Article paru dans L’Agenda papier

Lutherie sauvage

Par les Villages

Fondés en 1983 à Genève, les Ateliers d’ethnomusicologie (ADEM) n’ont eu de cesse depuis lors de poursuivre leurs missions de rencontre et de partage. L’année dernière, l’équipe a accueilli un nouveau responsable de la pédagogie, Julio D’Santiago, qui a repris le flambeau de sa prédécesseur et le portera à travers les villages.

Texte de Katia Meylan
Propos recueillis auprès de Julio D’Santiago,
responsable pédagogie aux ADEM

Julio Dsantiago

Julio D’Santiago

Qui est Julio D’Santiago? Portrait du musicien qui nous raconte…
…avoir débuté la musique dans un orchestre de la jeunesse du Venezuela et s’être pris de passion pour les percussions. Jeune adulte, il commence des études mais l’appel du terrain est le plus fort. À son arrivée en Suisse en 1999, il rencontre l’ancien directeur des ADEM, Laurent Aubert, qui lui propose d’y enseigner les percussions latines. En tant qu’artiste, il donne des concerts, fonde le groupe Venezuelan Roots et parallèlement, un projet intitulé No Borders, pour lequel il rassemble ponctuellement des collègues et enregistre des concerts spontanés. Lorsqu’il retourne au Venezuela après 18 ans d’absence, en 2017, il revoit d’anciens élèves, devenus chercheurs ou professeurs; inspiré, Julio décide de s’ouvrir de nouvelles portes. À cette même époque, il rencontre Fabrice Contri, fraîchement nommé directeur des ADEM. Mis au courant de ses aspirations académiques, ce dernier lui suggère de suivre son chemin et d’entreprendre des études de musicologie à la Sorbonne…

Son Bachelor en poche, Julio D’Santiago est engagé dans la foulée. En plus du Master qu’il poursuit actuellement, il remplace depuis 2017 Astrid Stierlin, précédente responsable de la pédagogie et des stages pour enfants et adultes.

Des Villages qui rassemblent
Parmi les valeurs que promeuvent ces stages, Julio D’Santiago a souhaité souligner celle du rassemblement, en introduisant l’appellation de Villages. Villages qui sortiront des locaux citadins pour s’établir aux Jardins de Mamajah à Bernex, et inviteront à l’apprentissage, à l’échange et à la fête.

Du 4 au 8 juillet, la semaine du Village des Z’ethnos dédiée aux enfants débutera aux ADEM, puis dès le vendredi 8 juillet, tout le monde se retrouvera aux Jardins de Mamajah pour le spectacle des enfants et le début des stages du Village des Cultures, qui dureront tout le week-end.

Danse Gitane

Danse gitane Kalbeliya avec Maria Robin

Y apprendre
Parmi les professeurs, on retrouvera des fidèles des ADEM et de nouvelles têtes. Vers quoi se tourner? Instruments latino- américains, danses mystiques d’Égypte, chants du sud de l’Inde ou chants du monde arabe, danses d’Haïti, percussions du Sénégal, cante jondo d’Andalousie… la liste n’est pas complète qu’elle fait déjà tourner la tête. Musiques et danses du monde résonneront entre elles dans le Village, et ainsi, en optant pour l’une d’elles, les participant∙e∙s auront tout de même l’occasion de côtoyer les autres de près.

Y vivre
Les Témoignages, moments de rencontres instaurés par Julio, rassembleront le Village autour d’un invité qui partagera son vécu, son expérience de la musique autour d’un verre ou d’un repas. Lors de cette première édition, Jean-Jacques Lemêtre, musicien de la troupe du Théâtre du Soleil, racontera comment il est devenu “luthier sauvage”. “Le concept de fabriquer des instruments à partir de n’importe quel objet ou matériel existait déjà, mais Jean-Jacques le met en pratique avec une énergie incroyable”, affirme Julio D’Santiago, qui se réjouit de le revoir à l’œuvre.

Les concerts des professeurs prolongeront
ensuite les festivités de ce petit paradis
collectif et multiculturel, le temps d’un
week-end.

Village des Z’Ethnos
Du 4 au 8 juillet 2022

Village des Cultures
Du 8 au 10 juillet 2022 – puis en février 2023

Les Jardins de Mamajah, Bernex

Tout le programme sur: adem.ch

David Janelas, photo de Flora Elie

Mémoire Cairote

L’année dernière, nous discutions sur Zoom avec le comédien David Janelas, alors en résidence artistique au Caire. Aujourd’hui, il présente les fruits de ses recherches dans nos contrées, au travers d’une exposition intitulée Le livre des rumeurs, mêlant texte, images, mouvement et son. Trois soirées aux Caves de Couvaloup invoqueront quant à elles les contes et récits égyptiens grâce à des musicien∙ne∙s, comédien∙ne∙s et d’autres invité∙e∙s surprises.

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Flashback avec l’article paru dans notre édition 91

Mai 2021:

Depuis février dernier, le comédien etierruz David Janelas est installé au Caire dans un atelier sur l’île d’El Qursayah, sur le Nil. Dans le cadre du programme de la Conférence des villes en matière culturelle (CVC), qui soutient les séjours d’artistes à l’étranger, il bénéficie d’une résidence de six mois et d’une bourse de 9’000 francs octroyée conjointement par la CVC et la Ville de Morges. Le temps a filé alors que, généreux de son expérience, il nous parlait par vidéo de la vie cairote, de ses rencontres et de ses projets

Les nuages nous cachaient une part de la lumière du jour. C’était à charge de revanche: après tout, cela fait longtemps que nous nous cachons des courants d’or du soleil.

David Janelas, Le Caire, semaine 4.

Les chroniques et la littérature

Nous avions rencontré sa plume avant d’entendre sa voix, au travers des chroniques qu’il publie sur son blog depuis son arrivée au Caire. Si la résidence à laquelle il prend part a pour but d’offrir le temps nécessaire à la création, sans pression de résultat immédiat, David Janelas a lui-même proposé à la Ville de Morges de rédiger des chroniques hebdomadaires. Celles-ci lui permettent, nous dit-il, d’avoir une discipline et de garder une trace de sa recherche. D’échanger, aussi, puisqu’il les fait volontiers lire à des amis égyptiens sur place dans le but d’obtenir des avis ou des précisions sur les sujets qu’il aborde. Ses réflexions touchent aussi bien à la culture qu’à la politique: le rapport à l’argent, la censure qui pèse sur les arts, les subventions et les visas, la surveillance militaire… et aussi, la littérature.

