Exposition

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

Découverte du patrimoine musical lémanique

Ici, le lac ressemble à la mer

Le projet un peu fou d’exposer des chansons est né de la complicité entre le chanteur Marc Aymon et Lionel Gauthier, conservateur du Musée du Léman. L’institution nyonnaise propose actuellement au public de découvrir ou redécouvrir les chansons qui rendent hommage au lac.

Texte et propos recueillis par Sarah Liman Moeri
Photos: Nicolas Lieber

La genèse de l’exposition

Tout est parti du projet du chanteur Marc Aymon : Glaneurs. En 2019, ce dernier a lancé un appel à la population dans la presse, afin de récolter des documents en lien avec le patrimoine musical romand: vieux carnets de chant, partitions, enregistrements et autres. Il en a réuni plusieurs centaines. Marc Aymon et Xavier Michel (du groupe Aliose) ont découvert ces trésors et choisi une quinzaine de chants et de poèmes, qu’ils ont enregistrés sur un disque, avec divers artistes suisses.

Parmi les textes découverts, il y avait Le Vieux Léman, un texte d’Eugène Rambert datant de 1881, mis en musique par l’Abbé Bovet (auteur du Vieux Chalet). Marc Aymon a fait écouter l’enregistrement à Lionel Gauthier, qui a été agréablement surpris. Car même si les paroles de la chanson semblaient un peu désuètes, elle aurait pu être écrite aujourd’hui. Le chanteur lui a alors demandé: “Est-ce que tu veux accrocher des chansons aux murs de ton musée?”.

Cette idée a titillé le conservateur, lui-même passionné de musique, musicien et auteur d’une centaine de chansons. Il était également intéressé par le défi muséographique… Comment “accrocher” des choses qui ne se voient pas?

Les défis

En plus du défi scénographique, il a fallu trouver les chansons qui évoquent le lac Léman (véritable source d’inspiration pour les peintres, les poètes, les écrivains et les paroliers), puis en obtenir les droits de réadaptation.

La recherche des chansons

Marc Aymon s’est employé à contacter ses ami∙e∙s artistes pour savoir s’ils avaient composé des titres sur le Léman. Aliose avait déjà écrit Droit devant et François Vé a créé Vigne spécialement pour l’exposition.

Lionel Gauthier a, quant à lui, consulté les archives : des livrets de chants ou des recueils de partitions, conservés dans les collections du musée ou dans d’autres institutions, comme la BCU à Lausanne, mais également les bases de données de la SUISA et de la Sacem.

Cinquante-six chansons ont été répertoriées et depuis l’exposition, une dizaine d’autres ont été retrouvées.

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

Le choix des chansons

En fouillant dans un cahier de textes, Lionel Gauthier a repéré une chanson parlant du Léman: Gentille Batelière. Le titre et les premiers mots ne lui disaient rien, mais en lisant plus avant, il s’est rendu compte qu’il connaissait cette chanson par cœur, car sa grand-mère la chantait. Elle a donc tout naturellement trouvé sa place dans l’exposition, en hommage à celle-ci.

L’idée était d’avoir un panel de titres panaché, des chansons anciennes et des plus modernes, des chansons oubliées et des plus connues, comme Genève de William Sheller, pour que le∙la visiteur∙euse puisse se rattacher à quelque chose qui lui est familier. Le duo souhaitait aussi avoir des sujets différents dans la musique et dans le texte, mais en même temps avec une certaine homogénéité. Des morceaux plutôt acoustiques. Smoke on the Water de Deep Purple ou Bienvenu chez moi de Bigflo & Oli n’auraient pas trouvé leur place dans l’espace d’exposition, car leurs styles musicaux sont très différents des autres. En revanche, elles font partie de la playlist consultable dans l’audioguide, qui nous accompagne le long du voyage musical.

Le titre

Ici, le lac ressemble à la mer” sont les premières paroles de la chanson de Marc Aymon À Saint-Saph’. Il a vécu deux mois dans le village de Saint-Saphorin, qu’il considère comme le plus beau du monde, en pensant que la beauté des lieux allait lui inspirer quantité de lignes. Mais rien n’est venu. Il en est reparti dépité. Quelques jours plus tard, un ami lui a envoyé un message: “Je passe en train à Saint-Saph’. Ici, le lac ressemble à la mer.” Cette phrase lui a provoqué un déclic et le texte de la chanson est arrivé tout seul. Il était donc évident pour lui qu’elle devienne le titre de l’exposition.

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

La scénographie

L’idée étant de proposer au public une expérience multisensorielle, on a choisi de lui offrir des chansons à écouter, des visuels à regarder et des objets à toucher.

Chaque titre a son espace réservé, une petite alcôve avec sa couleur et son ambiance, correspondant au thème qu’elle évoque. L’équipe du musée a chiné pendant des mois pour trouver le mobilier et les accessoires qui allaient les mettre en scène.

Les onze airs “exposés” ont été illustrés par Cyrille Chatelain, conservateur du Jardin botanique de Genève et artiste. Ces illustrations sont riches en couleurs et en détails, souvent les paroles sont inclues dans la composition. Les formats des représentations sont très variés. Certaines ont été reproduites et recouvrent toute la hauteur d’un mur et d’autres sont si petites qu’il faut s’approcher pour en apercevoir les minuscules détails.

