Littérature

Salon du Livre

Le paradis du livre

Depuis hier et jusqu’au 26 mars se tient le Salon du Livre à Genève. Tous les genres sont à l’honneur: le roman, la bande-dessinée et même le manga. Chacun∙e trouvera son bonheur dans cet immense espace dédié au livre.

Texte et propos recueillis par Frida

À l’occasion de l’inauguration de cet événement, diverses personnalités ont pris la parole. Claude Membrez, directeur de Palexpo, est revenu sur la période covid qui a perturbé l’organisation du salon trois années de suite. En 2022, il avait trouvé pour ses rencontres une alternative citadine, prenant place dans divers lieux culturels en ville de Genève. Ce n’est véritablement qu’en 2023 que le salon reprend sa forme originelle avec d’agréables innovations. Trois nouvelles scènes ont en effet été créées:

  • Le Forum, consacré à des thématiques actuelles
  • Les Loges, qui nous font pénétrer dans les coulisses de la préparation d’un livre
  • Le Salon Africain, élaboré autour de plumes connues et émergentes

Plusieurs rencontres et animations sont organisées dans chacun de ces nouveaux espaces.

Pierre Albouy

Photo: Pierre Albouy

Cette édition réserve également une très belle surprise pour les passionné∙e∙s des lettres car, pour la première fois, l’accès au Salon sera entièrement gratuit! Cette démarche permet une démocratisation de la littérature francophone.

Thierry Apothéloz, Conseiller d’Etat, a rappelé que l’ensemble des acteur∙ice∙s du livre ont été convié∙e∙s à cet évènement: les écrivain∙e∙s, les éditeur∙ice∙s, les libraires, les lecteur∙ice∙s et les médias. Ce monde semble en plein essor, comme le montre l’ouverture prochaine du Musée de la Bande-Dessinée à la Villa Sarasin au Grand Saconnex. La Suisse confirme sa place importante dans la création littéraire et la liberté artistique. Certaines plumes ont pu faire paraître leurs œuvres seulement grâce à cette ouverture et cet esprit de tolérance; sans Genève, nous n’aurions jamais pu lire L’esprit des Lois de Montesquieu.
L’homme politique explique que le Parlement continue dans cette voie en soutenant les acteur∙ice∙s du secteur et en apportant des aides aux professionnel∙le∙s trop souvent oublié∙e∙es tels que les scénaristes de bande-dessinée ou les traducteur∙ice∙s.

Pierre_Albouy

Photo: Pierre Albouy

Pour terminer cette inauguration avec brio, deux auteures se sont interrogées sur ce que signifiait le fait d’écrire. Deux auteures qui, comme l’a si bien déclaré Claude Membrez, “portent loin et fort la vitalité de la littérature”.

  • Pour la romancière suisse Céline Zufferey, qui revient au Salon pour présenter son deuxième ouvrage Nitrate, écrire est synonyme de recherche mais aussi d’égoïsme et d’obsession. En écrivant, nous apportons au monde un objet qui n’est a priori pas nécessaire, quelque chose dont personne n’a besoin. Se plonger dans cette activité c’est se lancer dans un monde incertain, ignorer si nous parviendrons à terminer notre phrase, notre roman et si nous le verrons publier un jour. Cette entreprise solitaire peut devenir un échange dès lors qu’un public se manifeste.
  • Ernis, poétesse, écrivaine et slameuse, a déclamé quant à elle une véritable ode à l’écriture. “Ecrire pour apprendre à vivre, vivre pour écrire, écrire pour ne pas périr.” Elle lie cette passion au mouvement, à la liberté et au voyage. Aucune frontière ne se dresse quand nous rédigeons un texte. Nous devenons des enfants du monde et non d’une culture précise ou d’un pays spécifique. Toutes les barrières s’effondrent. Elle a partagé une création puissante, un poème vibrant d’émotion et d’une rage profonde qui nous remue et nous parle.

Jusqu’à dimanche se déroulent à Palexpo des débats, des conférences, des séances de dédicaces et des expositions. Le Salon n’oublie pas non plus les enfants: comme chaque année, ces derniers retrouveront l’Ilot Jeunesse ainsi que des ateliers bande-dessinée. Un coin est également réservé aux aides pouvant être apportées aux personnes ayant des difficultés d’apprentissage et touchées par exemple par la dyslexie.

Vous l’aurez compris, le partage et la diversité seront au cœur de ce Salon du Livre 2023.

Le Salon du Livre
Du 22 au 26 mars 2023
Palexpo, Le Grand-Saconnex

salondulivre.ch/

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Une fenêtre virtuelle sur l’espace créatif d’un∙e artiste

Lancement des résidences numériques saisonnières de la Ville de Lausanne

En ces temps contrariés de rencontres en chair et en os émergent à point nommé les résidences littéraires virtuelles de la Ville de Lausanne. À chaque saison, son artiste et la proximité de votre écran pour des incursions au sein d’univers variés. Et c’est avec toute la souplesse et le confort d’un contenu accessible en ligne sur un temps étiré que vous décidez des plages libres que vous dévouez à la culture en train de s’élaborer.
Alors que la 6e édition du Printemps de la poésie est sur le point de démarrer (faites donc un détour par son édito mordant!), c’est le poète, musicien et chanteur vaudois Stéphane Blok qui inaugure le cycle mars-avril débarquant du côté de chez vous avec sa poétique urbaine et à n’en point douter une guitare sous le bras. Faites-lui bon accueil!

Texte et propos recueillis par Marion Besençon

Photo: JP Fonjallaz

Un printemps lausannois poétique

Deux mois en connexion virtuelle avec un artiste donc et le partage de sa bibliothèque idéale constituée de ses lectures formatrices, la visite des bibliothèques municipales comme témoignage du lien précieux aux livres, des interviews filmées et écrites qui révèlent le travail artistique ainsi que des photographies privées nous dévoilant les rencontres marquantes de ces vies riches.

“Devant notre local en 1996, avec Arthur Besson, Marcket Besson et Grégoire Guhl, à la création de l’album Les Hérétiques qui sera plus tard signé par Boucherie Production à Paris. © Stéphane Blok

Autant de rituels de découvertes de ces artistes lausannois∙es que nous aurons vite fait d’intégrer quotidiennement, ainsi que des surprises… En effet, comme nous l’expliquait Isabelle Falconnier, déléguée à la politique du livre à Lausanne et en charge du projet: “Pas de maisons physiques mais virtuelles qui s’adaptent à l’univers d’un auteur: internet et ses nouvelles habitudes permettent de présenter un auteur dans toute sa variété”.

