Musique actuelle

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L’Orchestre des Nations au Victoria Hall: Quand l’orchestre symphonique mime la musique électronique 

Dimanche dernier, le Victoria Hall accueillait l’Orchestre des Nations et le compositeur de musique électronique Manuel Oberholzer. Le concert était en deux parties et gravitait autour du thème de la mort et de la finitude des choses. Deux interprétations de ces thèmes universels, séparées par 160 ans d’évolution musicale et technologique, ont pu cohabiter: celle de Manuel Oberholzer avec la première d’une œuvre électro-orchestrale intitulée FINITE et celle du compositeur allemand Johannes Brahms avec Ein deutsches Requiem. Retour sur cette soirée qui a partagé les spectateur∙ice∙s.

Texte d’Éloïse Vibert
Photos de Christian Meuwly

Pas le temps d’admirer les dorures environnantes, à 17h, la salle se retrouve plongée dans le noir et une partie du public dans la confusion. Seul phare dans la tempête : Manuel Oberholzer, installé derrière son synthétiseur modulaire. En guise d’introduction, des nappes électroniques un peu abruptes commencent à s’articuler. Le compositeur prend le parti de la stagnation méditative plutôt que de celui d’une progression claire et intuitive.

« Quelle drôle d’idée » chuchote une spectatrice, le sourire aux lèvres. À la décharge de cette dernière, les nappes électroniques, si émotionnellement impactantes lorsqu’elles enveloppent l’auditeur∙ice, se perdaient dans la salle et peinaient à arriver jusqu’aux spectateur∙ice∙s. L’artiste, que l’on connait également sous le nom de Feldermelder réussit pourtant ce pari d’accaparer l’auditeur∙ice avec des textures électroniques organiques dans ses albums Euphoric Attempts ou dernièrement Dual ǀ Duel en collaboration avec la violoncelliste Sara Oswald. Ces nappes un peu lointaines dont on ne distinguait que trop peu les nuances n’étaient donc probablement qu’une question d’acoustique peu adaptée à ce genre de performance.

La « drôle d’idée » sera expliquée à la fin de l’introduction. Une voix d’Intelligence artificielle retentit et l’Orchestre des Nations s’installe, suivi par le Chœur de Chambre de l’Université de Fribourg, avec pour seul applaudissement les explications de l’IA sur l’importance de revenir à l’essentiel, sur la finitude et l’impermanence des choses. La voix s’applique à expliquer devant un public attentif, ce que nous nous apprêtons à voir. L’orchestre – nous dit-elle – jouera ainsi une pièce en imitant les procédés de la musique électronique et sera samplé en temps réel, ce qui fera de lui la source de sa section supplémentaire.

En théorie et jusque-là, la « drôle d’idée » est donc une bonne idée. En pratique néanmoins, les avis semblaient partagés à l’entracte. Les satisfait∙e∙s auront remarqué les notes entêtantes et obsédantes qui semblaient presque sortir d’un ordinateur, l’imitation des arpèges et des notes longues à la manière d’un synthétiseur. Il y avait quelque chose d’à peine humain dans cette performance, malgré son exécution par un orchestre et un chœur en chair et en os. Si l’intérêt ou la fascination de la performance ne faisait aucun doute pour certain∙e∙s, les plus sceptiques ont cependant été perturbé∙e∙s par ce manque d’humanité. L’accumulation de climax dans l’œuvre rendait la reconnaissance et l’identification à des émotions difficiles. De l’espoir parfois et puis, beaucoup d’agitation, de l’anxiété peut-être: FINITE semblait être une succession de fins, et si sa part « électronique » lui conférait un intérêt intellectuel, celle-ci rendait précisément l’immersion et l’abandon difficile.

Qu’importe, à l’entracte, les avis divergents ont pu profiter d’une mise en bouche par le débat pour se préparer à écouter Ein deutsches Requiem de Brahms.

L’orchestre et le chœur reprennent alors vie. La deuxième partie est ponctuée par des apparitions des chanteur∙euse∙s Kathrin Hottiger et Vincent Casagrande et efface progressivement tout manque d’humanité.

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L’exécution de ces deux performances si différentes l’une de l’autre force à constater que l’Orchestre des Nations, bien que composé de musicien∙ne∙s amateur∙ice∙s, n’a rien à envier aux orchestres professionnels. Dirigés avec passion par Antoine Marguier, secondé par Pascal Mayer à la direction du chœur, les musicien∙ne∙s ont en effet su se mettre au service d’une pièce contemporaine avec brio et faire justice à la panoplie émotionnelle que renferme l’œuvre de Brahms. Que cette soirée ait laissé∙e rêveur∙euse, pantois∙e ou inspiré∙e, elle n’a en tout cas pas laissé indifférent∙e.

Finite – Ein Deutsches Requiem
Orchestre des Nations
Dimanche 5 novembre à 17h au Victoria Hall

Date à venir :
Samedi 18 novembre à 20h à l’Aula Magna de Fribourg

orchestredesnations.com

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

Découverte du patrimoine musical lémanique

Ici, le lac ressemble à la mer

Le projet un peu fou d’exposer des chansons est né de la complicité entre le chanteur Marc Aymon et Lionel Gauthier, conservateur du Musée du Léman. L’institution nyonnaise propose actuellement au public de découvrir ou redécouvrir les chansons qui rendent hommage au lac.

Texte et propos recueillis par Sarah Liman Moeri
Photos: Nicolas Lieber

La genèse de l’exposition

Tout est parti du projet du chanteur Marc Aymon : Glaneurs. En 2019, ce dernier a lancé un appel à la population dans la presse, afin de récolter des documents en lien avec le patrimoine musical romand: vieux carnets de chant, partitions, enregistrements et autres. Il en a réuni plusieurs centaines. Marc Aymon et Xavier Michel (du groupe Aliose) ont découvert ces trésors et choisi une quinzaine de chants et de poèmes, qu’ils ont enregistrés sur un disque, avec divers artistes suisses.

Parmi les textes découverts, il y avait Le Vieux Léman, un texte d’Eugène Rambert datant de 1881, mis en musique par l’Abbé Bovet (auteur du Vieux Chalet). Marc Aymon a fait écouter l’enregistrement à Lionel Gauthier, qui a été agréablement surpris. Car même si les paroles de la chanson semblaient un peu désuètes, elle aurait pu être écrite aujourd’hui. Le chanteur lui a alors demandé: “Est-ce que tu veux accrocher des chansons aux murs de ton musée?”.

Cette idée a titillé le conservateur, lui-même passionné de musique, musicien et auteur d’une centaine de chansons. Il était également intéressé par le défi muséographique… Comment “accrocher” des choses qui ne se voient pas?

Les défis

En plus du défi scénographique, il a fallu trouver les chansons qui évoquent le lac Léman (véritable source d’inspiration pour les peintres, les poètes, les écrivains et les paroliers), puis en obtenir les droits de réadaptation.