La littérature, qui semble tenir une place importante dans le voyage de David Janelas. On l’entrevoit non seulement par l’adresse de sa prose, mais aussi par ses citations de Rimbaud, Shakespeare, Brecht, Jules Supervielle et l’inspiration qu’il trouve chez Isabelle Eberhardt ou Charles Reznikoff. Pourtant, le comédien n’a pas eu besoin d’emmener avec lui une valise de livres, ni de puiser ses références sur internet. Presque par nécessité, la poésie s’est aménagé une place dans son imaginaire. “Dans mon parcours, j’ai fait pas mal de jobs alimentaires pénibles”, confie-t-il. “Pour passer le temps ou résister mentalement, j’ai commencé à apprendre des poèmes par coeur. Les apprendre et les réciter permet de mieux les comprendre et de pouvoir les partager”.

El Warsha et les traditions orales

La Cie Cafuné, que David a fondée avec sa soeur Virginie Janelas en 2017, trouve son l’inspiration dans les enjeux liés à la mémoire et à la transmission. Un intérêt pour les traditions orales l’anime donc déjà lorsqu’il postule pour une résidence de six mois au Caire. En faisant des recherches avant son départ, il découvre par hasard qu’une compagnie de théâtre cairote a collaboré avec une troupe de Marseille au sein de laquelle il avait fait un stage. Le nom de cette compagnie égyptienne revient souvent sur le web: El Warsha… L’une des rares compagnies indépendantes en Égypte à exister depuis trente ans, connue pour son corpus très complet et sa formation de comédien∙ne∙s dans les domaines des textes anciens, des chants traditionnels, de la danse, et des arts martiaux. Il n’en faut pas plus à David pour prendre contact. On le dirige tout de suite vers le directeur de la troupe, Hassan El Geretly, qui lui propose de se rencontrer à son arrivée en février. Les deux hommes de théâtre conviennent d’abord de se voir chaque semaine… …Quatre mois plus tard, David est presque devenu un membre de la compagnie!

À l’heure où il nous parle, le comédien revient justement d’un stage de quelques jours avec El Warsha en Moyenne-Égypte, au centre Medhat Fawzy, où l’on pratique l’art du bâton (tahtib). L’école est, à l’heure actuelle, la seule à enseigner cette pratique ancestrale. Il y a plusieurs années, Hassan El Geretly avait voulu que l’un de ses comédiens apprenne le tahtib pour les besoins d’une pièce. Or, l’art se transmet par tradition de père en fils, et il était très difficile de trouver quelqu’un qui acceptait de l’enseigner en dehors du cercle familial. Un danseur avait toutefois accepté, et une collaboration était née, donnant l’impulsion pour fonder cette école.

Samar Hussein de la compagnie El Warsha lors d'une représentation. Photo: Flora Elie

Samar Hussein de la compagnie El Warsha lors d’une représentation. Photo: Flora Elie

C’est la deuxième fois que David se rendait à Medhat Fawzy, et la troupe lui a proposé de donner un stage autour de sa pratique du théâtre. “C’est une troupe d’homme dans laquelle il y a une ambiance un peu équipe de foot”, relate David en souriant. “J’ai vu qu’ils avaient énormément d’énergie, qu’à chaque fois que je proposais un exercice, ils le faisaient de manière très agressive. J’ai pris le contrepied et leur ai proposé de travailler la connexion à leur imaginaire, d’explorer une zone sensible liée à leur histoire. Ça a demandé du travail de créer une atmosphère où ils ont osé se sentir vulnérables”.

En parallèle aux multiples apprentissages vécus aux côtés d’El Warsha, David Janelas s’est donné une mission: celle de récolter des récits. “Au début, je pensais me focaliser sur les contes traditionnels, mais assez vite, j’ai eu envie d’écouter ce que les gens avaient envie de proposer d’eux-mêmes. Les personnes âgées ont toujours des histoires à raconter, mais les jeunes ont perdu ce rapport aux contes, ou préfèrent parler de leur pays tel qu’ils le voient aujourd’hui”. Pour rassembler ces récits, David discute avec ses interlocuteur∙trice∙s plusieurs heures, en anglais, pour comprendre les enjeux et ensuite choisir ensemble ce qui sera filmé, en arabe. À ce jour, le comédien compte une quinzaine d’heure de récits, et la liste des personnes à rencontrer s’allonge! “Le défi sera de sous-titrer toutes ces vidéos”, s’amuse-t-il.

Tableau quotidien, La Caire. Photo: Flora Elie

Tableau quotidien, Le Caire. Photo: Flora Elie

Un an plus tard, le comédien a sous-titré, trié, repensé son voyage, a donné à tous ces mots, ces images et ces sons la forme d’une exposition et de trois soirées d’arts vivants.

Il les présentera personnellement au public dans les semaines à venir!

Le livre des rumeurs
Exposition: du 30 mai au 13 juin 2022
Espace 81
Vernissage: le 2 juin à 17h 
Cellier de l’Hôtel-de-Ville, Morges
morges.ch

Celui qui se tait, plus grande est sa douleur
Vendredi 10 juin à 20h
Samedi 11 juin à 20h
Dimanche 12 juin à 18h
Les Caves de Couvaloup
morges.ch

Week-End Musical de Pully: Vocation de transmission

Lorsque l’on arrive au Week-End Musical de Pully pour écouter des concerts de musique classique, on tombe tout d’abord sur une brochette de polos violets de toutes tailles, chacun affairé à sa tâche et fermement fier d’être là. Puis l’on réalise également bien vite que, si le festival réserve une belle part de sa programmation au classique, il n’hésite pas à s’aventurer hors des sentiers battus.

Texte de Katia Meylan Propos recueillis auprès de Caroline Mercier et Guillaume Hersperger, co-fondateurs du festival, Jonathan Gerstner et Léonard Wüthrich, membres du comité d’organisation, et Raphaël Bollengier, staff.