Aussi, le poète et musicien Stéphane Blok – également président du jury du concours Écris tes lignes de vie! (dont les meilleurs poèmes seront diffusés sur le réseau tl du 20 mars au 3 avril) – livrera une performance en forme de lecture musicale de son recueil Autres poèmes le 1er avril prochain. Un live depuis la Bibliotheca du Lausanne Palace à suivre dès 19h sur la page Facebook “Lire à Lausanne”.

Et cet été?

Après un printemps résolument tourné vers la poésie, c’est l’écrivaine, peintre et présidente de l’association vaudoise des écrivains (AVE) Marie-José Imsand qui nous ouvrira les portes de son univers créatif. En juin et juillet, il sera ainsi spécifiquement question des métiers de l’écriture et du statut de l’écrivain∙e à l’époque qui est la nôtre. “Un regard large sur les écrivains, le métier, et la réalité d’écrire” promis par Isabelle Falconnier et que L’Agenda suivra avec passion et intérêt.

Les résidences littéraires de la Ville de Lausanne, un nouveau rendez-vous culturel chaleureux et intimiste à rejoindre dès à présent depuis le site de la Ville et la page Facebook.

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Lectures estivales

Lectures estivales

Polar, feel-good ou encore fantastique, les romans à emmener en vacances se déclinent dans tous les genres. Les plumes romandes ont toujours beaucoup à offrir et il y en a pour tous les goûts. Voici un échantillon parmi les coups de cœur de L’Agenda.

Texte : Inès Fernandes

Parmi le nombre toujours plus conséquent des parutions littéraires romandes, la rédactrice de ces lignes a choisi de s’arrêter sur les livres de Nicolas Feuz, Marie Javet et Catherine Rolland, respectivement publiés par Slatkine & Cie, les Éditions Solar et les Éditions OKAMA. Ce choix repose essentiellement sur un désir de présenter la diversité des genres et des styles : un polar rythmé à l’écriture aiguisée, un feel-good lumineux d’une plume exigeante et un roman fantastique au goût d’aventure.

L’engrenage du mal de Nicolas Feuz

L'engrenage du mal
Nicolas Feuz, L’engrenage du mal, Slatkine & Cie, 2020

Troisième opus des aventures de Tanja Stojkaj, Norbert Jemsen et Flavie Keller, ce nouveau polar se concentre principalement sur le personnage de Tanja pour en souligner le caractère fort et indépendant déjà esquissé dans les tomes précédents. L’intrigue est construite en allers-retours entre un procès et les actes qui y ont conduit. Le suspense réside justement dans cette structure à la dualité bien familière de l’auteur. Dès les premiers chapitres, on se demande quel est l’enjeu du procès, qui sont les victimes, qui sont les témoins, et l’on doute même de l’identité de l’accusée. Dans L’engrenage du mal, Nicolas Feuz retrouve un style tranchant et précis, sans se départir du sens du rythme qui fait sa signature. Haletant et intriguant, ce polar se lit rapidement et, pour une fois, sans trop retourner les estomacs fragiles ou choquer les âmes sensibles.

Toute la mer dans un coquillage de Marie Javet

Toute la mer dans un coquillage
Marie Javet, Toute la mer dans un coquillage, Éditions Solar, 2020

Ce roman lumineux qui fait du bien à l’âme est le premier du genre pour Marie Javet. On y retrouve Claire, une femme inspirante qui, suite à une déconvenue professionnelle, décide de changer radicalement de vie. Elle nous emmène alors dans ses bagages jusqu’au sud de la France où elle se réinvente en suivant une pensée minimaliste. Avec une plume qui n’a d’égale qu’elle-même, Marie Javet nous propose ici une véritable ode au minimalisme et à la recherche de soi, tout en douceur et en sincérité. Humour, amour et découverte se côtoient dans ce roman, et l’on se prend à rêver de laisser nos traces de pas sur une plage du Midi, à l’image de Claire. La protagoniste apparaît comme une « Madame tout le monde » à qui il est facile de s’identifier. Déterminée à profiter de la vie plutôt qu’à la subir, elle ne se laisse pas démonter par les déceptions qui tentent de lui barrer la route. Son caractère humble ne laissera personne de marbre dans un roman qui sent bon le bien-être.

La Dormeuse de Catherine Rolland

La Dormeuse
Catherine Rolland, La Dormeuse, Éditions OKAMA, 2020

Cette aventure fantastique au cœur de la cité antique de Pompéi est portée par des personnages marquants. La protagoniste paraît de prime abord détestable, mais on finit par s’attacher à elle et on ne veut plus la quitter lorsqu’elle nous emmène à travers le temps pour vivre les derniers jours de Pompéi à sa manière. Adepte du réalisme magique, Catherine Rolland parvient à donner vie à des personnages historiques en leur prêtant des failles et des défauts que tout humain peut reconnaître en dépit des époques différentes. Ainsi, on s’identifie sans peine à une jeune fille pompéienne, autant qu’à une vielle femme française. La Dormeuse, bien que long, se lit sans accrocs car son rythme est bien mené, passant d’une période historique à une autre avec une aisance et un naturel déroutant. Une aventure plaisante à lire, avec des protagonistes attachants et des rebondissements surprenants.


Bonus : le coup de cœur importé avec Nuuk de Mo Malø

Nuuk
Mo Malø, Nuuk, Éditions de La Martinière, 2020

Un polar glacé pour un été caniculaire : Nuuk nous emporte dans la neige et la nuit groenlandaises. Malouin d’origine comme son nom l’indique, l’auteur manie une écriture entre suspense et ethnographie pour ce troisième volet des aventures du commandant Qaanaaq Adriensen. Moins violent que les deux précédents, Nuuk se veut plus proche des réalités sociales du pays qu’il prend pour décor. Mo Malø s’est notamment inspiré de son voyage sur place pour décrire les lieux avec une précision à faire froid dans le dos. Il invite son protagoniste à visiter les quatre coins de l’île alors qu’une série de suicides frappe la jeunesse groenlandaise. À cela s’ajoute les paquets macabres reçus par le policier à chacun de ses déplacements pour qu’un puzzle haletant se mette en place. Bien écrit et intelligent, Nuuk n’en perd pas pour autant la touche d’émotion et d’amour propre à l’auteur qui parvient à nous faire rêver tout en racontant des atrocités dans un polar.