La recherche des chansons

Marc Aymon s’est employé à contacter ses ami∙e∙s artistes pour savoir s’ils avaient composé des titres sur le Léman. Aliose avait déjà écrit Droit devant et François Vé a créé Vigne spécialement pour l’exposition.

Lionel Gauthier a, quant à lui, consulté les archives : des livrets de chants ou des recueils de partitions, conservés dans les collections du musée ou dans d’autres institutions, comme la BCU à Lausanne, mais également les bases de données de la SUISA et de la Sacem.

Cinquante-six chansons ont été répertoriées et depuis l’exposition, une dizaine d’autres ont été retrouvées.

Le choix des chansons

En fouillant dans un cahier de textes, Lionel Gauthier a repéré une chanson parlant du Léman: Gentille Batelière. Le titre et les premiers mots ne lui disaient rien, mais en lisant plus avant, il s’est rendu compte qu’il connaissait cette chanson par cœur, car sa grand-mère la chantait. Elle a donc tout naturellement trouvé sa place dans l’exposition, en hommage à celle-ci.

L’idée était d’avoir un panel de titres panaché, des chansons anciennes et des plus modernes, des chansons oubliées et des plus connues, comme Genève de William Sheller, pour que le∙la visiteur∙euse puisse se rattacher à quelque chose qui lui est familier. Le duo souhaitait aussi avoir des sujets différents dans la musique et dans le texte, mais en même temps avec une certaine homogénéité. Des morceaux plutôt acoustiques. Smoke on the Water de Deep Purple ou Bienvenu chez moi de Bigflo & Oli n’auraient pas trouvé leur place dans l’espace d’exposition, car leurs styles musicaux sont très différents des autres. En revanche, elles font partie de la playlist consultable dans l’audioguide, qui nous accompagne le long du voyage musical.

Le titre

Ici, le lac ressemble à la mer” sont les premières paroles de la chanson de Marc Aymon À Saint-Saph’. Il a vécu deux mois dans le village de Saint-Saphorin, qu’il considère comme le plus beau du monde, en pensant que la beauté des lieux allait lui inspirer quantité de lignes. Mais rien n’est venu. Il en est reparti dépité. Quelques jours plus tard, un ami lui a envoyé un message: “Je passe en train à Saint-Saph’. Ici, le lac ressemble à la mer.” Cette phrase lui a provoqué un déclic et le texte de la chanson est arrivé tout seul. Il était donc évident pour lui qu’elle devienne le titre de l’exposition.

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

La scénographie

L’idée étant de proposer au public une expérience multisensorielle, on a choisi de lui offrir des chansons à écouter, des visuels à regarder et des objets à toucher.

Chaque titre a son espace réservé, une petite alcôve avec sa couleur et son ambiance, correspondant au thème qu’elle évoque. L’équipe du musée a chiné pendant des mois pour trouver le mobilier et les accessoires qui allaient les mettre en scène.

Les onze airs “exposés” ont été illustrés par Cyrille Chatelain, conservateur du Jardin botanique de Genève et artiste. Ces illustrations sont riches en couleurs et en détails, souvent les paroles sont inclues dans la composition. Les formats des représentations sont très variés. Certaines ont été reproduites et recouvrent toute la hauteur d’un mur et d’autres sont si petites qu’il faut s’approcher pour en apercevoir les minuscules détails.

Par ailleurs, un album a été créé pour neuf des chants. Chacun est une pièce unique, avec son atmosphère particulière. Ils ont été réalisés par la maison d’édition nyonnaise Ripopée. Comme dans un ancien album de photographies, une écriture manuscrite nous raconte l’histoire de la chanson, de l’artiste et le thème évoqué. Des illustrations accompagnent, parfois, quelques-unes des paroles. Chacun∙e peut prendre le temps de consulter l’album, confortablement assis, pendant l’écoute d’un morceau.

Dans l’exposition, on retrouve Droit devant d’Aliose et Vigne de François Vé. Les neuf autres font partie du répertoire suisse ou français et ont été spécialement réenregistrées par des artistes locaux∙ales, attaché∙e∙s au Léman, dans l’optique que le public puisse redécouvrir des titres qu’il connaît parfois, tout en lui proposant l’expérience d’une première écoute. La volonté était également d’avoir une certaine harmonie acoustique. En plus des artistes précité∙e∙s, Michel Bühler (décédé quelques jours après le vernissage), Milla et Jérémie Kisling ont prêté leurs voix à ces airs célébrant le Léman.

Pour prolonger l’expérience

Grâce au catalogue, l’expérience musicale se prolonge, puisque des QR codes donnent accès aux enregistrements. Les paroles sous les yeux, le∙la lecteur∙ice peut chanter sur les airs découverts au musée. L’histoire des chansons, des anecdotes et un répertoire de trente-cinq autres titres sont proposés dans l’ouvrage.

L’équipe de médiation a eu l’idée de l’activité Singin’ the Lake, une chorale éphémère. Petit∙e∙s et grand∙e∙s amateur∙ice∙s de chant peuvent participer.

Le Bec dans l’eau sera le chant proposé à la rentrée, lors de la dernière date de l’événement. Divisé∙e∙s en deux voix, les choristes répéteront avec les chefs de chœur avant de se produire dans la salle d’exposition. Rendez-vous le samedi 10 septembre à 15h pour rejoindre ou écouter la chorale éphémère.

Ici, le lac ressemble à la mer. Chansons pour le Léman
Jusqu’au 18 février 2024
Musée du Léman, Nyon

Ici, le lac ressemble à la mer

Singin’ the Lake

Glaneurs

Ripopée

 

Le Voyage d'un rêve

Un rêve se pose au Casino Théâtre

En 2021, une troupe d’hétéroclites enthousiastes créait Le Voyage d’un rêve, une pièce de théâtre musical feel good dont la forme et le fond clament en chœur: suis ses rêves! Le spectacle est en ce moment à Genève au Casino Théâtre.

Texte de Katia Meylan

Hier matin à 9h30, le citadin Casino Théâtre bouillonnait, investi par des centaines d’élèves et potentiellement autant de rêves. C’est devant ce jeune public que l’association Pasaporte a repris son spectacle Le Voyage d’un rêve, dont les représentations publiques se poursuivent jusqu’à dimanche 14 mai.

D’emblée, le décor et les tenues nous présentent deux des personnages principaux. À première vue, ce sont un serveur et une serveuse. Au travers de leur charmant duo, harmonie à l’octave, accompagné par les musiciens du bar, ces deux-là nous détrompent: ils ne se sentent pas à leur place… Ni une ni deux, une cliente, resplendissante dans sa robe de princesse, remarque la jolie voix de l’homme et l’encourage à lui chanter autre chose. “Mesdames et messieurs”, annonce sa collègue, “notre serveur va vous chanter l’une de ses compositions”. Le ton est donné, entre réalité rêvée et rêve devenant peu à peu réalité. Les chanteur∙euse∙s révèlent tous trois des timbres aux tons chauds et passionnés et Azania Noah, par la puissance dans sa voix et son aisance, emporte toute l’assemblée.

