Le Prix de Lausanne – 3e volée de relève chorégraphique
La semaine dernière, L’Agenda s’est glissé en compagnie du photographe Marius Mattioni dans les coulisses du Prix de Lausanne, et en particulier dans celles de ce concours parallèle qu’est le Young Creation Award. Nous avons eu l’occasion de recueillir les impressions de deux candidates chorégraphes et de leurs danseuses, et d’immortaliser quelques-uns de leurs pas.
Photos de Marius Mattioni
Texte et propos recueillis et traduits par Katia Meylan
Le Young Creation Award, qui a pour but d’encourager la relève chorégraphique, a enregistré pour sa 3e édition un nombre record de postulations, avec 56 candidatures reçues par vidéo. Parmi les 5 finalistes sélectionné∙e∙s pour venir présenter leur création à Lausanne, trois femmes, deux hommes, cinq chorégraphies non genrées. Les dix paires de choc sont arrivées au Théâtre de Beaulieu le lundi 30 janvier et ont été coachées par Demian Vargas et Cinthia Labaronne pour leur passage devant le jury mercredi 1er février.
Les deux lauréates, Aleisha Walker, 21 ans (ABT Studio Company, USA) et Elena Dombrowski, 19 ans (Pôle National Supérieur de Danse Rosella Hightower, France) verront leurs variations intégrées au répertoire contemporain du Prix de Lausanne 2024.


Variation “Do You Care?”, de Aleisha Walker dansée par Madison Brown
Photo © Marius Mattioni
Variation “Tout va bien ?” de Elena Dombrowski dansée par Tom Bellec
Photo © Marius Mattioni
Variation “Open your eyes…” de Martin Balaban, dansée par Chloé Meier
Variation “Rotting Strawberry” de Nicholas Mihlar dansée par Liam Strickland
Variation “Cultivate” de Hannah McCloughan dansée par Kohana Williams
Photos © Marius Mattioni
Lorsque nous avons rencontré les candidat∙e∙s mardi dernier dans le studio de répétition, les jeux n’étaient pas encore faits, et il était bien difficile de dire qui se démarquerait, tant de chaque variation émanait une créativité unique. Sur scène, le lendemain, l’émotion était palpable. (Il est possible de revoir les variations en vidéo sur ARTE Concert)
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Suivant le fil rouge féminin de son numéro mars-avril, L’Agenda a réalisé deux petites interviews avec deux des trois candidates (Elena Dombrowski n’était pas encore arrivée à Lausanne) et leur danseuses.
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Chorégraphe: Hannah McCloughan (Australie), School of the Hamburg Ballet
Danseuse: Kohana Williams
Hannah, quelle expérience t’a menée à t’inscrire en tant que candidate chorégraphe au Young Creation Award?
Hannah: L’examen de la Hamburg Ballet School inclut une partie chorégraphique qui, je pense, m’a préparée à cette expérience-là. Mais jusqu’ici je n’avais encore jamais chorégraphié de pièce pour quelqu’un d’autre; c’était un grand saut!
Comment s’est formé votre duo?
Hannah: À la base, j’ai créé la pièce pour une autre danseuse, Keita Bloma, qui n’a pas pu venir et que Kohana a remplacée. L’avantage d’avoir travaillé avec deux danseuses, c’est d’avoir vu deux corps différents exécuter ma pièce. Personne ne danse de la même façon, et l’important est de pouvoir s’adapter. Ça a été deux expériences différentes.
Kohana répète la variation “Cultivate” sous les yeux de sa chorégraphe Hannah
Photos © Marius Mattioni
En tant que jeune danseuse, quelle différence cela fait-il de travailler avec une camarade de classe plutôt qu’avec des professeurs?
Kohana: C’est plus relax, car on se connait, on est amies. Mais il y a quand-même la pression de faire du mieux possible pour ma chorégraphe.
Qu’est ce qui a été le plus grand défi pour vous?
Hannah: Pour moi c’était difficile de trouver où était la frontière entre le moment où j’étais la chorégraphe et que j’enseignais, et le moment où j’étais l’amie. Il a fallu trouver l’équilibre, entre “je suis là pour le Prix de Lausanne” et “je suis là aussi pour soutenir ma danseuse et amie”. Ça a été un challenge au début, mais qui est devenu naturel au fur et à mesure des répétitions.