 

A tout juste neuf ans, le Week-End Musical de Pully, WEMP pour les intimes, n’a à rougir d’aucune comparaison avec certains frères aînés ou cousins des grandes villes. Gratuit depuis ses origines et comptant bien le rester, il convie depuis 2013 des grands noms tels que Marina Viotti, Beatrice Berrut, Cédric Pescia, Louis Schwizgebel ou encore le Quatuor Sine Nomine. 

Une programmation éclectique 
Cette année, le festival s’étendra du 5 au 8 mai. Pour donner une idée de la diversité des styles qu’offre la programmation 2022 pensée par Guillaume Hersperger, prenons la journée du dimanche: un spectacle d’opéra dédié aux familles et un conte musical porté par des jeunes artistes de la région côtoieront The Beggar’s Ensemble et Sneaky Funk Squad, deux formations exubérantes, l’une baroque, l’autre funky. Un récital du pianiste Nelson Goerner, lui aussi en entrée libre, clôturera les festivités – et Guillaume Hersperger de présager en souriant qu’il faudra peut-être arriver un peu en avance. 

La genèse
Depuis la première édition où les trois co-fondateurs géraient l’entièreté de l’organisation, le WEMP a pris de l’ampleur. Devant l’évidence que son trio aurait besoin d’aide, Guillaume Hersperger, professeur de piano au Conservatoire, en parle à ses jeunes élèves qui acceptent de venir donner un coup de main. “Ils savaient tous qu’il enseignait aussi les arts martiaux, ils n’ont pas osé refuser!” plaisante Caroline Mercier, directrice générale du festival. Une équipe d’une vingtaine de bénévoles s’est ainsi formée, motivée et efficace. Si la démarche semble née d’une nécessité pratique, elle devient aussitôt la marque de fabrique du festival, qui adopte une vocation de transmission: en effet, le jeune staff, dont le rôle consistait d’abord à mettre des chaises en place ou distribuer des goodies, se responsabilise petit à petit, se forme auprès de professionnels à des tâches telles que la régie son ou lumière, la logistique ou encore la communication.

Raphaël Bollengier en masterclass avec Christian Chamorel. Photos: Emilie Steiner

Le staff en scène
La plupart sont musicien·ne·s, élèves du conservatoire ou au début de leur parcours professionnel, et le festival leur donne l’occasion de monter sur scène. Lors du spectacle intitulé La hotline musicale de Blaise Bersinger, six bénévoles feront partie du Pully-Région Orchestral Ultimate Trio qui, mené par l’humoriste lausannois reconverti en responsable d’antenne radio, devra répondre instantanément à toute demande des auditeur·ice·s. Le but du spectacle: aborder la musique classique sous son aspect “cool”. Autant dire que le moment est attendu avec impatience par le staff! Les bénévoles que nous avons rencontrés sont unanimes: “C’est l’opportunité de l’année!”, s’enthousiasme Léonard Wüthrich, 22 ans, clarinettiste et assistant à la direction. “Sans le WEMP, un étudiant en musique classique se retrouverait difficilement à faire un spectacle avec un humoriste de la nouvelle génération”. ” Pour moi, Blaise est la personne qu’il nous fallait. Il arrive à me faire rire de tout”, confirme Jonathan Gerstner, 19 ans, violoncelliste, également assistant à la direction, et arrangeur d’une partie des morceaux qui seront joués durant le spectacle. 

Ce dernier aura une autre opportunité de se produire sur scène lors de cette édition 2022, et de taille! Il s’est vu confier un récital, pour lequel il a choisi d’interpréter la 5e Suite pour violoncelle seul de Bach et la Sonate pour violoncelle et piano en Fa Majeur nº 2 de Brahms. Il jouera également une création mondiale, commandée par le WEMP au compositeur Jean-Sélim Abdelmoula pour l’occasion. 

La confiance accordée
Parmi les tâches déléguées au binôme que forment Jonathan Gerstner et Léonard Wüthrich, la programmation de l’esplanade open-air du samedi après-midi. Encore une belle preuve de confiance de la part de la direction! Inspirés par l’esprit libre du festival, ils décident d’y convier le jazz, en proposant carte blanche à l’École de Jazz et Musiques Actuelles (EJMA). En effet, la porosité entre les styles de musique parle aux deux jeunes musiciens, qui regrettent qu’elle ne soit pas toujours une évidence au stade des études. “Ayant débuté mon parcours dans la région lausannoise, je trouve qu’il manque encore des liens entre classique et jazz”, constate Léonard, actuellement élève à la Hochschule Luzern. “En Suisse alémanique, on développe beaucoup plus ces connexions; j’ai des cours d’improvisation, et les musiciens des deux filières ont accès aux modules des uns et des autres”. 

Ce constat encourage le WEMP à donner, lors des masterclass qu’il met en place, la priorité aux élèves de Bachelor ou pré-professionnels plutôt qu’aux Master, qui bénéficient déjà d’une offre plus large. Cette année, les participant·e·s rencontreront le violon baroque d’Augustin Lusson, le répertoire à deux pianos de Sélim Mazari et Tanguy De Williencourt et le violoncelle jazz de Stephan Braun.

 “Grâce au WEMP, j’ai créé des contacts avec des artistes locaux et européens que je n’aurais pas forcément rencontrés, ou beaucoup plus tard”, exprime Léonard. Il pense notamment au Quintet Ouranos et à sa rencontre avec le clarinettiste parisien Amaury Viduvier, dont le partage d’expérience lui a été très enrichissant. 

Les plus jeunes ne sont pas en reste, et même à 12 ans, on a sa place au WEMP, preuve en est de Raphaël Bollengier, nouvelle recrue et benjamin du staff. L’année dernière, ce pianiste en herbe avait eu l’occasion de travailler la Polonaise de Chopin en do dièse mineur avec Christian Chamorel, de jouer avec des camarades lors d’un pré-concert, et d’assister à des concerts assis dans le public. Il verra cette année le festival du côté de l’organisation… Et qui sait, peut-être que celui qui ne se voit pas pianiste professionnel, car “c’est compliqué d’avoir une renommée pour être à l’aise financièrement”, y verra une autre piste de vocation musicale? 