 

Azania Noah

Traversant eux-aussi les différents niveaux de diégèse à leur guise, les morceaux, des ballades pop aux accents tantôt funk tantôt jazzy, sont le fil rouge du spectacle. Ils sont reliés par quelques répliques, parfois juste une phrase, et voient tourner autour d’eux les autres arts de la scène; danse, cerceau aérien et une poétique roue cyr, qui invitent à poser sur eux et sur le monde un regard d’enfant.

Si la trame encourage à suivre ses rêves, voir la troupe sur scène complète parfaitement le message. Ce format de partage pluridisciplinaire, où les chanteur∙euse∙s entrent dans la danse et où les circassiens et danseur∙euse∙s rejoignent les chœurs, donne au spectacle cette petite touche indescriptible, imparfaite et touchante, et au public l’envie de les rejoindre.
Vous voulez être dans le secret? Le spectacle est directement inspiré de la vie de… celui qui l’a créé: Patjé, auteur de la pièce et également compositeur des morceaux, chérissait depuis l’enfance l’envie de faire de la musique. Le voir devant nous prouve bien qu’il a eu raison de les suivre, ses rêves!

Le Voyage d’un rêve
Casino Théâtre de Genève
Du 11 au 14 mai 2023
voyagedunreve.com

Emma Ruth Rundle

Emma Ruth Rundle: de la Dark Folk à Antigel

Emma Ruth Rundle était à Genève le 14 février dernier dans le cadre du festival Antigel pour la promotion de son album Engine of Hell. Ce dernier album, épuré et dépouillé des textures de guitare et de l’urgence vocale qui ont fait la notoriété de l’artiste, marque une étape dans sa carrière et les émotions brutes qui résonnaient dans les murs du Casino Théâtre ce soir-là étaient chargées d’une intensité qui n’avait rien à envier au plus bruyant des groupes de rock. 

Texte d’Eloïse Vibert

La soirée a commencé avec les textures sonores anxiogènes de Jo Quail, des pièces inspirées par les énergies de la nature dont la dissonance portée par un violoncelle électrique squelettique capturait le souffle de l’auditoire. Cette première partie de soirée nous emmenait dans des paysages tantôt arides, tantôt inondés, parfois urbains où la nature avait repris ses droits et où nos peurs primaires ne pouvaient que fluctuer au rythme des loops superbement maitrisés.

Puis, après une pause d’une dizaine de minutes ponctuée par quelques mots du directeur d’Antigel, c’est au tour d’Emma Ruth Rundle de monter sur scène. Habillée d’une combinaison et d’une veste dont la moitié est noire et l’autre moitié blanche, maquillée avec des larmes pailletées, la compositrice s’assoit au piano et brise le silence: “Bonjour, mon nom est Emma et je vais vous jouer l’album Engine of Hell du début jusqu’à la fin”.

La sobriété de cette première intervention est suivie par les premières notes de Return, le premier morceau de l’album. La tension toujours palpable de la performance précédente se transforme soudainement en une mélancolie de plus en plus intense, une douleur enfermée dans un écrin d’abandon.

Les morceaux se suivent devant une audience silencieuse, soucieuse de ne pas casser la beauté de cette douleur exquise. Bloom of Oblivion nous emmène au plus profond des étapes du deuil – un thème récurrent de cette soirée – ponctué par des chuchotements, et clôturé par des cris du cœur répétant comme une libération: “I love you, see ?”.

Puis, la compositrice nous invite à vivre le souvenir capturé dans la chanson Dancing man. Citadel suit peu de temps après, accompagné par Jo Quail au violoncelle, nous offrant ainsi une respiration en mêlant l’énergie complémentaire des deux artistes.

L’interprétation d’Emma se veut théâtrale mais avec mesure et sobriété, rappelant un peu le jeu de scène de Tori Amos, où les jeux de regard servent le texte et les émotions brutes partagées dans ce moment suspendu dans le temps. L’artiste laisse parfois échapper quelques larmes, nous donnant un accès privilégié à une authenticité salvatrice.

Enfin, arrive le dernier morceau du set: In my Afterlife, qui donne le coup de grâce avec une progression d’accords qui nous emmène vers la fin de la performance en beauté. La chanson est suivie d’un rappel par lequel l’artiste clôture le concert avec des morceaux de ses albums précédent dont Marked for Death, issu de l’album du même nom.

Et puis, comme une apparition, Emma remercie le public, se lève, un peu déboussolée et disparait d’un côté de la scène nous laissant avec les tornades d’émotions qu’elle a suscité.

L’ironie de la date à laquelle ce concert a eu lieu n’échappera pas à certain. Malgré l’association un peu malheureuse en apparence entre un concert qui expie la douleur et le deuil de l’artiste et la fête des amoureux, l’authenticité de la performance et la catharsis qu’elle renfermait était un cadeau qui dépasse largement un bouquet de roses offert hors saison.

https://antigel.ch/fr 

Volver

Piazzolla raconté

Le concert théâtral Volver, le tango de l’exil joué cette semaine à la Salle Centrale Madeleine à Genève mène à la rencontre d’Astor Piazzolla au travers de ses propres compositions et de celles des artistes qui l’ont inspiré. Son essence prend vie dans des textes racontés à plusieurs voix – dont la sienne – et dans les gestes du metteur en scène Philippe Cohen, qui incarne le compositeur et bandonéoniste argentin du début du 21e siècle.

Texte de Katia Meylan

Piazzolla aura “façonné le tango en profondeur pour les siècles à venir”. C’est le postulat que la compagnie Les muses Nomades raconte dans cette histoire d’exil. Car en effet, l’amour du compositeur pour le tango et son désir de le faire évoluer est d’abord passé par l’éloignement, tant de son pays que de cette musique populaire nationale, de quelques dizaines d’années son aînée.

Réminiscences spatiales et temporelles

Volver, le tango de l’exil narre donc, dans un doux désordre chronologique, les étapes de la vie de Piazzolla. Sa collaboration plus ou moins fluide avec l’écrivain Jorge Luis Borges; sa fascination pour le bandit Jacinto Chiclan pour qui il compose un air; son enfance, lorsque sa famille quitte Buenos Aires pour s’installer à New-York; ses insolents 18 ans, lorsqu’il tape à la porte du compositeur Juan José Castro, qui le redirige vers Ginastera; sa vingtaine, qui le voit s’identifier à la musique européenne… sa trentaine et le bouleversement de la rencontre avec la célèbre Nadia Boulanger, qui lui conseille de revenir à ses racines.

Les conteur∙euse∙s

Le public découvre ainsi l’évolution des sonorités et de la réflexion du compositeur, cheminant aux côtés des muses Nomades et de la Compagnie Confiture en la personne de Philippe Cohen. En 2021, le comédien genevois d’adoption avait déjà eu l’occasion d’écrire et d’interpréter pour la scène un autre pan de l’histoire de la musique, dans la pièce La bonne soupe de Ludwig van B. imaginée par les sœurs Joubert. Aujourd’hui, Volver réunit à nouveau le talent de Philippe Cohen et d’Oriane Joubert, ainsi que des deux musiciens avec lesquels la jeune pianiste compose le Latin Trio, Tomas Hernandez-Bages au violon et Mario Nader Castaneda au violoncelle. Pour compléter l’orchestre, ils s’entourent de la bandonéoniste Gaëlle Poirier et du guitariste Narcisso Saùl, qui signe également les arrangements du spectacle. 

