Fin d’après-midi, alors que les rues lausannoises fourmillent, je rencontre la musicienne Louise Knobil dans un café. Avoir pu trouver un moment pour s’entretenir avec la compositrice-interprète aux multiples facettes – contrebasse, basse, chant – tient presque du miracle dans son agenda foisonnant de concerts. On se glisse au coin de la salle, le temps d’évoquer son nouveau mini-album aux lignes poétiques et puissantes, « Knobisous », et son prochain concert au Cully Jazz Festival, accompagnée de Chloé Marsigny à la clarinette basse et de Vincent Andreae à la batterie. Un trio à écouter en live sous le Chapiteau le vendredi 4 avril.
Texte et propos recueillis par Laetitia Pralong
Photo: Pierre Daendliker
Laetitia Pralong – L’Agenda : Vous avez sorti un nouvel mini-album en automne passé, « Knobisous ». On peut lire dans la presse que c’est un projet coloré, joyeux, frais. Et vous, comment qualifieriez-vous cet album ?
Louise Knobil : Je dirais que c’est de la militance et des situations de vie joyeuses mais avec une couche assez intense. Je trouve ce projet quand même un peu plus sombre, un peu plus travaillé que le premier album, surtout parce que j’ai décidé de virer les instruments harmoniques. Il y a quelque chose de plus brut et de plus assumé dans ce que je raconte.
On a aussi l’impression que les textes jouent avec la musique, que les mots répondent aux contours musicaux. Est-ce que le texte émerge en même temps que la musique ?
Dans ma manière de composer ce sont des étapes qui s’entremêlent à chaque fois, mais l’idée première c’est une thématique. Je vais penser à un sujet – par exemple le coming-out –, ce sujet va m’accompagner dans la vie de tous les jours et, petit à petit, certains mots, certains bouts de phrases vont émerger. En général, j’arrive avec un texte assez élaboré et je m’amuse à faire une mélodie à partir de ce texte. Puis, je vais au piano, j’essaie de trouver une harmonie, je prends ma contrebasse et je cherche une ligne basse. Vient ensuite la partie la plus difficile qui consiste à synchroniser la base avec ma partie de contrebasse ; à ce moment, la mélodie peut encore bouger… Donc c’est processus avec des étapes, oui, mais c’est aussi un processus où tout se fait ensemble.
Vous avez écrit précédemment en anglais, dans ce mini-album vous chantez entièrement en français. Comment choisissez-vous votre langue, vos mots ?
Je suis passée au français parce que je trouve que les mots ont des sonorités très amusantes. Il y a des mots qui sont drôles, absurdes ou plus brutaux. Souvent, je trouve un mot qui m’amuse en lien avec une thématique et je construis un texte autour.
Le projet musical Knobil c’est un univers visuel affirmé, vous avez notamment dessiné la pochette de l’album. Quel est le lien le visuel et la musique dans votre travail?
J’ai l’impression que la musique et le dessin, ce sont des extensions de ce qui se passe dans mon cerveau. J’aime les contrastes, la couleur – littéralement, dans les arts visuels –, les atmosphères. J’ai l’impression que ma musique permet justement de créer des ambiances très définies grâce à son côté minimaliste.

J’ai été frappée par la récurrence de termes comme « rebelle » ou « punk » dans les articles à votre sujet. Comment recevez-vous ces qualificatifs ?
Cela me fait toujours un peu rire, parce qu’au départ, dans mes premiers groupes, j’étais à la basse électrique et on faisait du garage punk dans les squats. Progressivement je suis passée au jazz, qui est un univers perçu comme plus élitiste, plus sérieux. Donc je trouve amusant quand le monde du jazz me qualifie comme rebelle, parce que j’ai été bien plus rebelle dans le passé ! Au final, je suis assez fière que ce soit cela qui ressorte dans la musique que je défends actuellement. Et, pour moi, le jazz à la base c’est une musique de contre-culture, qui est politique et qui doit le rester.
Vous êtes en tournée avec votre trio et vous jouez un nombre impressionnant de concerts, en Suisse romande, en Suisse allemande mais aussi en France. En quoi le fait de jouer toutes ces dates transforme-t-il votre rapport aux morceaux ?
Artistiquement je pense que c’est une chance énorme de pouvoir jouer autant pour le trio. Pour reprendre l’historique du jazz, les groupes iconiques – comme le quartet de Coltrane –, jouaient tous les soirs trois sets et ils ont marqué l’histoire du jazz parce qu’ils avaient un son de groupe unique. En tant que personne qui vient du jazz et qui aime cette musique, je trouve incroyable qu’on puisse jouer autant pour pouvoir développer notre son. J’espère que cela va durer longtemps !
Et j’imagine que vous ressentez déjà une évolution entre le son du trio au début de votre tournée et maintenant…
Oui ! Et en fait, pour moi, l’intérêt du jazz et des musiques improvisées c’est le concert, parce que, quand tu vas voir un concert, tu sais que tu vas voir quelque chose que tu ne pourras pas voir une deuxième fois. Je me questionne aujourd’hui de plus en plus sur l’intérêt de réaliser un album de jazz avec beaucoup de parties improvisées étant donné qu’avec les technologies actuelles on peut tout corriger. Je sais que je n’ai pas le même investissement émotionnel lorsque j’écoute un disque de jazz des années soixante – qui est capté d’une seule traite – que lorsque j’écoute un disque de jazz enregistré aujourd’hui. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé que le concert qu’on va jouer au Cully Jazz sera un disque enregistré en live, tel quel, avec tous les risques que ça comporte.
Pourquoi avoir choisi de cet faire cet enregistrement à l’occasion du Cully Jazz ?
Parce que je suis née à Lausanne, j’ai grandi avec ce festival et c’est vraiment un honneur et un accomplissement de pouvoir faire le chapiteau de ce festival. C’est un rêve de gosse.
Vous aurez le temps d’aller un peu traîner dans les caveaux et d’aller écouter quelques concerts ?
J’espère ! En tous cas je suis sûre d’aller voir les concerts des copain∙e∙s, et d’aller jamer dans le festival off.