Retrouvez tout le programme du Week- End Musical de Pully sur: wempully.ch  

Week-End Musical de Pully Du 5 au 8 mai 2022 Divers lieux, Pully 

                                                                                                        

1001 Harmonies

La vie à deux pianos, à milles histoires, à 1001 Harmonies

Ailleurs, l’herbe est simplement d’une autre teinte, et c’est un sentiment différent lorsqu’on s’y étend pour se faire conter 1001 Harmonies. Cela vaut bien un détour à Neuchâtel, où les pianistes Myassa et Francisco Leal présentent leur 2e saison de concerts ainsi intitulée: 1001 Harmonies, d’un joli mélange entre la musique qui les fait vibrer et leurs histoires de rencontres et d’amitiés.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

Myassa est neuchâteloise, Francisco est colombien. Frayés par la passion du piano, leurs chemins se rejoignent à la Haute École de Musique de Genève à Neuchâtel. Et là… c’est le coup de foudre musical? “Ce qui t’a plu, c’est plutôt que je te faisais rire, non?”. Coup d’œil malicieux de Francisco à sa complice. Dans leur appartement, leur photo de mariage orne le mur du salon, non loin d’un grand piano à queue et d’un chat qui se prélasse sur le tabouret.

Actif dans diverses branches qui prennent toutes leurs racines dans la musique (solistes, enseignants, organiste titulaire pour Francisco, médiatrice culturelle pour Myassa), le couple se rajoute une casquette lorsqu’il y a plusieurs années de cela, il imagine organiser sa propre saison de concert. L’initiative n’était pas un coup d’essai: “Pendant nos études, nous avons mis sur pied une journée de concerts, rééditée à plusieurs reprises, lors de laquelle nous engagions différents musiciens de la région”, raconte Myassa. Un premier test qui fonctionne à merveille et sème l’idée. Quelques lieux inspirants, tels que l’Église St-Pierre, le Temple du Bas et bien sûr la fameuse Salle de musique de La Chaux-de-Fonds, leur fait souhaiter une saison qui appartienne à la fois à Neuchâtel et La Chaux-de-Fonds. L’idée murit durant trois ans et en 2019 éclot la première édition de 1001 Harmonies

Pour une jeune saison, c’est une prise de risque immédiate. S’il prend la responsabilité de la programmation et de plusieurs concerts, le couple s’entoure de spécialistes, du graphisme à l’audiovisuel en passant par la communication, mettant les moyens à la forme. Et pour le fond, il convie des invité·e·s de marque: des premières suisses-romandes – notamment le violoncelliste Santiago Cañón, lauréat du concours Tchaïkovski – ainsi que des artistes au rayonnement international, citons le pianiste Arcadi Volodos ou le ténor Bernard Richter.

“Pour construire une programmation, on part des pièces que l’on aimerait entendre ou jouer. Le but est aussi de présenter au public des configurations variées, et de coupler d’autres arts à la musique”, s’accordent Francisco et Myassa. Entre eux, les idées fusent et les artistes inspirant·e·s à inviter ne manquent pas. Mais ce qui les guide, ce sont les histoires, les rencontres qui mènent au concert, les liens qui se créent. Pour eux, Arcardi Volodos ou Bernard Richter sont certes de grands noms, mais avant tout des amis.

flamenco 1001

Le Concert n° 4, intitulé Flamenco et ayant eu lieu en mars dernier, est un exemple amusant de leur fonctionnement au coup de cœur. “La rencontre avec le Barcelona Guitar Trio était un vrai hasard: on devait partir en vacances à Londres, et à cause d’un souci administratif, on s’est rendu compte une fois à l’aéroport que c’était impossible”, nous racontent-ils à deux voix. “On a regardé quel était le prochain vol, et à la place, on a pris nos billets pour Barcelone. Là-bas, on est allé au Palau de la Música, où on a vu ces musiciens et ces danseurs. C’était incroyable! On a tout de suite pensé à eux pour 1001 Harmonies, et à la fin du concert on est allé voir leur manager. C’était en 2018, avant même le début de notre première saison!”.
Un savant mélange entre la spontanéité qui caractérise le couple et la folle planification que requiert une saison classique, en somme!

Dès demain 29 avril, puis dimanche 1er mai, Myassa et Francisco seront eux-mêmes sur scène pour un récital intitulé La vie à deux… pianos, composé d’œuvres puisées dans le répertoire de leur sensibilité commune. En première partie de concert, ils interpréteront deux pièces classiques: la Suite pour deux pianos de Rachmaninov et la Danse macabre de Saint-Saëns. La seconde partie se fera latine, avec trois magnifiques tango nuevo de Piazzolla, rêveurs, romantiques, dramatiques, teintés de jazz et d’élans de courage. Le final sera une fête, avec un arrangement du Danzon n° 2, du compositeur mexicain Arturo Márquez, auquel le duo amène sa touche pianistique.

Parmi leurs prochains couple goals, l’envie de convier d’autres arts encore à leurs saisons. La danse reviendra pour sûr, dans de nouveaux pas de deux à quatre mains. Myassa la littéraire imagine également faire dialoguer, lors d’un concert, des grands textes classiques, des pièces musicales et les biographies des compositrices et compositeurs. Gageons qu’elle saura aisément convaincre sa moitié de ce beau projet…

La nuit est tombée depuis longtemps et on laisse Neuchâtel derrière nous, suivant des yeux les rails, avec en tête les notes entraînantes du Danzon interprété par Francisco et Myassa dans leur salon!

La vie à deux… pianos
Vendredi 29 avril à 19h30
Salle Faller, La Chaux-de-Fonds

Dimanche 1er mai à 17h
Temple du Bas, Neuchâtel

Tout le programme sur www.1001harmonies.ch


Collection Haute Couture

Haute-Couture Dans les interstices de l’imaginaire

“Yves Saint Laurent et Mondrian, Elsa Schiaparelli et Dali, Coco Chanel et Cocteau…”, Anna-Lina de Pontbriand, directrice du Musée suisse de la Mode, ne manque pas d’exemples pour illustrer la perméabilité du monde de l’art et de la mode et présenter, aux côtés du directeur du Centre d’Art Contemporain d’Yverdon-les-Bains, Rolando Bassetti, la deuxième collaboration entre leurs deux institutions: l’exposition Collection Haute-Couture.