Piazzolla

Photo © Gilbert Badaf

Une histoire à plusieurs voix et plusieurs gestes

Le concert est raconté de bien des façons autour du noyau de musicien∙e∙s, dans des configurations de quintettes, trios ou solo selon les morceaux choisis.
Philippe Cohen mime un premier air de tango traditionnel. Comme il frétille, on aurait presque envie de voir en lui la silhouette du chef d’orchestre Juan D’Arienzo, qui guette les notes, marque le rythme, apostrophe les musicien∙ne∙s. Puis, le tango traditionnel laisse la parole aux influences classiques, de Bach à Ginastera en passant par Gershwin, pour mieux revenir, se transformer, et devenir du Piazzolla.

L’aspect scénique du concert passe par les gestes, des mimes et des jeux de marionnettes, et même par quelques moments qui avoisinent le stand-up dont Philippe Cohen a le secret, comme lorsqu’il sort de la narration au beau milieu du spectacle pour présenter les artistes avec l’accent italo-latino-new-yorkais.

Le texte accompagne la musique et les mouvements tout au long du spectacle, à travers ce grand cahier noir qui circule de mains en main sur scène. Chacun∙e des musicien∙ne∙s en lit une partie à sa façon, comédien, pédagogue ou même interprète lorsqu’il faut traduire la voix de Piazzolla que l’on entend grâce à des archives audio.

On comprend avec émotion que toutes et tous ont une histoire forte avec cette musique, et que c’est elle qui transcende leur intensité concentrée.

Volver, le tango de l’exil
Du 18 au 21 janvier 2023
Salle Centrale Madeleine
theatre-confiture.ch


Melissa Kassab

Les Créatives – Douceur et puissance à La Gravière

Hier, la première soirée du festival Les Créatives en collaboration avec La Gravière a eu lieu. La Genevoise Melissa Kassab et la Londonienne Gretel Hänlyn ont joué de leur guitare pour le plus grand plaisir du public. Une soirée aux sonorités contrastées qui nous a transportées dans deux univers bien propres à chacune.

Texte de Catherine Rohrbach

Il est 20h30, sur la scène de La Gravière, la chanteuse Melissa Kassab arrive avec sa guitare, son seul accompagnement. Avec sa voix et ses arpèges, elle nous transporte dans son univers. Un univers doux, bienveillant et attachant où seuls deux accords suffisent pour faire une belle chanson. Si on décèle une certaine timidité, qui est peut-être dûe au fait qu’elle joue à la maison, il n’y a aucun doute qu’elle appartient bien à la scène. Elle est naturelle et authentique, tout autant que son folk. Ses textes, ses quelques reprises (c’est plus facile d’être soi-même quand on chante quelqu’un d’autre, dit-elle) et ses anecdotes nous donne un aperçu de qui elle est, sans masque.

En deuxième partie de soirée, c’est Gretel Hänlyn qu’on découvre. Accompagnée de son groupe, celle-ci nous emmène dans un tout autre monde. Hänlyn, qui jouait en Suisse pour la première fois, pourrait sans problème prétendre appartenir à la scène grunge et alternative du Seatle des années 90 et pourtant, elle est anglaise et n’était pas encore née quand Kurt Cobain nous quittait. Ses notes sont brutes, sa voix est profonde, le tout est d’une puissance qui se marie bien avec la scène de la Gravière.

Gretel Hänlyn

Tout comme avec Kassab, la performance de Gretel Hänlyn est bien à l’image de sa personnalité. Sombre et gothique aux premiers abords, une certaine légèreté se laisse entrevoir au fil des chansons, avec notamment un nouveau titre, une ode à son chat, qui prend des sonorités pop punk.

À la fin des concerts, la présence de Melissa Kassab et Gretel Hänlyn sur une même affiche semble logique. La douceur de Kassab et la puissance de Hänlyn ont en commun leur authenticité. Elles n’ont pas peur d’être elles-même sur scène. Il n’y avait pas de prétention et aucun faux semblant à la Gravière hier soir.

Le festival continue!

Kendrick Lamar

Kendrick Lamar, une légende à Lausanne

Mercredi 26 octobre, La Vaudoise Arena accueillait le très attendu concert de Kendrick Lamar. Tant par sa performance que son talent, le lauréat du prix Pullitzer 2018 n’a pas déçu ses fans.

Texte de Catherine Rohrbach

Le public est en effervescence. Un grand rideau blanc tombe sur la scène. Dans quelques minutes, un des rappeurs les plus influent de cette génération commencera sa performance. L’intro de United In Grief résonne dans l’Arena, des danseur·euse·s entrent sur scène par une passerelle qui divise le public en deux, le rideau se lève et révèle Kendrick Lamar au piano accompagné d’une marionnette à son image. Le show commence.

La formule est simple, Kendrick avec son flow percutant et infatigable, quelque figurant·e·s, une scénographie sobre mais saisissante, une interprétation de son dernier album Mr Morales & The Big Stepper entrecoupée de ses plus grands succès. Le rappeur arrive facilement à enflammer la fosse, à lever le public assis et à mettre le feu sur scène (littéralement).

Si le concert suit assez bien la tracklist de Mr Morales and the Big Steppers, Kendrick Lamar arrive sans aucune peine à insérer les chansons de ses précédents albums tout en gardant le fil narratif du dernier venu. Le public reste captivé du début à la fin. Même les featuring avec les premières partie Tanna Leone et Baby Keem gardent la cohésion de la performance. Musicalement, il n’y a rien à redire. On regrette peut-être l’absence de musicien·ne·s sur scène qui sont rélégué·e·s sur les côtés, comme lors de sa dernière tournée en 2018.

Kendrick Lamar2

Comme dans une pièce de théâtre, le rideau sur scène se lève et se baisse pour marquer les changements d’actes. La performance du génie de Compton se fait, en effet, sur plusieurs tableaux, chacun séparé par des interludes narrés par Dame Helen Mirren et encré dans l’actualité. En effet, s’il est facile de s’évader sur les sons de Lamar le temps de son concert, ce dernier reste fidèle à lui-même et ne nous fait pas oublier la réalité sociale dans laquelle il évolue. Ainsi, on le voit en ombre chinoise avec des flèches dans le dos pendant Count me Out, comme pour montrer les traumas de sa génération, ou encore dans une boite en plexi faisant référence à la pandémie actuelle: “it’s time to take your covid test”, entend-on avant Alright. Tout ira bien, nous assure l’artiste et on veut le croire. Cette boite pourrait également faire référence aux règles du hip hop que Kendrick fait et défait avec chacun de ses albums. En s’élevant dans celle-ci plusieurs mètres au-dessus de la scène, l’artiste montre qu’il est au-dessus de tout dictat. La dernière citation du concert est d’ailleurs “you’ve made it out of the box. Now, can you stay out of it?”. Avec cette performance magistrale Lamar montre bien qu’il ne doit pas être casé dans une boite.