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Tombent les anges par Marlène Charine

Marlène Charine, lauréate du Prix du polar romand 2020

Ce lundi 29 juin 2020, le jury du Prix du polar romand a élu la lausannoise Marlène Charine avec son roman Tombent les anges. Le cachet de 3’000 francs ainsi que la renommée accordée par le prix reviennent pour la première fois de leur histoire à une femme, après avoir couronné Joseph Incardona (Chaleur, 2017), Nicolas Verdan (La coach, 2018) et Frédéric Jaccaud (Glory Hole, 2019). Le jury – composé de Stéphanie Berg, Valérie Dätwyler, Isabelle Falconnier, Jean-Luc Gremaud, Cécile Lecoultre et Michel Sauser – a souhaité récompenser les qualités d’écriture ainsi que la construction du récit dans Tombent les anges.

Texte: Inès Fernandes

Tombent les anges – premier roman du genre pour Marlène Charine – met en scène le personnage de Cécile Rivière qui, lors d’un contrôle de police à l’apparence banale, expérimente des sensations hors normes qu’elle ne comprend pas. Ses agissements surprenants l’aliènent aux yeux de ses collègues. Mise à pied, elle part se réfugier chez sa sœur en Provence. Là, elle reçoit un appel du capitaine Kermarec qui souhaite en faire sa stagiaire et travailler avec elle – et surtout ses facultés étranges – sur une affaire peu commune. Cécile rentre à Paris pour se lancer, avec une nouvelle équipe à ses côtés, dans une enquête éprouvante qui la mènera au bout d’elle-même.

Tombent les anges
Tombent les anges, Calmann-Lévy, 2020

Le point fort du roman est sans nul doute son côté fantastique qui le différencie de la plupart des ouvrages du genre. Avec un rythme qui va crescendo, ce roman a d’abord les allures d’un polar assez classique. Puis des phénomènes étranges s’invitent dans la trame et les chapitres s’enchaînent sans plus nous laisser de répit. Le polar classique se mue alors en thriller paranormal haletant et addictif. Porté par une écriture fluide et sans fioritures, ce polar est un coup de poing dans les idées reçues du genre.

L’auteure, née en 1976 à Lausanne, est ingénieure en chimie de profession et spécialiste en droit alimentaire. Habitant aujourd’hui à Bâle, elle garde des liens affectifs avec Lausanne, ce qui accentue son sentiment de fierté pour avoir gagné le Prix du polar romand, un prix organisé par le service des Bibliothèques et Archives de la Ville de Lausanne et le festival Lausan’noir. On la sent émue dans l’interview d’acceptation de sa récompense, partagée sur le site du salon Lausan’noir.

MARLENE CHARINE
© Bruno Lévy

Coup de cœur de la rédactrice de ces lignes, Tombent les anges est un polar différent où l’on explore les intuitions et la confiance en soi, tout cela porté par le sarcasme et la grande gueule de la protagoniste, un personnage que l’on n’est pas près d’oublier!

Marlène Charine, lauréate du Prix du polar romand 2020 Lire la suite »

Perdre pied dans la passe

En mars dernier, Drame à Wally Creek a rejoint la collection Frisson des éditions Plaisir de Lire. Une troisième publication pour l’auteure vaudoise Catherine May, qui avait signé Les sacrifiés d’Eyrinques aux éditions Xenia en 2014, puis séduit Plaisir de Lire en 2017 avec son macabre London Docks. Dans ce nouveau roman qui tient plus du drame psychologique que du polar, la solitude et les non-dits attirent irrémédiablement une famille d’un patelin canadien dans le gouffre.

Texte: Katia Meylan

Tout juste sorti de l’école de police, Matthiew Campbell est affecté à Ucluelet, un petit village du Canada où, en théorie, jamais rien ne se trame. Pourtant, un jour qu’il rentre de sa virée quotidienne en kayak, il découvre un cadavre dans la passe. Il en informe la police de Victoria qui lui envoie des renforts en la personne de Joan Thibault, cheffe de service. Le cadavre est rapidement identifié comme celui de Cole Kinnaman, un employé de la pêcherie du village. Les deux protagonistes se lancent alors dans une enquête sur le couple Kinnaman qui, deux ans auparavant, avait été frappée par la mort accidentelle de leur enfant de cinq ans. Que s’est-il passé entre la mort du fils et celle du père? Au fil de leurs découvertes, Campbell et Thibault se rapprochent alors qu’ils tentent de démêler les secrets des vies de Cole et des suspects.

L’auteure laisse à peine trois pages à Campbell pour profiter d’un après-midi paisible et faire le point sur ses premiers mois en poste, entre embouteillages et sauvetages de chats, avant de le confronter au cadavre qui occupera son esprit jusqu’au dénouement sordide. Cette découverte englue immédiatement le rythme du récit, et dès lors – comme dans tous les romans de l’auteure, ce qu’elle observe elle-même comme étant sa “patte” – l’enquête patinera, lente et opaque, à l’image des vies des habitant·e·s de ce petit village de pêcheurs.

Le cadre du récit s’est imposé naturellement à Catherine May qui, lors de vacances dans la région, avait eu un coup de cœur pour la Colombie Britannique. “J’avais envie de m’inspirer d’un vécu positif pour décrire les lieux, les textures, évoquer les sapins, l’eau, l’humidité, la lumière particulière de l’Ouest”, nous raconte-t-elle. “Le phare que je décris, l’usine à poisson avec les gars qui à la fin de la journée vont rejeter les entrailles à l’eau, les pubs poisseux, je les ai visités!”. Enthousiaste quand elle parle du décor de son roman, elle nous dit avoir voulu montrer dans sa trame un autre aspect: celui de la solitude humaine renforcée par la solitude géographique.

Photo: Marie Castella

On devine en Catherine May une fervente consommatrice du genre noir, sur papier ou sur pellicule, alors qu’elle cite parmi ses inspirations les romans de Patricia Cornwell ou les séries Broadchurch, Happy Valley et The Killing.
“Mon idée était de faire quelque chose de très noir, mais sans psychopathe ni succession de meurtres épouvantables. Je voulais plutôt explorer la psychologie humaine, les événements qui mènent une personne à perdre totalement pied”.
Drame à Wally Creek comporte quelques scènes qui ébranlent. L’auteure utilise ces “images sidérantes”, imprimées en elle par des séries, des faits réels ou débarquées sans crier gare dans son imagination, non pas pour s’y appesantir mais pour traduire la détresse des personnages. Une détresse engendrée, elle, par une conjonction d’événements susceptibles de survenir dans n’importe quelle vie: la perte d’un enfant, l’éloignement irrémédiable dans un couple,  les silences, la solitude… jusqu’à ce qu’un personnage, par cette succession de malheurs, devienne une “allégorie de la tristesse”.