Kohana: Personnellement, ça a été d’apprendre la chorégraphie en très peu de temps. On a su que je viendrais seulement dimanche dernier (l’avant-veille, ndrl)!
Hannah MacCloughan et Kohanna Williams
Photo © Marius Mattioni
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Chorégraphe: Aleisha Walker (USA), ABT Studio Company
Danseuse: Madison Brown
Aleisha, quelle expérience t’a menée à t’inscrire en tant que candidate chorégraphe au Young Creation Award?
Aleisha: J’ai fréquenté un lycée d’arts de la scène, et la création faisait partie du cursus, on devait chorégraphier pour nous-même et pour nos pairs. J’avais beaucoup d’intérêt pour ça, j’ai toujours eu confiance en mes capacités mais… j’appréhendais un peu, j’avais le sentiment de ne pas encore vraiment toucher au but. Plus tard, quand je suis entrée à l’ABT Studio Company, différentes personnes étaient invitées à partager leurs expériences, comment elles-mêmes créaient des chorégraphies. J’y pensais souvent, les idées commençaient à me venir, et le directeur m’a suggéré d’explorer cette voie. On a appris que le Prix de Lausanne proposait le Young Creation Award, et j’ai sauté sur l’occasion avec Maddie.
Pourquoi avoir choisi de travailler ensemble?
Aleisha: J’ai toujours considéré Maddie comme ma petite sœur. Elle est arrivée à l’ABT Studio Company deux ans après moi, elle est motivée à tenter toutes sortes d’expériences, elle était donc la candidate parfaite! À chaque fois que je commente ou que je donne des idées, elle s’adapte. Elle a pratiqué d’autres styles de danses, et ça a aidé aux éléments acrobatiques que j’ai intégrés à ma danse.
En tant que jeune danseuse, quelle différence cela fait-il de travailler avec une camarade de classe plutôt qu’avec des professeurs?
Madison: Pour moi, c’était fun de travailler avec quelqu’un de mon âge, que je connais, qui me comprends mieux. Ce n’est pas pareil quand le prof arrive, on se met dans une optique sérieuse, on veut tout saisir du premier coup car on ne sait pas s’il va remontrer. Là, c’est une amitié, les choses sont plus naturelles.
Madison Brown au studio de répétition à Beaulieu
Photo © Marius Mattioni
Aleisha, est-ce que ta danse Do you care? t’a permis d’exprimer quelque chose de personnel?
Aleisha: Quand tu exécutes la chorégraphie de quelqu’un d’autre, ça arrive qu’on te laisse beaucoup de liberté et que tu puisses exprimer ce que tu veux. Mais là, j’ai pu dire vraiment tout ce que j’avais en tête. Et j’avais beaucoup de choses en tête à ce moment-là, c’était une sorte de tournant dans ma vie. Ça m’a donné un exutoire pour exprimer ce qui se passait, mes émotions, ce que je ressentais.
Est-ce que l’apprentissage de la chorégraphie est passé par une discussion, ou simplement par les mouvements?
Madison: Un peu des deux. Aleisha m’a expliqué la raison de son choix et ce qui l’a inspirée, ce qui m’a aidée à pouvoir m’approprier la chorégraphie mais aussi à comprendre ce qu’elle voulait… et, oui, j’espère que ça a marché!
Qu’est ce qui a été le plus grand défi pour vous?
Aleisha: Le nombre de candidats choisis pour ce concours est très restreint, on a la possibilité de se connaître, tous les dix, et… ce n’est pas que c’est effrayant, mais ça donne l’impression qu’il y a plus d’enjeu que si on était beaucoup. Ça nous fait nous sentir très honorés, on profite d’être là, d’apprendre de chacun.
Qu’est-ce que vous vous souhaitez mutuellement pour la prochaine étape de votre carrière?
Aleisha: Maddie est talentueuse et peut aller très loin. Je suis enthousiasmée de la voir évoluer en tant que personne et en tant que danseuse. Je lui souhaite de continuer d’explorer et de ne pas perdre cette liberté, parce que je crois qu’en vieillissant, en entrant dans une compagnie, on peut se rétracter, car on est plus nombreux…
Madison: Je lui souhaite tout le succès! Elle m’a inspirée à continuer à suivre mon rêve. J’ai hâte de voir ce qu’elle fera.
Aleisha Walker et Madison Brown
Photo © Marius Mattioni