Texte de Clara Boismorand
Propos recueillis auprès d’Anna-Lina de Pontbriand, directrice du MuMode, Rolando Bassetti, directeur du CACY et Xénia Lucie Laffely, artiste

Deux mondes, un univers

“L’art, la mode…où est la frontière?”, se demande Rolando Bassetti. Il y a la frontière que l’on dresse, que l’on imagine, que l’on justifie par différents moyens mais somme toute… tout l’intérêt des frontières n’est-il pas de les franchir plutôt que de les renforcer? L’art contemporain et la hautecouture sont deux mondes, certes, mais ensemble ils sont l’expression d’un univers fantastique. Ce printemps, au CACY, se rencontrent l’art contemporain et la mode. Le MuMode y présente, pour la première fois, 35 pièces de (très) haute-couture. Ces pièces d’exception sont exposées et exhaussées aux côtés du travail de Xénia Lucie Laffely. L’artiste invitée mêle son monde à celui des pièces choisies.

Une collection personnelle

Le choix de l’artiste comme des tenues ne sont pas anodins. De par sa sélection des pièces, Anna-Lina de Pontbriand rend hommage à une donatrice du musée: “Depuis vingt ans, cette femme fait don de sa garde-robe au musée. Elle nous a cédé plus de 300 pièces de créateur∙trice∙s: des tenues de cocktail, d’après-midi et du soir, chacune unique, originale, faite main et sur-mesure. Ce sont de véritables pièces d’excellence.” Quant à Rolando Bassetti, à la vue des pièces choisies, ce dernier a pensé à Xénia Lucie Laffely. Cette artiste qui mêle tissus et arts plastiques allait pouvoir établir un dialogue entre son art et cette collection personnelle de haute-couture.

Photo (c) Anne-Laure Lechat
Photo: Anne-Laure Lechat

Aux frontières de la fiction

Les créations de Xénia Lucie Laffely sont de l’ordre de l’intime et de l’étrange. Elle réalise, sur ordinateur, des peintures inspirées de ses proches et de son quotidien, les imprime sur tissu, et les travaille ensuite avec des techniques telles que le matelassage et le patchworking avant de les mettre sur des cadres. De par son étonnant travail, Xénia révèle et génère fictions et imaginaires.

Son parti pris pour Collection Haute- Couture est d’habiter ces tenues qui ne furent, souvent, portées qu’une seule fois, par une seule femme: “Je veux les faire porter, de manière imaginaire, à plusieurs personnes; les faire descendre de leur tour d’ivoire, les rendre plus accessibles”, nous dit-elle. Aussi, s’est-elle appropriée certains motifs, détails et imprimés des tenues afin de les magnifier à travers des peintures murales qui forment un décor pour les habits et finissent par habiller du regard les visiteurs de l’exposition.

Collection Haute-Couture se présente alors comme un délicat rappel du rôle fondamental que peuvent jouer les institutions muséales lorsqu’elles collaborent: elles provoquent la rencontre, encouragent les croisements, magnifient le dialogue, et ouvrent des portes.

Collection Haute-Couture – MuMode
Du 6 février au 17 avril 2022
Centre d’Art Contemporain, Yverdon-les-Bains
www.centre-art-yverdon.ch

Photo en tête d’article: Danielle, peinture digitale préparatoire, 2022

Fiasco. Photo de Louis Choisy

Road-trip vocal en Deux-Chevaux

Les quatre artistes de la troupe Provox, Dominique Tille, Faustine Jenny, Constance Jaermann et Jérémie Zwahlen, se lancent dans un road-trip sur des routes peu empruntées. Leur comédie musicale a cappella, qui n’aura du Fiasco que le titre, se joue dès ce mardi 8 mars et jusqu’au 20 mars au Théâtre 2.21 à Lausanne.

Texte: Katia Meylan
Propos recueillis auprès de Dominique Tille et Faustine Jenny

La trame

Alors que l’air n’est plus à la fête depuis longtemps, un quatuor se met en route aux aurores pour aller animer une noce à Chrüterchraft – une bourgade de plus sur leur routine de chanteurs de mariage. Quand l’incident se produit, les quatre ami·e·s se retrouvent à la croisée des chemins. Que devenir?

Des sketches à la comédie musicale narrative

En 2014, Provox se formait pour monter un premier spectacle intitulé Par les pouvoirs qui nous sont conférés, patchwork satirique de reprises sur le thème du mariage arrangées a cappella. “À l’époque, en chantant La Chenille ou Tourner les serviettes dans ce qu’on appelait notre Medley beauf, on s’imaginait déjà qu’on aurait pu être des chanteurs de mariage et certains sketch mettaient en scène les engueulades en coulisses, les moments de ras-le-bol”, nous racontent Faustine Jenny et Dominique Tille.

Avec Fiasco, le groupe parcourt une borne de plus. En gardant l’identité légère, humoristique et bien sûr a cappella de Provox, ils imaginent cette fois un spectacle entièrement original.

Pour la trame, ils se tournent vers la scénariste Stéphanie Mango. “Elle nous connait bien et l’histoire de Fiasco est liée à la nôtre, mais un peu décalée”, révèlent les membres du groupe. En se basant sur des types de personnalités proches des leurs, l’histoire tissée par Stéphanie propose à chacun·e un personnage approfondi. Un changement majeur par rapport aux sketchs interprétés jusque là.

C’est là une des spécificités de la pièce. “Chanter a cappella nous donne la contrainte théâtrale de ne pas pouvoir sortir du plateau, car à quatre voix, on est dans le minimum de l’harmonie. On doit trouver des astuces de mise en scène pour justifier le fait qu’on chante tout le temps; comme chaque personnage a sa volonté propre, si les quatre disent la même chose ce n’est pas cohérent”, partage Dominique. “C’est une contrainte nouvelle pour nous, qui peut créer un nouveau savoir-faire!”, ajoute-t-il encore, enthousiaste.

Fiasco. Photo Louis Choisy

Photos: Louis Choisy

Des compositions inédites

Qui dit spectacle original dit morceaux inédits. Lorsqu’on leur demande quel sera  le style musical de Fiasco, Faustine et Dominique répondent d’une seule voix: Lee Maddeford. La marque de fabrique du compositeur est en effet l’absence d’un style défini. “On lui a donné carte blanche. On pourra avoir un morceau purement comédie musicale avec des voix envoyées, un autre plus jazz avec des harmonies serrées, et tout à coup quelque chose qui ressemble à de la country”.

Bien placé en sa qualité de membre du quatuor, Jérémie Zwahlen réalise les arrangements vocaux pour un spectacle sur mesure. Et nos interlocuteurs de préciser: “Il connait nos voix, nos forces et nos faiblesses”.