Le concert se termine comme il a commencé avec Kendrick Lamar seul. Sur son piano. Sur les notes de Savior le rappeur quitte la scène humblement. La fin abrupte de la performance en rajoute à sa puissance. La vaudoise Arena se vide de son public fier d’avoir assisté au show d’un géant du rap contemporain.

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Tourne-Films Festival

Tourne-Films Festival: le petit qui devient grand

Créé par des jeunes lausannois∙es d’origine et d’adoption, le Tourne-Films Festival Lausanne revient pour une 4e année. Après la comédie musicale, le band movie et Ennio Morricone, c’est le biopic qui sera au centre de cette édition. Entre concerts et projections, tout en passant par un programme de médiation et une compétition officielle, le TFFL se prépare à monter d’un cran et prendre un nouveau statut.

Texte de Simon Coderey

Depuis maintenant quatre ans, le cinéma et la musique possèdent une nouvelle maison pour cohabiter. Après une première année à Malley, c’est à la villa de Mon Repos que le festival a pris ses quartiers. Toujours début septembre, le TFFL vient clôturer en beauté une saison estivale soutenue dans la capitale vaudoise. Après une édition réussie en 2021, et ceci malgré les restrictions sanitaires, le TFFL revient grandi et mature. Il a repensé le terrain et a doublé son espace en prenant l’entièreté du pourtour de la villa de Mon Repos. La musique et le cinéma, bien que frères et sœurs au TFFL, font maintenant chambre à part. Du côté des gradins naturels, la musique viendra commencer les festivités tous les soirs. Joueront des musicien∙ne∙s de la région, avec notamment les Lausannois Crux Sledge ou la productrice, compositrice et interprète d’électronica La Colère. La française Wendy Martinez, avec sa pop rétro, fera écho à Barbara, dont le biopic de Mathieu Amalric sera projeté en seconde partie de la soirée du vendredi. Puis du côté de la villa, l’équipe du festival a décidé de collaborer avec RoadMovie, un cinéma itinérant qui fait vivre le 7e art depuis des années en Suisse romande.
Tourne-Films Festival

Photos: Audrey Manfredi

La programmation de films se focalise donc sur le biopic avec un twist. Les deux co-présidents expliquent que le TFFL propose des long-métrages “sortant des sentiers battus et jouant aux niveaux formel ou narratif avec les limites du genre du film biographique”. Cette rétrospective commencera le mercredi à la salle Paderewski du Casino de Montbenon avec le I’m not there de Todd Haynes qui retrace la vie d’un artiste, très semblable à Bob Dylan, interprété par six acteurs et une actrice. Ce sera ensuite à Mon Repos que la programmation se poursuivra avec le Barbara de et avec Mathieu Amalric mettant en scène une réalisation d’un biopic sur la chanteuse. Les limites entre raconter la vie d’un∙e artiste et la créer de toute pièce seront questionnées avec le film Eden racontant l’histoire d’un DJ fictif dans le contexte bien réel de la french touch. Puis deux grands noms de la musique seront également mis avec avant avec l’interprétation de Ray Charles par Jamie Foxx ou encore le The Doors d’Oliver Stone. Des films de patrimoine à voir ou à revoir.

En parallèle, une double compétition officielle vous fera découvrir des court-métrages musicaux et internationaux ainsi qu’une sélection de clips 100% suisses montrant la volonté du TFFL de promouvoir cette forme créative si connue et pourtant oubliée des événements cinématographiques. Le jeudi et le vendredi vous pourrez ainsi découvrir ces œuvres sur grand écran et voter pour votre coup de cœur via le prix du public. 

Le Tourne-Films Festival ce sont aussi des ateliers pour les plus jeunes et des conférences le samedi et le dimanche. Pour les plus grand∙e∙s, les soirées du jeudi, vendredi et samedi se poursuivront à la Cave du Bleu Lézard pour des afters qui vous feront danser jusqu’au bout de la nuit.

Tourne-Films Festival

Photos: Audrey Manfredi

Au-delà de la soirée d’ouverture payante, le TFFL est gratuit et ouvert à tous∙tes. Que vous soyez mélomanes, cinéphiles ou avides de découvertes, n’hésitez pas, le Tourne-Films Festival est là pour vous. Un petit avant-goût? Le TFFL organise ce vendredi 26 août, en collaboration du bar éphémère La Bourgette à Vidy, une soirée avec DJ et la projection de Love and Mercy, un biopic sur Brian Wilson des Beach Boys et réalisé par Bill Pohlad.

Le Tourne-Films Festival recherchent encore des bénévoles pour la réussite de son édition.

Pour plus d’informations et programmation complète: www.tffl.ch

Tourne-Films Festival
Du 7 au 11 septembre 2022
Cinémathèque, Parc de Mon Repos et Cave du Bleu Lézard, Lausanne

Venoge festival

Venoge Festival: un retour gagnant

Après deux ans d’absence due à la pandémie, le Venoge Festival revient pour une année haute en couleur et en musique. Durant cinq jours, les champs de Penthaz vont vibrer au son de têtes d’affiche internationales allant du rock à l’électro réjouissant tous les publics.

Texte de Simon Coderey

L’été 2022 aura été synonyme de retrouvailles pour les mélomanes de la région. Montreux Jazz, Paléo, Caribana, les grands noms ont fait danser et pleurer leur public depuis quelques semaines. Parmis ces événements musicaux rythmant nos périodes estivales, des festivals plus petits montrent à quel point l’Arc lémanique est riche pour la musique. Plus petit ne veut pas forcément dire rougir face aux monstres que sont les grands frères nyonnais et montreusiens. Bien au contraire.

Depuis 26 ans, le Venoge Festival a su se faire une place parmi les grands avec une programmation éclectique et actuelle. Iggy Pop, Julien Clerc, Vitaa & Slimane, Kool & the Gang. Les organisateur∙rice∙s ont bénéficié de la confiance de beaucoup d’artistes qui étaient prévu∙e∙s en 2020 et dont les concerts avaient dû être annulés. Mais c’est aussi cette période d’effervescence qui sourit au Venoge. Les musicien∙ne∙s sont là et ont soif de jouer. Il y a évidemment eu des annulations, dont le groupe phare de la scène néo-métal du début des années 2000 Limp Bizkit qui a renoncé à sa tournée européenne pour des raisons médicales. Mais le directeur Greg Fischer et son équipe ont réussi à relever les défis et, malgré quelques regrets, la programmation est belle et saura plaire à toutes les générations.

De plus, le festival fait la part belle à la scène musicale romande et vaudoise avec une scène 100 (99)% suisse, offrant ainsi une plateforme à ces musiciens et musiciennes qui prouvent d’année en année que la musique a de très beaux jours devant elle dans nos contrées. Parfait pour revoir, si nous devions citer qu’un nom, Baron.e, samedi soir. Eux qui avaient déjà pris au pied levé un créneau à Paléo en juillet.

