une volonté de projet véritablement immersif, in situ. Nous avons également fait des choix artistiques drastiques comme couper dans la musique, l’enrichir avec la collaboration de la harpiste jazz Julie Campiche. Il y aura ainsi une discussion entre différents styles musicaux.
Comment en êtes-vous venu à aborder cette thématique?
Je suis toujours à la recherche de nouvelles œuvres en tant que metteur en scène d’opéra. Je suis tombé sur une pièce qui s’appelle Les Danaïdes de Salieri. Cet opéra m’a beaucoup travaillé puisque c’est un des seuls dans lequel les femmes prennent leurs destins en main en passant à l’acte – elles décident de tuer leurs maris le soir de leurs noces. Il existe quelques autres opéras comme Elektra de Richard Strauss où les femmes sont représentées un peu différemment, mais, la plupart du temps, elles subissent. Avec ce point de départ, j’ai commencé à faire des recherches et suis tombé sur le livre de Natacha Chetcuti-Osorovitz. Cette sociologue, qui est d’ailleurs invitée pendant la Biennale, s’est intéressée aux femmes en prison qui avaient écopé de moyennes et longues peines. Elle les a interviewées et s’est rendu compte que 35 des 42 femmes avaient subi des violences domestiques ou intrafamiliales avant d’elles-mêmes passer à l’acte, ce qui pose la question de la légitime défense. Le travail qu’a effectué Natacha Chetcuti-Osorovitz avait pour but d’essayer de cadrer ou d’ouvrir un espace d’expression pour ces femmes judiciarisées. C’est précisément ce que nous essayons de faire avec la Biennale et cette thématique: ouvrir un espace d’expression pour un sujet sensible et qui, à notre avis, devrait être débattu au sein de notre société.
La pomme croquée de Blanche-Neige, et une installation de Gent Shkullaku à Tirana, deux images symboliques, proches des thématiques abordées par la biennale.
Sous quelles formes allez-vous traiter ce sujet lors de Biennale?
Bien que nous nous soyons documentés un maximum pour interroger ce thème sensible afin de mettre en place notre production, la fiction ne remplacera jamais un témoignage de personne ayant vraiment vécu ces violences. C’est pour cette raison que nous avons enrichi notre programme avec des films documentaires et le projet participatif AppARTenir qui réunit des femmes judiciarisées. Trois d’entre elles viendront nous parler de leur film en préparation, qui sera d’ailleurs tourné à l’Espace Amaretto. Ces femmes viennent de la région, elles illustrent donc le fait que la Suisse n’échappe pas à cette réalité. Cela nous met face à la responsabilité que nous avons en tant que citoyen romand de s’informer sur les réalités qui existent autour de nous. Nous nous évertuons encore trop souvent à ne pas trop nous occuper de ce qui se passe de l’autre côté de son palier, c’est pour cette raison que, pour notre compagnie, cet ancrage dans la réalité était vraiment important.
Comment êtes-vous parvenu∙e∙s à illustrer les questionnements autour de cette thématique dans la scénographie du théâtre lyrique?
Nous allons jouer sur la lumière, la présence et la non-présence. Nous nous sommes beaucoup inspirés de la tache aveugle dans l’œil. Il s’agit de quelque chose que l’on voit, mais que notre cerveau remplit afin de la rendre invisible. Nous trouvions intéressant de travailler avec passablement de rideaux puisque nous voyons à travers, mais cela reste flou. Le public aura la possibilité de se déplacer où il le souhaite et donc de regarder ce qu’il se passe derrière le rideau. Ainsi, la question « Est-ce que nous avons vraiment envie de regarder derrière le rideau et, si oui, est-ce que nous allons réellement aller regarder ? » est mise en perspective.
Cette Biennale implique donc un but de réveiller les consciences?
Oui, absolument! Pour nous, il est très important lorsque l’on parle d’art lyrique que cela ait un impact sociétal. Nous croyons à l’opéra, à la musique et au théâtre mais il est primordial de les reconnecter avec le public et donc à l’actualité et aux problèmes sociétaux. Dans la même perspective de reconnexion, nous avons tenté de rendre le théâtre lyrique accessible à tout le monde tant sur les prix que sur la longueur – il ne s’agit pas de rester assis pendant trois heures. Nous espérons que les spectateur·ice·s pourront repartir en ayant vécu des émotions et avoir des réflexions sur le comment vivre en communauté.
Informations pratiques:
Biennale In Situ
Du 21 au 27 septembre 2024
Espace Amaretto, Lausanne
www.biennaleinsitu.ch
Ouverture de la billetterie le 23.08.24
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