Dominique Tille sent que la prise de risque et le côté intime du chant a cappella créent une communion avec le public. “On est nous-mêmes, à nu, c’est notre voix sans micro qui résonne. Je crois que cette sincérité plaît de plus en plus”.

Fiasco réunit ainsi les expériences de ces quatre artistes touchant à l’art choral, au chant classique, au théâtre ou encore à l’harmonisation. “On est dans notre zone de
confort, mais on en repousse les limites au maximum!”, résume le musicien.

Fiasco
Du 8 au 20 mars 2022
Théâtre 2.21, Lausanne
www.theatre221.ch

Chers©Josefina-Perez-Miranda

Danser l’absence de l’autre avec la chorégraphe Kaori Ito

Ce soir, la chorégraphe et danseuse japonaise Kaori Ito présente sa création CHERS au théâtre L’Octogone à Pully, dans les cadre des Printemps de Sévelin. Une pièce interprétée par cinq danseur·euse·s et une actrice qui revisitent, par la danse, notre lien aux absent·e·s et aux disparu·e·s. Un voyage poétique qui saisit par le mouvement les gestes désespérés de celles et ceux qui n’ont pas pu rester dans nos vies.

Texte et propos recueillis par Marion Besençon

En 2020, alors que la création CHERS était attendue à L’Octogone mais avait par la suite dû être reportée, la chorégraphe avait échangé quelques impression avec L’Agenda, par téléphone depuis Marseille.

Au départ de l’inspiration, il y a l’existence d’une cabine téléphonique au milieu d’un jardin dans son Japon natal servant à qui voulait continuer à communiquer avec les défunt·e·s. Avec la crise sanitaire, quand il était parfois impossible de rendre un dernier hommage aux personnes disparues et alors qu’elle se demandait à quoi servait le théâtre, Kaori Ito s’est souvenue avoir adressé “des questions lumineuses” aux gens et qu’en réponse elle avait reçu “d’énormes cadeaux”, c’est-à-dire des témoignages écrits extrêmement touchants à l’adresse des disparu·e·s, orientant sa création CHERS vers le genre épistolaire.
Et puis comme s’il fallait “faire disparaître les mots par la danse” et parce qu’en tant que chorégraphe elle trouve des réponses ainsi, elle a choisi de mettre en scène cinq danseur·euse·s et une actrice qu’elle fait à
leur tour écrire puis danser.

Chers©Josefina-Perez-Miranda-3

Chers ©Josefina Perez Miranda

Kaori Ito précise que les histoires poignantes des interprètes de sa chorégraphie ont irrigué son travail de création; ce qui a fait de sa rencontre avec l’équipe une rencontre très forte. Le lien vital au mouvement qu’entretient le jeune danseur Louis Gillard, lequel “cherche à comprendre par la danse le geste de son frère qui s’est donné la mort en sautant d’un pont” en est un exemple. Ainsi tous et toutes dansent tant le mouvement leur est nécessaire, et si l’écrit se mêle à la création et que la danseuse chorégraphe sait que “les
mots existent pour s’unir”, c’est par la danse que s’exprime ce “quelque chose de très très sincère”. À ce sujet, l’échange entre les danseur·euse·s professionnel·le·s et l’actrice Delphine Lanson pour qui le mouvement est moins technique qu’émotif a constitué un enchantement pour la troupe qui s’est trouvée énergisée par cette double approche.

Avec CHERS, Kaori Ito rend un hommage vibrant à la vie malgré l’absence ou l’indépassable perte des êtres aimés.

CHERS
Samedi 5 mars 2022 à 20h30
L’Octogone, Théâtre de Pully
theatresevelin36.ch

Site personnel de l’artiste
www.kaoriito.com

Viktor Vincent

Mental Circus: Assister à une performance hors normes

Le moins que l’on puisse dire c’est que Mental Circus nous pousse dans nos retranchements. En effet, dans ce show non conventionnel, Viktor Vincent fait la démonstration de ses talents de mentaliste, c’est-à-dire de sa capacité à deviner ce à quoi vous pensez. Oui, il s’agit d’un fait étonnant, cet homme est en mesure de dire ce que vous avez précisément en tête. Manie-t-il des puissances surnaturelles, est-il un magicien ou un fin psychologue? Vous êtes piqué·e·s de curiosité? Parfait! Rendez-vous ce soir à la Salle Métropole de Lausanne.

Texte de Marion Besençon

Si vous avez déjà vu Viktor Vincent à la télévision, vous vous souvenez probablement de ses yeux bleus perçants et de sa moustache façon 19e siècle. Vous devez vous rappeler aussi qu’il fait un usage spécifique de son intuition révélant au public médusé le nombre, l’objet ou encore la personne à laquelle pensent des stars invitées sur le plateau. Perspicace, le mentaliste parvient à chaque fois à la réponse juste pour le plus grand plaisir des spectacteur·trice·s qui pâlissent et dans un même temps s’amusent de cette étrange capacité…

Sur les planches, les performances du showman sont soigneusement scénarisées. En effet celui-ci aime créer des spectacles à l’identité visuelle forte où il peut allier le cinéma à son amour du théâtre. Avec son nouveau spectacle Mental Circus, le mentaliste nous embarque dans le New York des années 30 et fait le choix d’un visuel très luhrmannien. Et pour nous montrer l’étendue de son étonnant talent, il utilise le ressort de la narration. Ainsi il nous raconte l’histoire véritable et passionnante d’un couple de télépathes qui produisait un intrigant numéro de musichall dans les rues new-yorkaises.

Dans ses shows, Viktor Vincent se plaît à croiser les parcours individuels avec la grande Histoire. C’est pourquoi il est aussi question de Charlie Chaplin, de Lindbergh, ou encore du débarquement de 44 dans sa nouvelle production. Ces destins incroyables auxquels il redonne vie sous nos yeux préparent et accompagnent agréablement des performances mentales dont on se souvient longtemps. Pour ajouter à la magie du moment, une musique envoûtante composée par Romain Trouillet accompagne les démonstrations.