C’est un Venoge plus mature, qui a grandi après la pandémie que nous (re)découvrons. Un nouveau lieu quatre fois plus grand et prêt à accueillir jusqu’à 9000 personnes par soir. Mais son côté festif et amical prend une place plus importante dans le cœur des organisateur∙rice∙s. La capacité est pensée pour que chacun∙e puisse avoir accès à la grande scène. Même les soirs sold-out, personne ne se sentira comme une sardine à l’instar d’autres festivals de la région qui font la course aux records. Ces défis logistiques ont été pris à bras le corps et tout est prévu pour que la fête soit belle: des transports publics en direction de Lausanne et Yverdon partant à toutes heures de la nuit, un concept de “bienveillance” afin de maximiser la sécurité des spectateur∙ice∙s, une app spécifique pour le festival et une reconduction du système Cashless. Tout a été pensé pour faciliter la vie des festivalier∙ère∙s.

Iggy_BackPhoto_by_Bjorn_Tagemose

Iggy Pop. Photo: Bjorn Tagemose

Hier soir, L’Agenda est allé découvrir cette manifestation qui a su grandir tout en restant à taille humaine. Il y a quelques jours, un rédacteur en chef avait écrit dans un grand journal vaudois que les girons campagnards aidaient à la cohésion du canton. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que le Venoge Festival a le même rôle. Il suffit de faire le tour du terrain pour comprendre que les bénévoles sont des locaux qui ont l’envie de faire vivre leur région. Plus qu’un événement majeur, c’est une fête populaire qui vient clôturer un été chaud et intensif.

L’attente a été longue avant de voir l’événement de cette première soirée: Iggy Pop. Le chanteur américain a su montrer qu’il était encore dans une jeunesse éternelle lors de son concert. Folie, énergie, sueur, la recette est toujours là et elle fonctionne si bien. Même son perfecto n’aura pas tenu plus d’une chanson et nous avons pu retrouver la marque de fabrique de l’Américain: être torse nu. Quelle entrée en matière pour une édition qui s’annonce belle.

Le Venoge Festival est une réussite en tous points. Et l’engouement du public est au rendez-vous. Le dimanche est déjà sold-out et le vendredi ne serait tarder. Ils restent cependant des billets pour le jeudi et le samedi. Alors n’hésitez pas si vous voulez fêter la fin de l’été avec brio et entourer d’une équipe bénévole au petit soin de tous∙tes.

Plus d’informations: www.venogefestival.ch

TL

Une Fête de la Musique, ça commence comme…

…Éplucher le programme et être aux rendez-vous du jazz, du rap, du classique ou des cornemuses; Proposer un afterwork à ses collègues et, depuis une terrasse, confier aux concerts successifs le soin d’accompagner ses discussions; Traverser la ville d’un bon pas, réaliser que l’on est le 21 juin et devoir à regret passer son chemin – ou au contraire, pouvoir se laisser happer par une scène que la nuit dernière a érigé là et qui n’y sera plus demain; Faire confiance à ses pas pour tomber sur une nouvelle découverte.

Texte de Katia Meylan

Texte de Katia Meylan

Hier soir, c’est à Lausanne que L’Agenda a vécu sa Fête de la Musique. Impossible de tout voir! La soirée nous a mené du pop-rock au swing d’un big band, pour finir dans la fraîcheur d’une salle du conservatoire devant un chœur amateur de jeunes femmes. Car la beauté de la Fête passe aussi par ce mélange d’expériences et de générations qui fêtent la Musique sous toutes ses formes.

Don’t Kill Duncan – Le Barberousse – 18h30

Entre deux bâtiments du Flon, depuis la terrasse du Barberousse, trois multi-instrumentistes donnent de la voix. Notre chemin croise à nouveau Boris Degex, Coralie Vollichard et Paul Berrocal. En effet, il y a quelques temps, nous les avions découverts au Théâtre le Reflet de Vevey dans une pièce intitulée Band(e) à part, dans laquelle les compères interprétaient trois membres d’un groupe célèbre en tournée, suivi par des caméras de journalistes pour un reportage. C’est là que nous avions entendu pour la première fois quelques titres de leur groupe Don’t Kill Duncan. Le trio, à la fois comédien, improvisateur et musicien, peut donc investir à la fois un théâtre aussi bien qu’une scène de concert! Hier, cette triple casquette se ressentait surtout dans le corps et l’expression que mettait la chanteuse et bassiste à son interprétation.

Oh, et pour celles et ceux qui se demanderaient d’où vient le nom du groupe: c’est une référence à Macbeth, en prenant le contrepied de la sorcière shakespearienne qui soufflait que pour devenir roi, il fallait tuer Duncan…

Don't kill Duncan

Big Band Transport Lausanne Music – Place de la Palud – 20h

Les TL ont un Big Band, et ils assurent! Impossible de ne pas s’arrêter devant leur scène de la Place de la Palud, où ils faisaient danser parents et enfants, avaient captivé des maîtres et leurs chiens en balade et faisaient tourner toutes les têtes du restaurant Le Raisin à côté. Surtout lorsque la guitariste Ewa Kuzniak-Scherer a pris le micro pour une interprétation de Fever, ou que le saxophoniste Clency Court a enchaîné avec Feeling Good. Multi-talents, avec ça…
Dirigés par Simon Lamothe, des standards qui faisaient du bien!

Chœur à Corps – HEMU et Conservatoire – 21h

Nous avons finalement rejoint le conservatoire. Y aurait-il du public à cette représentation alors que la météo incitait tant à passer la soirée à papillonner de scène open-air en scène open-air? Oui! La petite salle Utopia a rassemblé un public qui a apprécié la fraîcheur des voix des membres de l’ensemble vocal féminin Chœur à Corps, sous la direction artistique de Claire Benhamou. Les jeunes femmes ont interprété en chant et en danse des extrait de leur spectacle original Il est où le bonheur?, composé de titres tirés de comédies musicales et autres chansons pop.
En ressortait de beaux accords, tant harmoniques qu’entre les jeunes amatrices dont le plaisir d’être là était communicatif.

Choeur à corps

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Et sur toute la ville les nuages se sont tenus tranquilles, donnant le temps aux groupes le temps de jouer sereinement lors de cette première soirée d’été, transition entre la canicule de ces derniers jours et la pluie de la nuit.

fetemusiquelausanne.ch

PSO Nicolás Duna

Vers l’infini et au-delà – Musique (pas si) classique

Il n’y a pas (si) longtemps, dans une galaxie proche, très proche, un drôle de vaisseau errait dans l’espace. À son bord, quelques voyageur∙euses intrépides prêt∙e∙s à braver le vide intersidéral pour quelques notes de musique. Dans l’espace, si personne ne les a entendu crier, les applaudissements eux ont dû réveiller quelques martiens…

Texte de Mélissa Quinodoz

Le vendredi 22 avril 2022, le Philharmonic Show Orchestra prenait son envol pour la première fois. Depuis la piste de lancement genevoise du Victoria Hall, les passager·ère·s étaient donc nombreux·ses à vouloir prendre place à bord du vaisseau mère pour ce voyage inaugural. Il faut dire que la feuille de route était des plus attractives. Au programme, des œuvres classiques bien sûr, et notamment les incontournables Planètes de Holst, mais également des morceaux issus de la pop-culture, E.T, Interstellar et Star Wars. Un mélange de saveurs assumé par le Philharmonic Show Orchestra qui souhaite proposer à son public une nouvelle définition du concert, celle de “spectacle symphonique”! Avec pour objectif la transversalité, il s’est ainsi fixé comme mission d’offrir un espace de rencontre et de réflexion pour les acteurs culturels de tous bords.