On trouve chez Catherine May des protagonistes tangibles et réalistes. “Ce qui m’intéresse”, appuie-t-elle, “c’est l’alchimie qui se crée ou non entre les personnalités, et les rôles que l’on joue, entre ce qu’on dit, ce qu’on cache, comment on se montre et comment on pense que l’on nous voit”.
On découvre avec satisfaction que les histoires d’amour entre ses personnages ne suivent pas les tracés habituels; tant dans l’évidence avec laquelle l’une naît sans rebondissements factices, que dans la complexité avec laquelle une autre, touchante dans ses reliefs, se corrode. Les personnages secondaires, notamment l’ex individualiste, l’affable légiste ou encore le compétent adjoint dénué d’humour contribuent de leur aura à influencer l’atmosphère des scènes.

Pendant tout le cheminement de l’enquête, on avance au rythme collant des inspecteurs, n’espérant même plus que justice soit faite mais doutant plutôt que justice il y ait, devant le sort peu clément que l’univers réserve aux êtres.

Catherine May nous confie avoir senti le besoin de se dépayser dans un tout autre environnement que celui de London Docks, dont l’écriture implique des recherches historiques pour l’exactitude du décor et des mentalités des années 80. La suite du thriller londonien est désormais en cours de rédaction mais en attendant, l’auteure nous laisse parcourir les distances d’Ucluelet.

Drame à Wally Creek
De Catherine May, éditions Plaisir de Lire

www.plaisirdelire.ch

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Le Texte au théâtre

C’est dans une ambiance conviviale et élégante que commence le petit-déjeuner littéraire. Entre deux bouchées, le public s’apprête à écouter Daniel Mesguich parler de son essai “Estuaires”.

Texte: Sofia Marazzi

Autour d’un petit-déjeuner organisé par les rencontres Payot Librairies et l’Hôtel NH, où se déroulaient diverses manifestations proposées par l’Alliance Française de Fribourg, nous avons eu le plaisir de rencontrer Daniel Mesguich, que la Présidente de l’AFF Monique Rey a introduit avec beaucoup d’enthousiasme, présentant en quelques mots les diverses facettes de son parcours: son travail de metteur en scène, ses enseignements en tant que professeur de théâtre, et son œuvre d’écrivain.

L’auteur ouvre ensuite la rencontre avec la lecture d’un extrait de son livre: sa voix, le voit-on, est habituée à capter l’attention du public. Daniel Mesguich, aujourd’hui à Fribourg pour présenter son livre “Estuaires” paru en 2017 et qui recueille le fruit de 40 ans de travail, est tout d’abord un acteur animé par une grande passion pour les livres et le travail d’écriture. La lecture de sa préface au “Prince de Hombourg” qu’il a lui-même mis en scène, invite le public à un va-et-vient teinté de philosophie entre le spectacle qu’il s’apprête à voir et ce qui l’entoure: une sorte de mise en abîme de l’expérience du spectateur, entre réalité, scène et fiction.

Mais pour que cette réflexion prenne tout son sens, le public doit savoir qu’il est en train d’assister à une mise en scène, au lieu de se laisser transporter dans le monde qui est déployé sur les planches. Pourquoi insister sur ce paradoxe?

Le texte, selon Mesguich, est toujours présent au théâtre (qu’on le veuille ou non), et son rapport  avec nous (le public, les acteurs·trices, les metteurs·teuses en scène) est “fluctuant”, notamment pour des raisons contextuelles. La responsabilité de l’acteur·trice est donc d’interroger le texte en profondeur et de créer un lien entre l’œuvre écrite et sa propre performance. L’onomatopée et la polysémie, notamment, auxquelles Mesguich allude sans les nommer, lui offrent la chance de “célèbre[r]” les mots et ainsi d’entendre toute la finesse d’un texte et de la restituer le plus fidèlement possible.

Ces acteurs·trices savent, quand ils·elles sont sur scène, qu’ils·elles sont en train de jouer, de montrer la mise en scène d’un texte, et que la leur n’est que l’une parmi les interprétations possibles, et le·la spectateur·trice, conclut Mesguich, doit ressentir et comprendre cette prise de conscience pour apprécier le spectacle dans toutes ses nuances.

Si habituellement ces rencontres se terminent par un débat ouvert au public, la discussion a déjà été suffisamment riche et Monique Rey nous convie ainsi à la séance de dédicace, où il est aussi possible, pour ceux qui ont découvert l’œuvre seulement aujourd’hui, d’acquérir le livre. Une occasion précieuse pour s’entretenir en personne avec l’auteur, malgré le peu de temps à disposition.

Tout au long de l’année, Payot organise de nombreux événements dans les cantons romands. Des occasions pour rencontrer des auteurs et des artistes, dans le cadre d’un salon ou d’un vernissage, assister à des conférences ou à des débats, et découvrir ou redécouvrir des œuvres appartenant à différents genres artistiques.

Appréciez-vous les arts visuels ou les arts vivant? Lisez-vous volontiers des BDs, des essais, des romans ou de la poésie? Consultez la liste de tous les événements et choisissez celui qui pourra éveiller votre curiosité! www.evenements.payot.ch

 

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Programme Gilbert Musy

Un bel hommage pour un homme de Belles-lettres. C’est ainsi que pourrait se résumer la conférence d’ouverture du Programme Gilbert Musy.

Texte: Christelle Bujard

Nous sommes accueillis au Foyer de la Grange de Dorigny, afin d’assister à la conférence de presse pour l’inauguration du Programme Gilbert Musy. Madame Irène Weber Henking, la directrice du CTL (Centre de Traduction Littéraire), commence par nous parler de ce grand homme. Elle nous le décrit en ces termes: “C’était un homme qui souhaitait avant tout transmettre son savoir, et sans qui la traduction littéraire ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui”. Il a fallu 20 ans à ce projet pour aboutir et derrière celui-ci, il y a une volonté de rendre hommage à cet éminent  traducteur, de sortir le·la traducteur·trice de l’ombre et de promouvoir la traduction littéraire chez la jeunesse.

Le programme Gilbert Musy est une master class de traduction littéraire qui récompense un·e traductreur·trice émérite de la littérature mondiale, en reconnaissance de son œuvre et de ses actions en faveur du travail de ses compatriotes sur la scène publique. Par l’obtention de cette bourse, l’invité d’honneur a l’opportunité de séjourner pendant trois mois au Château de Lavigny, afin de consacrer son temps à ses travaux de traduction, ainsi qu’à des projets de médiation culturelle. Ces activités publiques ont pour objectif de transmettre son savoir et son expérience à la relève dans le domaine de la traduction littéraire.

