Joël Maillard, les trucs qui lui font peur et les choses dont il a marre

Après s’être frotté au théâtre à travers ses propres textes et mises en scène pendant de nombreuses années, Joël Maillard se lance dans le stand-up. Il ne sait pas comment faire, mais il est en quête perpétuelle de dilettantisme. Résilience mon cul, c’est l’artiste lui-même, face à nous, qui nous parle de ses peurs et ses doutes quant à la capacité de résilience d’une société qui fonce droit dans le mur. Des blagues, il y en a, mais pas tout le temps. C’est drôle et triste, étonnant et inspirant.

Texte et propos recueillis par Jeanne Möschler

Du théâtre au stand-up

Fondateur de sa propre compagnie de théâtre SNAUT, Joël Maillard joue depuis 2012 avec différent·e·s artistes dans des pièces qu’il écrit et met en scène. Elles ne sont pas forcément interactives, mais elles “mettent le public dans la fiction” à travers le dispositif scénique et visuel, explique-t-il. L’assistance a par exemple dû s’asseoir sur scène pour former un cercle de parole, dans lequel une actrice se confiait. Une autre fois, la pièce se déroulait dans une cabine noire pour une personne, seule, qui entendait des voix préenregistrées. À travers une mise en scène où le public pouvait décider de son déroulement en appuyant sur des boutons, Joël Maillard a tenté encore une fois de trouver un autre rapport entre acteur·ice·s et spectateur·ice·s, mais il conclut finalement que “c’était raté”. Il décide, en 2017, de revenir à des formes de théâtre plus traditionnelles, avec les gradins d’un côté, et la scène de l’autre. Et cette fois sous la forme d’un stand-up.

Mettre les pieds dans le plat

Le spectacle est presque dénué de mise en scène, juste un micro, un synthétiseur et Joël Maillard lui- même qui nous parle de ses obsessions et ses craintes. Il choisit d’en exagérer certaines tandis qu’il en atténue d’autres. Les thèmes sont inspirés de sa vie et de la vie, ce qu’il dit peut être vrai ou faux, il nous le dit mais on n’est pas obligé de le croire. Les sujets dont il parle sont “touchy” car “c’est important d’essayer de mettre les pieds dans le plat”. Ainsi, le comédien commence en s’interrogeant sur le bien-être et les moyens surabondants pour tenter de le trouver dans notre société. Les rayons des librairies débordent d’ouvrages sur le développement personnel, les sites regorgent d’articles sur la pleine conscience et on trouve des coachs et tutoriels à pléthore. “C’est pas que ça fait pas sens”, estime l’artiste, “(…) mais quand on en est à faire ça, c’est comme si tous les autres problèmes étaient résolus et qu’on en est déjà au stade où on a plus qu’à mieux respirer. Il admet avoir tenté un cours de méditation et a été effrayé par l’image de notre société qui recherche le bonheur individuel: “C’était chiant et j’eu l’impression d’être au McDo: on donne aux clients la même recette avec des phrases toutes faites et des citations du Dalaï Lama hors-contexte. Ca faisait aucun sens.”

Une société problématique, capable de résilience?

Ce business du bien-être entre au final dans la structure du capitalisme qui nous force à adopter un regard très individuel sur le monde. Joël Maillard en parle, du capitalisme. Il le chante même, accompagné de son synthétiseur, “j’encule pas le capitalisme (..) j’encule le capitalisme”. Il l’encule ou pas? Non, car en plus de ne pas savoir où est son trou, l’artiste est dépendant des contribuables: “il y a des gens qui ont assez de thune pour que ça ruissèle à quelque chose d’aussi inutile que l’art”. Se déclarer anticapitaliste est paradoxal du moment où la personne qui le prononce reçoit un salaire, estime l’artiste – qui ne voit idéologiquement pas d’alternative réaliste et viable à long terme à ce système. D’ailleurs vivre et mourir, c’est un autre sujet qui préoccupe Joël Maillard: “La mort, j’y pense beaucoup. Parmi les choses qui me retiennent dans la vie, il y a le fait que je suis incapable d’écrire ma lettre d’adieu.” Ce passage a finalement été coupé du stand-up afin de garder un équilibre entre les moments drôles et ceux sans blague. Ce que notre interlocuteur préfèrerait serait de se réveiller une semaine “tous les dix ans ou tous les siècles”, pour voir comment la société va se redresser après la catastrophe. Il pense que l’espèce humaine ne disparaitra pas à cause du réchauffement climatique: c’est trop grand, il y a des gens avec beaucoup d’argent qui pourront s’en tirer. Mais quelle humanité va advenir après l’effondrement? La société devra faire preuve de beaucoup de résilience pour se reconstruire sur ses débris. Et c’est une question de comportement, de décision, pas de foi: notre interlocuteur à la tignasse bouclée s’est converti à l’athéisme. “J’ai de la peine à respecter un Dieu qui veut brûler les homosexuels”, témoigne-t-il. Et cela ressort explicitement dans son spectacle quand il a des flatulences et que c’est Dieu qui s’exprime sous la forme d’un pet, et “ce n’est pas un blasphème parce que je n’y crois pas”. Et ce Dieu, c’est le Dieu de tout le monde, des chrétien·ne·s comme des musulman·e·s ou des autres religions.

Photo: Dorotheģe Theģbert-Filliger

Dire tout haut ce qui se pense tout bas

Cependant, Joël Maillard reconnaît qu’il est parfois délicat de parler de certains sujets. S’il y en a qu’il évite car sa pensée n’est pas assez arrêtée, il estime qu’il faudrait continuer à tout dire, tout en admettant qu’il y a des thèmes délicats: “une même phrase dite par une personne d’un certain âge, d’un certain genre, ça fait des effets très différents selon à qui elle est adressée”. Il exemplifie cette situation à travers une scène imagée de son stand-up, dans laquelle il s’adresse à un homme du public en rêvant qu’ils aient un coup de foudre amical et qu’ils iraient se poser dans un bar, boire, discuter et refaire le monde. “Dire ça à une femme, je pourrais mais j’ose pas”, admet-il tristement. Car en plus de sa position dominante d’artiste (qui coche toutes les cases de l’homme blanc cis hétéro) avec le micro et totalement libre d’expression, il y a forcément un arrière-plan culturel qui fait qu’on le soupçonnerait “de malveillance”. Mais ce qui ne se dit pas il le prononce tout haut, alors à la fin, il ajoute: “qu’est-ce que ça aurait fait si j’avais dit ça à une femme?”

Où le retrouver ?

En ce moment même au Théâtre St-Gervais à Genève

Joël Maillard reprend également cet automne le spectacle Quitter la Terre, à voir au Casino-Théâtre de Rolle les 14 et 15 octobre, et au Théâtre Benno Besson à Yverdon le 9 décembre. On peut également découvrir un week-end de carte blanche autour de son travail, au Pommier, à Neuchâtel, du 10 au 13 novembre.

Résilience mon cul

Dates à venir:

Puis en 2023:

  • Bibliothèque de Vevey
  • Nuithonie, Fribourg
  • Théâtre ABC, La Chaux-de-Fonds
  • Usine à Gaz, Nyon
  • Théâtre du Jura, Delémont

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Photo de haut de page: David Gagnebin-de Bons