PSO2 Photo de Nicolás Duma

Photo: Nicolás Duma

Confortablement installé·e·s dans leurs sièges, les tablettes relevées et accueilli∙e∙s par une charmante hôtesse de l’air, les passager∙ère∙s sont donc parti∙e∙s vers de nouveaux horizons musicaux. Un vol des plus réussi, grâce notamment au commandant de bord Pierre-Antoine Marçais (ou PAM pour les intimes), qui a su éviter toute forme de turbulence. Si la première partie était des plus agréables, c’est après une courte escale que la magie a véritablement opéré. Dans la pénombre du cockpit, quelques passager·ère·s se sont alors levé·e·s pour entonner la magnifique chanson Stars du Letton Eriks Esenvalds. Un pur moment d’apesanteur qui a mis en lumière les voix quasi extraterrestres de certain·e·s voyageur·euse·s!

En descendant de l’appareil, on ne pouvait que souhaiter y remonter prochainement pour un nouveau périple d’une ou deux années lumières. Le sourire des passager·ère·s en disait d’ailleurs long sur la réussite de ce premier envol. Le Philharmonic Show Orechestra est définitivement un orchestre du 21e siècle (voire même du 22e siècle) prêt à relever les défis et les enjeux culturels d’aujourd’hui et de demain. C’est avec impatience qu’on attend les prochains épisodes de cette nouvelle série musicale!

Toutes les informations et les prochaines dates du Philharmonic Show Orchestra sont à découvrir ici:

philharmonicshoworchestra.com/#pso

Vous pouvez également les suivre et les soutenir sur les réseaux sociaux:

Instagram @Philharmonic_Show_Orchestra

Facebook @PhilharmonicShowOrchestra

Nicolás Duma

Photos: Nicolás Duma

Je Suis Grecque

Chanter la liberté

En incarnant Melina Mercouri dans son nouveau spectacle musical, Nathalie Pfeiffer nous invite à savourer bien plus qu’un parfum de légèreté sur les rives du Léman. Je suis Grecque nous emmène au tournant d’une carrière sacrifiée afin de porter la voix d’un peuple réduit au silence.

Texte et propos recueillis par Coralie Hornung

Le 21 avril 1967, l’armée prend le pouvoir en Grèce alors que la chanteuse et actrice Melina Mercouri, reconnue internationalement comme meilleure actrice pour le film Never on Sunday au Festival de Cannes de 1960, continue à susciter un engouement pour la Grèce et domine la scène de Broadway. Melina fait face à un dilemme cornélien: poursuivre sa brillante carrière internationale ou profiter de la visibilité que lui offre sa notoriété afin de porter la voix de son pays réduite au silence par l’armée. C’est sur ce dilemme que s’ouvrira la pièce mise en scène par Jean Chollet et interprétée par Nathalie Pfeiffer, Christophe Gorlier et Raphaël Tschudi.

Pour Nathalie Pfeiffer qui porte le projet, la genèse de la pièce remonte au 33 tours qui tourne en boucle dans la maison de son enfance à la Tour-de-Peilz et fait résonner le cri du cœur de Melina Mercouri contre les colonels, à des kilomètres du conflit. D’abord touchée par la voix et l’énergie qui se dégage de cette musique, Nathalie connaîtra rapidement par cœur les chansons de Melina. Elle comprendra ensuite la puissance et la profondeur de ce qu’elle exprime en écoutant les récits d’une proche amie de sa mère, épouse du réalisateur grec Robert Manthoulis. C’est donc naturellement que Nathalie Pfeiffer choisira de porter un projet sur Melina Mercouri, à l’occasion du centenaire de la naissance de cette dernière.

En mars 2020, alors que la Suisse est confinée et que le monde de la culture semble être mis sur pause, on s’affaire dans le studio SUBA CFS sous la direction du percussionniste Robin Vassy qui crée les arrangements musicaux à l’oreille en écoutant les chansons de Melina. Chaque instrument sera enregistré individuellement avant d’être mixé pour que Nathalie Pfeiffer puisse finalement poser sa voix, dans le respect des arrangements musicaux originaux de 1970 et des contraintes sanitaires de 2020. Le résultat est époustouflant et deux extraits sont disponibles sur le site de la Compagnie Paradoxe. Le spectacle donne une importance toute particulière aux chansons qui sont un cri de guerre plutôt qu’une mélodie d’accompagnement. L’auteur et metteur en scène Jean Chollet nous offre bien plus qu’une rétrospective nostalgique et mélodieuse de la carrière de Melina Mercouri. Spectateurs et spectatrices sont invité∙e∙s à découvrir la puissance et l’allégresse avec laquelle une femme brise le silence imposé à son peuple et sacrifie sa carrière pour chanter la liberté.

Scylla – Quand le rap écrit des chansons d’amour

Je me rends aux Docks à Lausanne, à quelques minutes de chez moi, comme si je me rendais en terre inconnue. Mais pas seule, j’ai des guides qui connaissent les codes de ce monde. La salle est bondée, on est arrivé juste à l’heure, à peine entrée et les basses me font vibrer des chevilles aux cheveux. Est-ce que ce sera la seule chose qui me fera vibrer? je me demande.

Texte: Katia Meylan

 “Ça va Lausanne? On l’attend depuis longtemps, ce concert!”. À la voix puissante qui sourit, le public, malgré les masques, répond enflammé sous la pluie. Il a envie de rendre au rappeur ce que celui-ci lui a donné, dans ses singles, depuis la sortie de ses deux derniers albums en 2019. Deux ans que le public suisse attendait ce concert de Scylla.

Depuis le fond de la salle je le vois, veste rembourrée, entouré de trois artistes qui gèrent le son et les voix de backup, parapluies à la main. Derrière moi, mon guide. À gauche, un fan qui connait les textes et à droite, deux potes qui de temps en temps se disent “quelle voix de ouf”. L’ambiance me surprend, à la fois calme et grondante. L’insurrection est palpable mais pas si visible car chacun∙e écoute. Juste devant moi, un gars immense, il fait un cœur avec ses mains, il s’exprime, il connait les textes lui aussi. Moi pas encore. En concert, généralement j’aime bien danser… mais là, puisque je ne connais pas, je décide de déléguer mes mouvements à ce grand gars. Il ne le sait pas mais je disparais derrière lui, je reste immobile à découvrir les textes.