La première bourse a été attribuée à Jean-Louis Besson, remarquable traducteur du théâtre allemand, qui jouit d’une grande expérience dans l’enseignement de la traduction, de la mise en scène et de la dramaturgie. Son projet pour ces trois mois: traduire la première partie du livre de Hans-Thies Lehmann, “Tragédie et théâtre dramatique” (Tragödie  und dramatisches Theater, Alexander Verlag, 2015).

Durant la conférence inaugurale, intitulée “Traduire le théâtre, une expérience à part”, Jean-Louis Besson nous parle de son domaine de spécialité. La question principale qui se pose: traduit-on le texte théâtral comme on traduit le poème ou le roman? La réponse est non, tout simplement car le théâtre ne consiste pas uniquement en un texte, c’est également un art oral. La spécificité du théâtre se trouve dans sa représentation, celle-ci est au centre lors du travail de traduction, tout comme elle l’était lorsque l’auteur a écrit la pièce. L’une des conclusions de Jean-Louis Besson est qu’il faut connaître le théâtre pour traduire le théâtre, c’est pourquoi le traducteur du texte théâtral est très souvent lui-même comédien ou dramaturge.

En ce qui concerne le programme Gilbert Musy, les prochaines dates à noter sont les suivantes :

  • Le 15 mai à 19h30, Joute de traduction au Studio André Staiger, Comédie, Bd des Philospophes 6, 1205 Genève, avec Jean-Louis Besson, Raphaëlle Lacord et Marina Skalova. En collaboration avec la Maison de Rousseau & de la Littérature.
  • Le 26 mai à 17h, Présentation publique du travail de la master class, au théâtre de La Grande de Dorigny
  • Le 17 juin à 18h, Lecture au Château de Lavigny, avec les résidents de la Fondation Ledig-Rowohlt.

De plus, le Château de Lavigny organise de juin à septembre, le dimanche à 18h, une série de soirées ouvertes à tous pour faire connaître au public ses écrivains et traducteurs en résidence.

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Les hypallages et autres capharnaüms de Darius Rochebin

Isabelle Falconnier et les Bibliothèques de la Ville de Lausanne ont eu l’idée brillante, dans le cadre de la semaine de la francophonie, d’organiser une dictée qui a réuni une petite foule hier soir au Théâtre Boulimie.
Paré de son bloc et son stylo, émoustillé comme un premier de classe ayant hâte de passer l’examen, on attend le compositeur et locuteur de la dictée, Darius Rochebin.

Texte: Katia Meylan

20h30 passées, il est en retard mais personne ne peut lui en vouloir, on se doute bien qu’il avait affaire quelque part Quai Ernest-Ansermet à Genève. De plus, pas le temps de s’ennuyer puisque les comédiens Kaya Güner et Frédéric Gérard introduisent la soirée, invitant sur scène un spectateur qui ne s’y attendait de toute évidence pas et qui ajoutait au comique du sketch.

Entre temps, Darius Rochebin est arrivé, et commence la lecture de sa dictée. La situation a un côté familier, presque familial, conféré par l’esprit chaleureux du théâtre et peut-être aussi par la sympathie spontanée qu’inspire l’hôte de marque que l’on a l’occasion de voir tous les soirs dans son salon. Mais dans les rangs, on déchante vite, on est moins doué en orthographe que ce que l’on pensait! Des rires et exclamations fusent, on devient cancre dans la bonne humeur.

Je vous donne pêle-mêle les 10 mots qui, parmi d’autres, ont fait souffrir l’auditoire hier soir, les 10 petits mots chanceux qui ont été choisis pour représenter la francophonie en 2018:
Ohé!                     Volubile                              Bagou                                  Jactance                              Voix               Accent                       Griot                     Placoter                          Truculent                           Susurrer

 

“Qui a fait zéro faute”? demande Darius Rochebin alors que l’on a tous le corrigé en main. Aucune ne se lève. Une? Deux? Un homme en aura trois, il est salué par les applaudissements du reste de l’assemblée, dont la moyenne a entre cinq et vingt fautes. On ne vous révélera pas combien en a fait la rédaction…

La difficulté de l’exercice et la convivialité du moment auront en tous les cas renouvelé un intérêt pour la langue française!

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Chasseurs de mystères

Cover de Remi Larroque

Aujourd’hui 8 mars 2018, l’auteure franco-suisse Clara Le Corre annonce la sortie du tome III de “Hunters High Rule”, trilogie fantastique dans la veine des romans pour ados. Avant de découvrir les nouveaux mystères que devra résoudre le Club des Chasseurs durant cette dernière année de lycée, L’Agenda a rencontré Clara Le Corre à Lausanne pour quelques questions en tout en simplicité.

 

Texte: Katia Meylan

Clara Le Corre

 

 

 

C’est en effet une simplicité pleine de fraîcheur qui frappe en rencontrant la jeune femme. “Je ne cherche pas à paraître, je réponds comme ça me vient!” nous dit-elle.
Pourquoi l’envie d’écrire pour les jeunes? Parce qu’elle se sent proche de son public adulescent. “Vieille ado”, “jeune adulte”? Elle se ravise ensuite sur ces termes trop clichés. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle écrit le roman qu’elle-même voudrait tenir entre ses mains.

En effet, en découvrant les deux premiers tomes de “Hunters High Rule”, on retombe à la fin de l’enfance, lorsqu’ on s’asseyait sur son lit pour retrouver nos héros du moment, leurs péripéties et leurs histoires de cœur.

Pendant une bonne première moitié du tome I, c’est bien d’histoires de cœur, d’amitié et d’aléas de la vie de lycée dont il s’agit. On rencontre Dawne, la timide rebelle, entourée de ses meilleurs amis du Club des Chasseurs; Roman, le beau gosse râleur au sang chaud mais toujours prêt à voler au secours des opprimés; Mortimer, “le roux le plus chanceux de la ville”, organisé et ultramotivé; et bien sûr la nouvelle recrue, Leotta, si belle et si mystérieuse que le cœur de Dawne ne met pas bien long avant de chavirer. Enfin, le Club ne serait pas complet sans Cacho, chat de gouttière tenant lieu de conscience sur patte, et Linus, chauve-souris geek doté de pas mal de tocs.