Viktor Vincent

Le mentaliste laisse difficilement indifférent·e: que la pensée du surnaturel nous inquiète, que ses astuces de magicien pique notre curiosité ou que nous souhaitions simplement connaître sa méthode de lecture du langage corporel, c’est à une découverte passionnante sur les capacités de l’esprit que nous sommes convié·e·s. Comme l’artiste l’analyse lui-même, le mentalisme offre la sensation que l’esprit n’a aucune limite; et c’est probablement ce frisson-là que nous affectionnons tant.

Peut-être oserez-vous monter sur scène pour vous découvrir un pouvoir insoupçonné?

Viktor Vincent – Mental Circus
Jeudi 3 février à 20h
Salle Métropole, Lausanne
Billets sur www.prestoprod.ch

Les représentations au Théâtre du Léman à Genève sont reportées au 29 octobre 2022.

Marco Smacchia

Une mystérieuse boîte magique

Marco Smacchia nous invite à aller à la rencontre de nos âmes d’enfants et nous laisser porter par la magie de la vie à travers son nouveau projet. Pas de lapin sorti d’un chapeau ou de carte dans sa manche, mais c’est le cœur sur la main que l’artisan de l’illusion nous accueille dans sa boite magique pour un voyage onirique à travers le temps et l’espace.

Texte de Coralie Hornung

Dans la grande tapisserie de la vie, divers événements ont marqué l’évolution de l’enfant d’abord ébloui, puis passionné et finalement artiste. C’est dans les liens familiaux que naît l’intérêt de Marco Smacchia pour le divertissement, plus particulièrement au contact de sa tante Marilena: l’étincelle de la famille. C’est elle qui orchestre et anime les réunions familiales avec brio. C’est d’elle qu’il tient le sens de la fête, de l’échange, bref de la magie qui relie les êtres. C’est encore elle qui l’emmènera voir son premier spectacle de magie.

À l’âge de 8 ans, il reçoit son premier coffret de magie. Puis, très vite, il rencontre le célèbre magicien et tenancier du Truc’Store de Genève, Jean Garance, qui le prend sous son aile et lui transmettra le goût de la simplicité efficace. Le talent n’attend pas le nombre des années, et bien qu’il soit jeune, le magicien en herbe est invité à de nombreuses conférences de magie. Il obtiendra ensuite un diplôme de l’Académie de Magie de Lausanne dès qu’il en aura l’âge. En 2014, il fonde Red Curtain afin de grouper les services magiques qu’il propose aux entreprises comme aux particuliers. Il utilise également sa salle de spectacle et son atelier de magie à Lausanne pour transmettre certains de ses secrets à quelques élèves privilégié∙e∙s ou pour co-créer de nouveaux tours en leur compagnie.

Malgré les normes sanitaires et les règles de distanciation, l’illusionniste continue à partager sa passion avec petit∙e∙s et grand∙e∙s depuis le début de la pandémie. Cet adepte de close-up aime se produire directement sous les yeux de son public et être en interaction avec lui. L’artiste nous confie: “Pour moi, la magie c’est quelque chose qui se vit”. Il fait des spectacles dans les écoles ou pour des anniversaires, même à cinq lui compris, afin d’apporter un peu de légèreté et de poésie pour lutter contre la morosité ambiante. Quand on est magicien, rien n’est impossible.

Finalement, l’artiste profite de la baisse de la demande d’animations ou d’événements sur mesure pour se lancer dans un rêve un peu fou qu’il caresse depuis quelques temps: créer de toutes pièces son propre spectacle. Pour ce faire, il collabore avec le metteur en scène Laurent Baier et toute une équipe technique afin de créer un show grandiose à l’américaine qui conserve toutefois la simplicité et la poésie de l’enfance. Le magicien nous invite donc à le rejoindre dans une mystérieuse boite magique qui sera installée au coeur de Morges de fin janvier à début février 2022.

Vendredi 21 et 28 janvier 2022
Vendredi 4 et 11 février 2022
www.redcurtain.ch
www.kubus.swiss

Je Suis Grecque

Chanter la liberté

En incarnant Melina Mercouri dans son nouveau spectacle musical, Nathalie Pfeiffer nous invite à savourer bien plus qu’un parfum de légèreté sur les rives du Léman. Je suis Grecque nous emmène au tournant d’une carrière sacrifiée afin de porter la voix d’un peuple réduit au silence.

Texte et propos recueillis par Coralie Hornung

Le 21 avril 1967, l’armée prend le pouvoir en Grèce alors que la chanteuse et actrice Melina Mercouri, reconnue internationalement comme meilleure actrice pour le film Never on Sunday au Festival de Cannes de 1960, continue à susciter un engouement pour la Grèce et domine la scène de Broadway. Melina fait face à un dilemme cornélien: poursuivre sa brillante carrière internationale ou profiter de la visibilité que lui offre sa notoriété afin de porter la voix de son pays réduite au silence par l’armée. C’est sur ce dilemme que s’ouvrira la pièce mise en scène par Jean Chollet et interprétée par Nathalie Pfeiffer, Christophe Gorlier et Raphaël Tschudi.

Pour Nathalie Pfeiffer qui porte le projet, la genèse de la pièce remonte au 33 tours qui tourne en boucle dans la maison de son enfance à la Tour-de-Peilz et fait résonner le cri du cœur de Melina Mercouri contre les colonels, à des kilomètres du conflit. D’abord touchée par la voix et l’énergie qui se dégage de cette musique, Nathalie connaîtra rapidement par cœur les chansons de Melina. Elle comprendra ensuite la puissance et la profondeur de ce qu’elle exprime en écoutant les récits d’une proche amie de sa mère, épouse du réalisateur grec Robert Manthoulis. C’est donc naturellement que Nathalie Pfeiffer choisira de porter un projet sur Melina Mercouri, à l’occasion du centenaire de la naissance de cette dernière.

En mars 2020, alors que la Suisse est confinée et que le monde de la culture semble être mis sur pause, on s’affaire dans le studio SUBA CFS sous la direction du percussionniste Robin Vassy qui crée les arrangements musicaux à l’oreille en écoutant les chansons de Melina. Chaque instrument sera enregistré individuellement avant d’être mixé pour que Nathalie Pfeiffer puisse finalement poser sa voix, dans le respect des arrangements musicaux originaux de 1970 et des contraintes sanitaires de 2020. Le résultat est époustouflant et deux extraits sont disponibles sur le site de la Compagnie Paradoxe. Le spectacle donne une importance toute particulière aux chansons qui sont un cri de guerre plutôt qu’une mélodie d’accompagnement. L’auteur et metteur en scène Jean Chollet nous offre bien plus qu’une rétrospective nostalgique et mélodieuse de la carrière de Melina Mercouri. Spectateurs et spectatrices sont invité∙e∙s à découvrir la puissance et l’allégresse avec laquelle une femme brise le silence imposé à son peuple et sacrifie sa carrière pour chanter la liberté.