L’ogre de Bruxelles, le poète, de sa plume a gratté la couche de vernis de nos vies.

Bougies, féérie et lointaines galaxies: on a testé un concert Candlelight de Fever

Peut-être avez-vous eu vent de cette nouveauté fraîchement arrivée à Genève: les concerts éclairés à la bougie, qui promettent au public une ambiance mystique et enchanteresse. Avec des représentations prévues au Théâtre Les Salons, au Victoria Hall, à l’hôtel Four Seasons et même au sommet du Salève (si, si) la start-up américaine Fever, toujours à l’affût de «bons plans», fait les yeux doux au public genevois et espère le conquérir à la lueur romantique des chandelles. Pari réussi?

Texte: Athéna Dubois-Pèlerin

Parmi la palette de spectacles à l’affiche, aux programmations joyeusement hétéroclites, il a fallu faire un choix après avoir considéré les différentes soirées annoncées, célébrant Chopin, Enio Morricone, Daft Punk ou la musique traditionnelle espagnole. C’est peut-être là la première chose qui interpelle et amuse lorsqu’on découvre Candlelight: une envie presque candide de proposer des saveurs pour tous les goûts, doublée d’une bonne volonté à toute épreuve. On y trouve du Hans Zimmer comme du Vivaldi, les soirées spéciales « musiques d’animes japonais » s’affichent de manière décomplexée à côté des Quatuors Beethoven. Rafraîchissant. 

On s’embarque donc pour un concert « John Williams » au Théâtre Les Salons. Le cadre historique et élégant se prête parfaitement au jeu et contribue à l’atmosphère frémissante qui accueille le public. Au centre de la scène, un piano baigne dans la lumière tamisée de 2000 bougies. La pénombre participe étrangement à assourdir les sons autant que les couleurs, et au lieu du bavardage caquetant qui envahit généralement les salles de spectacle avant la représentation, à peine surprend-on çà et là quelques murmures intrigués. Le jeune pianiste, Franck Laurent-Grandpré, semble un peu décontenancé de découvrir une salle moins remplie que ce qu’il attendait (la faute conjointe au Covid et à l’heure tardive sans doute, la représentation débutant à 21h30) mais s’amuse de ce « petit comité » et s’exécute avec le sourire, n’hésitant pas à faire précéder chaque pièce musicale d’une courte introduction humoristique.

Photo: Luc Faure

On redécouvre ainsi les compositions les plus iconiques de John Williams, de Star Wars à Jurassic Park en passant par La Liste de Schindler, toutes réimaginées pour piano solo. Laurent-Grandpré allie la sensibilité à la virtuosité, laissant d’abord entendre le thème épuré, avant de le redessiner avec passion, à la manière d’une série de variations ornées, où la ligne principale au loin surnage. Certaines pièces – on pense notamment à la bande-son d’Harry Potter – prennent une couleur particulièrement féerique dans la lumière vacillante des chandelles. On regrettera seulement peut-être que l’ampleur symphonique des pièces de John Williams, dont beaucoup reposent sur un vaste ensemble de cordes, peine à être restituée par un unique piano. On n’en salue pas moins la performance magistrale du soliste et on se réjouit d’un prochain rendez-vous Candlelight pour aller écouter des pièces au style légèrement plus intimiste. 

Concerts Candlelight 
Fever 
Tout l’été 
www.feverup.com/geneve/candlelight 

Your Fault portrait ©MarySmith_Marie Taillefer

Culture estivale à Lausanne

La plateforme CultureDebout! recense toutes les actions et initiatives mises en place en un temps record par la scène culturelle lausannoise. Rivalisant de créativité, elle vous propose cet été un programme inédit et majoritairement gratuit dans des conditions respectueuses des normes sanitaires.

Texte: Sandrine Spycher

Un des rendez-vous phares de l’été lausannois est, depuis de nombreuses années, Le Festival de la Cité. Annulé à cause de la pandémie de coronavirus, il vous donne rendez-vous pour sa version revisitée, Aux confins de la Cité, qui se tiendra du 7 au 12 juillet 2020. Les différents lieux, choisis avec attention afin de respecter les normes sanitaires tout en garantissant une expérience de spectacle enrichissante, ne sont dévoilés qu’aux participant·e·s. En effet, les projets, in situ ou sur des scènes légères, ne sont accessibles que sur inscription. C’est donc après tirage au sort que les chanceux et chanceuses pourront profiter de spectacles de danse, théâtre, musique et bien plus encore Aux confins de la Cité!

Pour ce qui est des arts de la scène, L’Agenda conseille, au cœur de cette riche sélection, la pièce Sans effort de Joël Maillard et Marie Ripoll. Déjà présenté à l’Arsenic en octobre 2019, ce spectacle est un joyau de texte et de créativité, qui explore les questions de la mémoire humaine et de la transmission entre générations. Côté musique, vous retiendrez notamment la pop velours de Your Fault, projet de Julie Hugo (ancienne chanteuse de Solange la Frange). Cette musique aux notes envoûtantes ne manquera pas de rafraîchir la soirée à l’heure où le soleil se couche. Enfin, pour apporter une touche grandiose dans ce festival, Jean-Christophe Geiser jouera sur les Grands Orgues de la cathédrale de Lausanne. Ce monument symbolique de la Cité où se déroulent les festivités contient le plus grand instrument de Suisse, que l’organiste fera sonner. Bien d’autres projets et spectacles seront présentés au public inscrit. En prenant soin de respecter les consignes sanitaires, on n’imaginait tout de même pas une année sans fête à la Cité !

Your Fault portrait ©MarySmith_Marie Taillefer
Your Fault, © MarySmith : Marie Taillefer

Les cinéphiles ne seront pas en reste cet été grâce aux différentes projections, par exemple dans les parcs de la ville. Les Toiles de Milan et les Bobines de Valency ont repensé leur organisation afin de pouvoir offrir un programme de films alléchant malgré les restrictions sanitaires. Les Rencontres du 7e Art, ainsi que le Festival Cinémas d’Afrique – Lausanne se réinventent également et vous invitent à profiter de l’écran en toute sécurité. La danse sera également à l’honneur avec la Fête de la Danse ou les Jeudis de l’Arsenic, rendez-vous hebdomadaires au format décontracté, qui accueillent aussi de la performance, du théâtre ou encore de la musique.

La plupart de ces événements sont rendus possibles grâce au programme RIPOSTE !. Selon leurs propres mots, RIPOSTE !, « c’est la réponse d’un collectif d’acteurs culturels lausannois pour proclamer la vitalité artistique du terreau créatif local ». L’Esplanade de Montbenon et son cadre idyllique avec vue sur le lac Léman a été choisie pour accueillir, chaque vendredi et samedi en soirée, une sélection de concerts, films en plein air et performances de rue. L’accès y sera limité afin de respecter les mesures sanitaires.

L’Agenda vous souhaite un bel été culturel !

Informations sur culturedebout.ch