Oui, dans “Hunters High Rule”, les animaux parlent, en tant que membres à part entière de la société, et à cela on nous habitue dès le départ. “Je voulais poser les bases, que l’on comprenne les personnages, que comme eux, on trouve tout à fait normal que les animaux parlent”, nous dit l’auteure.

D’autres éléments fantastiques mettent plus de temps à se dévoiler. Pourtant, on suit un Club dont le but est de résoudre les mystères. Il nous faut donc du mystère! Et il n’y a pas que le lecteur qui se demande quand est-ce qu’il pointera le bout son nez, au milieu des cours de maths, des fêtes d’Halloween et des articles à rédiger. Comiquement, les personnages aussi désespèrent devant le manque d’action…  C’est peu à peu, au fil du roman, que l’on se rend compte qu’ils affronteront bien plus que la fille populaire qui leur lance des pics, et que pour cela chacun devra faire bon usage de son pouvoir.

Sur le terme “pouvoir”, l’auteur nous reprend: “Je préfère parler de faculté, de force”. En effet, dès le départ elle tenait à ce que les “pouvoirs” des personnages restent proches de la réalité. Dawne a une force qui dépasse largement la moyenne, Mortimer a une chance sur laquelle il peut compter à 100%. Quant à Roman, sa capacité à récupérer rapidement et à ne pas sentir la douleur pourrait s’apparenter à l’analgésie. “Pour Leotta, mon imagination n’a pas été d’accord, elle voulait se faire plaisir!”, sourit l’auteure. En effet, on découvrira que la jeune fille a d’autre talents que celui de faire craquer Dawne.

Au-delà de l’intrigue, Clara Le Corre voulait surtout raconter une histoire d’amitié forte avec des personnages vrais. Dans son processus d’écriture elle s’inspire des gens qu’elle connait, et de ses expériences personnelles. Elle démarre le tome I en 2013. “Quand j’écris, cela devient une obsession”! affirme-elle. Au travail, aux études, elle prend des notes d’une main et écrit son roman de l’autre. Pas une page de cahiers sans un petit mot sur Dawne ou Cacho. Les tocs de Linus, elle les a observés dans son entourage, Roman est presque trait pour trait un ancien camarade, l’histoire de Dawne et Leotta ne lui est pas non plus pas inconnue.

Elle voulait que les lecteurs ressentent authentiquement ces liens entre les personnages, et admet que les pouvoirs et les dangers sont surtout les vecteurs qui font que les personnages évoluent, apprennent peu à peu à se connaître eux-mêmes, à connaître les autres, à se rapprocher et à faire avec les forces et les faiblesses de chacun.

On imagine que le tome III réserve encore à leurs pouvoirs et à leurs cœurs quelques épreuves. Jeune lecteur – ou lecteur de tout âge, si vous êtes resté un peu adolescent –, vous pouvez découvrir depuis aujourd’hui la trilogie complète des “Hunters High Rule” ici:

www.facebook.com/lecorredencre

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Tiffany Jaquet: lire, apprendre, se divertir

En 2016, les éditions Plaisir de lire publient le premier livre de Tiffany Jaquet, “L’Enfant du placard”. Il s’agit d’un roman ancré dans notre histoire, dont le fil du récit se déroule à Lausanne. Au gré des chapitres, l’auteur nous fait voyager entre la Suisse de 1960 et celle de 2010. En suivant les personnages de cette histoire, on se retrouve confronté à une problématique très contemporaine: nous avons oublié comment vivre avec les flux migratoires.

Texte: Gauvain Jacot-Descombes

“L’Enfant du placard” est né dans une prise de conscience douloureuse. Les dernières générations de Suisse n’ont aucune idée de la réalité des Italiens, des Espagnols et des Portugais venus sur le sol helvétique pour travailler dans les années 60. Au cours de ses recherches, l’auteur visionne un reportage de la RTS datant de 2009, le Temps Présent de Raphaël Engel, “Les enfants du placard”. Ce terme était utilisé pour évoquer les enfants de saisonniers contraints de rester cachés dans le logement familial afin d’échapper, aux dénonciations et à l’expulsion vers leurs pays d’origine. En effet, la loi suisse s’opposait alors au regroupement familial. Charles Heimberg, historien du mouvement ouvrier, parle dans ce reportage de “drame social occulté”. Toute cette problématique gravite autour de contrats de travail qui déchiraient les familles, car ils leur interdisaient d’emmener leurs enfants avec eux. Ces enfants des placards se retrouvaient alors livrés à la solitude. Et du même coup, ils étaient privés de tout accès légal à la scolarité.

Lors de notre entretien, l’auteur nous livre une des clés de lecture de la problématique qu’elle aborde. Une partie de l’intégration des saisonniers “passe par les enfants, par l’éducation, par l’école, par leur entourage et leurs interactions sociales. Sans ça personne n’avance et personne n’est heureux “. Férue de littérature classique et contemporaine, elle apprécie particulièrement Zola et Hugo. L’auteur reconnaît aussi avec un sourire complice avoir été influencée par un roman de Tatiana de Rosnay, “Elle s’appelait Sarah”, dont on peut retrouver quelques éléments dans la structure de “L’Enfant du placard”. Par exemple, grâce au découpage temporel du récit par chapitres, on passe très facilement d’une époque à une autre pour apprécier les aventures des différents personnages qui évoluent dans le récit à plusieurs décennies d’écart.

 

Pour son premier roman, Tiffany Jaquet réussit à nous divertir grâce au mystère qu’elle tisse autour de Claire, son personnage principal. De plus, elle utilise un style d’écriture précis, habile et immersif qui accompagne le lecteur page après page. Finalement, elle nous invite aussi à prendre connaissance d’un pan de notre histoire contemporaine. Que demander ensuite? Un nouveau roman? Il est en cours de rédaction.

www.plaisirdelire.ch

Pour aller plus loin: https://pages.rts.ch/emissions/temps-present/immigration/856134-les-enfants-du-placard.html?anchor=856136#856136

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Boire des vers au Café Littéraire de Vevey

L’établissement offre “une plateforme de promotion et de visibilité pour les artistes de la région” tout en proposant “une petite restauration à base de produits locaux et de saison”. Tous les premiers jeudis du mois, le collectif Caractères mobiles, composé de Catherine Favre, Mathias Howald et Benjamin Pécoud, se réunit au Café Littéraire pour une séance d’écriture publique entre 17h et 20h.