7_jours Simon Labrosse

La création de Simon par Simon

Les sept jours de Simon Labrosse nous présentent Simon Labrosse, chômeur qui peine à payer son loyer, dans sa quête de travail. Mais pas n’importe quel travail, celui qui comblera ses rêves et qui lui permettra de s’affirmer en tant qu’être vivant. Nous suivons l’homme dans son vaventure de sept jours symboliques, durant lesquels il s’inventera nombre de métiers tout aussi pertinents que vains.

Texte et propos recueillis par Alexandre Romi

Cette pièce a été écrite en 1995 par l’auteure Carole Fréchette, au Québec. Sous le couvert d’un ton léger et d’une aventure rocambolesque, la Canadienne montre les dynamiques humaines modernes et les drames qu’elles engendrent. En effet, Simon Labrosse, pauvre en tous points, sauf en imagination et en bonté, n’a comme seul défaut le fait de vouloir travailler selon ses aspirations, certes abracadabrantes. Il en résulte la solitude, le désarroi, mais toujours dans la bonne humeur. Car c’est bien la comédie poétique d’une tragédie quotidienne que nous dépeint la dramaturge, portant tout autant au rire qu’à la réflexion.

Sylvain Ferron et Dominique Gubser de la compagnie Passe Muraille se sont emparés du texte québécois, qui les a fortement touchés, afin de le mettre en scène. Le duo nous précise que le choix des acteur∙ice∙s s’est fait naturellement, selon l’intuition propre aux gens du métier. D’abord, Dominique Gubser joue le seul rôle féminin de Nathalie, qui rejoint l’aventure de Simon en répondant à une petite annonce afin de gagner des sous et conter son histoire. Ensuite, David Casada incarne Léo, meilleur ami de Simon et pessimiste paumé. Enfin, le choix d’Angelo Dell’Aquila pour incarner le fameux Simon Labrosse est apparu comme une évidence pour représenter ce joyeux désargenté.

Photo: Carole Parodi

Le duo nous a expliqué avoir appliqué une mise en scène résolument théâtrale, selon l’objet de la pièce, mais y avoir ajouté une forte référence à l’image, car désormais le rapport à l’image est prégnant dans notre société, encore plus qu’au moment de l’écriture de la pièce. Pour le retranscrire au mieux, ils ont choisi de placer en fond de décor un mur de téléviseurs cathodiques, vestige des années 80, reflétant les émissions et les publicités vues par Simon tout au long de la pièce, au point qu’elles se reflètent dans ses pensées. Outre le défi technique de programmation et de mise en place, ces écrans auraient pu noyer la pièce en la surchargeant d’images, nous explique Sylvain Ferron, mais, avec sa comparse, ils ont travaillé pour donner un vrai sens narratif à ce mur visuel et l’inscrire comme support de la pièce.

Au-delà de cet artifice narratif, le texte n’a subi que quelques modifications par souci de modernisation. De plus, les références à des lieux précis, notamment au Québec d’origine de l’auteure Carole Fréchette, ont été gommées, afin d’universaliser la pièce, puisque la réalité que brosse Simon est une vérité qui touche l’ensemble des populations des grandes villes.

Cette vérité, c’est celle d’un être humain en accord avec lui-même, qui cherche à poursuivre ses rêves d’enfant tout en pratiquant un travail d’adulte. Néanmoins, la corrélation de ces deux aspects s’avère impossible dans la société capitaliste moderne. En effet, Simon cherche à être utile aux gens, à combler leur manque de présence, à finir leurs phrases et d’autres métiers invraisemblables mais pourtant nécessaires à ses client∙e∙s potentiel∙le∙s. Ce marginal tente de transformer ses idées et ses services en biens monnayables, selon le principe capitaliste et afin de s’assumer économiquement. Mais lorsque vient le moment de payer, aucun∙e de ces client∙e∙s ne comble l’attente de Simon, et le malheureux reste bredouille. Cependant, fort de son imagination et de son intelligence, il n’abandonne jamais.

Photo: Carole Parodi

Simon Labrosse incarne donc l’espoir, la résilience absolue et malheureusement naïve d’un rêveur optimiste qui s’assume en tant qu’adulte, et qui déploie tous les rouages de la société moderne pour apporter du bonheur aux autres tout en gagnant sa croûte. Malgré sa détermination, sa créativité et son argumentaire, sa quête demeure vaine, car, et c’est là l’essence de la critique, notre société ne se préoccupe pas du bonheur des individu∙e∙s, mais du profit impersonnel. Les deux artistes ont souligné l’impact du Covid sur l’équipe et sur la pièce, qui aurait dûêtre initialement jouée l’année dernière. Tout en répétant, l’équipe avait travaillé sans savoir si elle pourrait jouer. En 2020, seul un petit public, majoritairement de collègues, avaient pu assister à la pièce. Comment ne pas être marqué par le message de la pièce, alors même que les théâtres, jugés “non essentiels”, ont été mis sur la sellette, de même que les comédien∙ne∙s? Suivant le message d’espoir de Simon, qui a fortement touché l’équipe d’après nos interlocuteur∙trice∙s, tout le monde avait tenu bon, et l’impact sur les quelques spectateur∙trice∙s s’en était fait ressentir.

En guise de conclusion, nous avons demandé au duo s’ils trouvaient le spectacle drôlement triste ou tristement drôle. Ils nous ont affirmé que le spectacle était tristement drôle, “par la candeur de Simon, qui tente ce qu’un adulte n’ose pas par soucis de conformité”, rendant la pièce à la fois comique et poétique. L’espoir et la persévérance sont désormais récompensés, puisque la pièce est reprogrammée pour la fin de cette année. L’équipe est impatiente de remonter sur les planches et de renouer avec le public, afin “d’enfin voir le bout de l’histoire”.

Les sept jours de Simon Labrosse
Du 30 novembre au 19 décembre 2021
Théâtre Alchimic, Carouge, GE
www.alchimic.ch