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Photo: Caractères mobiles

C’est dans ce décor que j’ai rendez-vous avec Mathias Howald pour un entretien et que je m’apprête à déguster la forme d’écriture publique que le collectif propose. Dans le Café, l’ambiance est chaleureuse. Je choisis une table proche de celle où le collectif est en effervescence. Une serveuse me demande ce que je désire consommer et glisse sur la table un carton de commande pour un texte. Je m’exécute: une citronnade maison au gingembre et des maux en migration, s’il vous plaît! Quelques minutes plus tard, ma citronnade est servie et les auteurs s’activent pour achever la précédente commande avant de se mettre à la mienne.

Mathias Howald me rejoint: “Ce qui est proposé ici, c’est la possibilité de passer une commande”. Dans la foulée, il poursuit: “L’un des membres du collectif va écrire un texte pendant une trentaine de minutes”. Les indications présentes sur le carton me reviennent à l’esprit: “Pour une commande de texte, venez vers nous. Ou écrivez ici le thème de votre commande”. Je lui demande comment celle-ci me sera remise. L’auteur répond: “Elle sera imprimée sur une demi page A5”, sous cette forme, le texte objet prend alors le nom de “marque-page”, et une fois estampillé d’un cachet avec les références du collectif, il est daté et signé. J’ai ensuite voulu en savoir plus sur leur site internet. L’auteur m’explique qu’après un très léger travail de réécriture, leurs textes y sont archivés. Il me confie l’un des espoirs du collectif: réaliser une édition à partir de leurs productions. Après une courte interruption, il reprend: “La présence des textes sur le site est aussi une invitation pour les lecteurs à les parcourir”.

Avant que l’entretien ne touche à sa fin, je l’oriente sur leur pratique d’écriture publique. Il me présente alors leur démarche: nous cherchons à “aller vers des formes plus mobiles, plus proches du lecteur”. Il ajoute que, pour eux, au centre de la relation lecteur-rédacteur, il y a “le plaisir de réaliser des commandes”,” le désir d’être lu” et celui de “partager quelque chose avec le lecteur”.

Enfin, l’entretien s’achève par un commentaire sur leur présence visuelle dans le Café. Dans ce lieu, l’acte d’écriture publique n’a besoin “[ni de] mise en scène sur une estrade [ni de] représentation”. Il ajoute avec un sourire complice que “pendant la phase de rédaction, le lecteur peut se laisser porter par son imagination et essayer de deviner ce que nous sommes en train de faire avec sa commande”.

Envie de devenir ce lecteur? Le prochain Kiosque Littéraire aura lieu le 2 mars 2017 au Café Littéraire.

Texte: Gauvain Jacot-Descombes

www.caracteresmobiles.ch/

www.lecafelitteraire.ch/

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Les nouvelles masquées de Sabine Dormond

ob_6b81bf_soupcon-dormondLe Parfum du soupçon est le troisième recueil de nouvelles de Sabine Dormond paru aux Éditions Mon Village. Dix fragrances sur lesquelles domine toujours le soupçon. Trahisons, mensonges, dissimulations: les personnages jouent à cache-cache avec la réalité et sont prêts à tout pour garder leurs secrets ou perpétuer l’illusion…

L’auteur instaure ainsi  un jeu avec son lecteur, et voilà ce dernier qui traque la fuite, observe la feinte, cherche l’odeur du soupçon entre les lignes. Il appréciera de deviner la chute ou de se laisser surprendre, selon les indices laissés à dessein ou non. Surtout, il se laissera emporter sans peine par le style limpide et incisif de Sabine Dormond, qui sait provoquer tant le rire que la tendresse ou l’indignation.

Avec la finesse d’une chimiste, l’auteur vaudoise dose et crée différents arômes dans les des dix nouvelles qui composent le recueil. Chacune fonctionne avec son univers et sa logique propre: cette diversité fait la richesse de la lecture. Les thèmes sont variés même si l’on suit un fil rouge ténu, celui de la marginalité. Sabine Dormond s’intéresse aux âmes blessées par la vie, par la société ou par eux-mêmes. On croise ainsi des prisonniers, des immigrés. D’autres sont prisonniers de leur propre folie ou étrangers à eux-mêmes.

L’univers que dépeint Le Parfum du soupçon est fait d’illusions et de préjugés qui agissent avec beaucoup plus de force que n’importe quel coup de poing. La résolution de “Corde raide” ou le huit-clos désagrégé de “Ensilencement” sont, sur ce point, particulièrement poignants. Mais il y a aussi de l’espoir et de la lumière, et ce n’est pas l’activiste de “la gueule de l’emploi” qui dira le contraire. Une lecture agréable, stimulante, qui titille tant la curiosité que le  goût des mots habilement arrangés.

Texte: Marie-Sophie Péclard

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Une croisière littéraire en compagnie de Metin Arditi

À bord du bateau Le Lausanne, spécialement affrété pour héberger des évènements connexes au festival morgien « Le livre sur les quais », plusieurs rencontres littéraires ont eu lieu ce dimanche 4 septembre. L’une d’entre elles était une entrevue de l’écrivain Metin Arditi, animée par la journaliste Pascale Zimmermann.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, c’est-à-dire le nouveau roman « L’enfant qui mesurait le monde » publié par Arditi aux éditions Grasset, Pascale Zimmermann demande à l’écrivain si celui-ci aime les bateaux et le lac Léman. La réponse affirmative permet à Metin Arditi de raconter un pan de son enfance et plus précisément sa venue en Suisse à l’âge de sept ans pour étudier dans un internat à Paudex. Celui-ci, qui n’existe plus à l’heure actuelle, était situé au bord du lac. Pour Arditi enfant et ses petits camarades, le lac Léman avait un côté sacré et intime. L’internat était un éloignement parfois difficile mais personne n’aurait osé s’en plaindre. Lors de moments de faiblesse, l’enfant qui allait « au bord du lac » n’était jamais dérangé, ni par ses collègues ni par les professeurs et pouvait ainsi évacuer son trop-plein d’émotions.

Partant du lac, l’auteur aborde le thème de la mer, aussi très présent dans ses romans. Son dernier livre se passe en Grèce, dans une île inventée qui a pour origine l’île de Spetses, dans laquelle Arditi se rend régulièrement.

Metin Arditi prépare également un dictionnaire amoureux de la Suisse qui paraitra aux éditions Plon l’année prochaine. Une anecdote amusante est que lorsqu’il a commencé à écrire ce dictionnaire, il avait peur d’être trop critique sur certains points et avait donc tenté de compenser en étant extrêmement gentil avec d’autres choses qu’il aimait. En se relisant par la suite, il s’était rendu compte de ce biais et l’avais rectifié. Arditi mentionne ainsi son grand attachement aux terres vaudoises qui l’ont accueilli. C’est grâce à cet ouvrage qu’il a véritablement découvert la Suisse. En effet, bien qu’il soit arrivé très jeune dans ce pays, venant d’une famille juive cosmopolite en Turquie, il a souhaité regarder la Suisse comme le ferait un étranger. C’est pour lui la meilleure façon de garder le plaisir de la découverte.

Interrogé sur sa créativité littéraire qui fait suite à de brillantes études scientifiques (de physique à l’EPFL), à une carrière dans l’immobilier et au soutien des Arts (musée Bodmer et Orchestre de la Suisse Romande), Metin Arditi répond qu’il est impossible de se lasser de l’écriture. Selon lui, « le propre d’une activité artistique est que ce n’est jamais terminé ». Il fait l’analogie entre le début d’un roman et un alpiniste qui se trouve en bas de la montagne, à ceci près qu’il y a infiniment plus d’émotions humaines que de montagnes à explorer.

Pour revenir à son dernier roman et au sujet qu’il aborde, la construction d’une école est une idée à laquelle il avait déjà pensé dans le cadre de sa fondation. Cette vision est celle d’une école dans laquelle des étudiants du monde entier viendraient pour quelques mois étudier les grands philosophes et joueraient du théâtre antique, puis discuteraient des thèmes d’actualité dans la perspective des textes anciens. Ce projet de paix va dans le même sens que les concours d’écriture qu’il organise déjà. Au-delà de l’écrivain, Metin Arditi est un véritable Humaniste, comme il le démontre une nouvelle fois avec un projet qui lui tient particulièrement à cœur : son soutien à la fondation Pôle Autisme. C’est sur cette note d’optimisme que se termine cette belle croisière.

Texte: Sandrine Warêgne

photo © JF Paga / Grasset
photo © JF Paga / Grasset

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Plongée en eaux drôles

Nage-libre-couvPour son dernier roman, le premier à paraître aux Éditions Encre Fraîche, l’auteur Olivier Chapuis nous plonge dans le journal intime d’un jeune homme. Âgé d’une trentaine d’année, il est atteint d’une maladie probablement incurable, le syndrome de Balthasar, ou la transformation progressive et intérieure du malade en animal. C’est-à-dire que même si le sujet présente une apparence inchangée, son esprit fonctionne comme celui d’un animal dont il adopte les comportements, plus précisément un chien pour le protagoniste de “Nage libre”. Confronté aux incertitudes de la médecine – les symptômes de cette maladie orpheline sont peu connus, seuls quelques cas ont été recensés – et le refus de finir sa vie comme un chien, le narrateur planifie son suicide.

Il décide de passer le dernier mois de sa vie à la piscine de P*, près du Léman. La chaleur de l’été et la proximité des corps lui permettront sûrement, il l’espère du moins, de rencontrer une femme et, sait-on jamais, de lui faire un enfant. Une dernière pulsion de vie ou peut-être une ultime tentative de réaliser sa destinée d’homme. Car, plus que de transformer son humanité en animalité, c’est surtout le fait de se faire surprendre en plein délit de comportement canin qui effraie le protagoniste. Laper le sol, lever la jambe pour se soulager, respirer l’arrière-train des demoiselles… Cela ne se fait pas quand on est un jeune homme poli dans une société raisonnable. En cela, la piscine se révèle un refuge rassurant, un microcosme où les règles coulent de source, qu’elles soient sécuritaires ou sociales.

L’observation quotidienne par le narrateur est ainsi prétexte à la critique sociale mais aussi aux rencontres décalées. Ces personnages loufoques et réchappés des clichés pourront peut-être aider le narrateur à sortir des sentiers battus, à s’affranchir des codes et trouver sa “nage libre”. Ces rencontres, souvent caustiques, insufflent un ton surréaliste rafraîchissant qui s’associe très bien au suspens qui plane sur la lecture de ce journal: le narrateur va-t-il finalement mettre à exécution son projet morbide?

À lire au bord d’une piscine, certes, mais si ce mois de mai capricieux ne vous donne pas confiance dans la météo, votre canapé fera très bien l’affaire…

Texte: Marie-Sophie Péclard

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Plongée en eaux drôles

Nage-libre-couvPour son dernier roman, le premier à paraître aux Éditions Encre Fraîche, l’auteur Olivier Chapuis nous plonge dans le journal intime d’un jeune homme. Âgé d’une trentaine d’année, il est atteint d’une maladie probablement incurable, le syndrome de Balthasar, ou la transformation progressive et intérieure du malade en animal. C’est-à-dire que même si le sujet présente une apparence inchangée, son esprit fonctionne comme celui d’un animal dont il adopte les comportements, plus précisément un chien pour le protagoniste de “Nage libre”. Confronté aux incertitudes de la médecine – les symptômes de cette maladie orpheline sont peu connus, seuls quelques cas ont été recensés – et le refus de finir sa vie comme un chien, le narrateur planifie son suicide.

Il décide de passer le dernier mois de sa vie à la piscine de P*, près du Léman. La chaleur de l’été et la proximité des corps lui permettront sûrement, il l’espère du moins, de rencontrer une femme et, sait-on jamais, de lui faire un enfant. Une dernière pulsion de vie ou peut-être une ultime tentative de réaliser sa destinée d’homme. Car, plus que de transformer son humanité en animalité, c’est surtout le fait de se faire surprendre en plein délit de comportement canin qui effraie le protagoniste. Laper le sol, lever la jambe pour se soulager, respirer l’arrière-train des demoiselles… Cela ne se fait pas quand on est un jeune homme poli dans une société raisonnable. En cela, la piscine se révèle un refuge rassurant, un microcosme où les règles coulent de source, qu’elles soient sécuritaires ou sociales.

L’observation quotidienne par le narrateur est ainsi prétexte à la critique sociale mais aussi aux rencontres décalées. Ces personnages loufoques et réchappés des clichés pourront peut-être aider le narrateur à sortir des sentiers battus, à s’affranchir des codes et trouver sa “nage libre”. Ces rencontres, souvent caustiques, insufflent un ton surréaliste rafraîchissant qui s’associe très bien au suspens qui plane sur la lecture de ce journal: le narrateur va-t-il finalement mettre à exécution son projet morbide?

À lire au bord d’une piscine, certes, mais si ce mois de mai capricieux ne vous donne pas confiance dans la météo, votre canapé fera très bien l’affaire…

Texte: Marie-Sophie Péclard

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