Par ailleurs, un album a été créé pour neuf des chants. Chacun est une pièce unique, avec son atmosphère particulière. Ils ont été réalisés par la maison d’édition nyonnaise Ripopée. Comme dans un ancien album de photographies, une écriture manuscrite nous raconte l’histoire de la chanson, de l’artiste et le thème évoqué. Des illustrations accompagnent, parfois, quelques-unes des paroles. Chacun∙e peut prendre le temps de consulter l’album, confortablement assis, pendant l’écoute d’un morceau.

Dans l’exposition, on retrouve Droit devant d’Aliose et Vigne de François Vé. Les neuf autres font partie du répertoire suisse ou français et ont été spécialement réenregistrées par des artistes locaux∙ales, attaché∙e∙s au Léman, dans l’optique que le public puisse redécouvrir des titres qu’il connaît parfois, tout en lui proposant l’expérience d’une première écoute. La volonté était également d’avoir une certaine harmonie acoustique. En plus des artistes précité∙e∙s, Michel Bühler (décédé quelques jours après le vernissage), Milla et Jérémie Kisling ont prêté leurs voix à ces airs célébrant le Léman.

Pour prolonger l’expérience

Grâce au catalogue, l’expérience musicale se prolonge, puisque des QR codes donnent accès aux enregistrements. Les paroles sous les yeux, le∙la lecteur∙ice peut chanter sur les airs découverts au musée. L’histoire des chansons, des anecdotes et un répertoire de trente-cinq autres titres sont proposés dans l’ouvrage.

L’équipe de médiation a eu l’idée de l’activité Singin’ the Lake, une chorale éphémère. Petit∙e∙s et grand∙e∙s amateur∙ice∙s de chant peuvent participer.

Le Bec dans l’eau sera le chant proposé à la rentrée, lors de la dernière date de l’événement. Divisé∙e∙s en deux voix, les choristes répéteront avec les chefs de chœur avant de se produire dans la salle d’exposition. Rendez-vous le samedi 10 septembre à 15h pour rejoindre ou écouter la chorale éphémère.

Ici, le lac ressemble à la mer. Chansons pour le Léman
Jusqu’au 18 février 2024
Musée du Léman, Nyon

Ici, le lac ressemble à la mer

Singin’ the Lake

Glaneurs

Ripopée

 

Caroline Tschumi

Les princesses de l’Histoire vues par Caroline Tschumi

Au Château de Chillon, Caroline Tschumi met en lumière les princesses d’antan et évoque, par des couleurs vives et un soupçon de magie, leurs histoires respectives. Le tout dans un décor de rêve: un château au bord de l’eau. Rencontre avec l’artiste.

Propos recueillis par Stefanie Rossier

Le Château de Chillon vous a commandé 12 œuvres pour cette exposition. Quelle a été votre première réaction?

J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Marta dos Santos, la directrice du Château de Chillon, lors d’une visite et d’un atelier que j’avais donné au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne dans le cadre de l’exposition collective Jardin d’Hiver #1: Comment peut-on être (du village d’à côté) persan (martien)?, à laquelle je participais en 2021. Peu de temps après, et suite à la découverte de mon travail, Marta m’a contactée pour me proposer de réaliser une exposition personnelle au Château de Chillon, et de se voir pour discuter du thème, car il s’agissait d’une commande spécifique, et donc, d’un travail inédit pour moi. Ma première réaction a été de me sentir très impressionnée par rapport au lieu et à son importance en tant que monument suisse, notamment. Ça a aussi été un peu magique, car j’allais régulièrement au château en vélo étant enfant, et je me racontais toutes sortes d’histoires autour de celui-ci.

Pour quels éléments avez-vous collaboré avec l’équipe du Château, et pour lesquels avez-vous au contraire profité de votre carte blanche?

La première chose que nous avons définie avec Marta et Noémie Enz, la curatrice de l’exposition, était ma marge de manœuvre au niveau de la liberté de représentation de ces princesses qui ont réellement existé. Marta et Noémie ont été catégoriques: l’idée était de laisser complètement libre d’interprétation l’imaginaire de l’artiste invité∙e, car la volonté de la fondation du Château de Chillon est précisément d’intégrer de l’art contemporain au château, sans entraves et sans tabous, et de le faire dialoguer avec le lieu mais aussi avec un public très large. Une fois que j’ai eu la validation que je pouvais aller dans la – ou les – directions que je souhaitais, et qu’il ne s’agissait pas d’une commande d’illustration historique, j’ai accepté le projet avec joie. Je trouve encore aujourd’hui très ambitieux et courageux à elles d’avoir pris cette voie d’intégrer de l’art contemporain dans un lieu historique. Dans les faits, c’est une belle réussite car le château a bénéficié de plus de 304’000 visiteuses et visiteurs en 2022 et l’exposition a engrangé à ce jour une hausse du public local de plus de 16%, rien que pour les visites de l’exposition Princesses en lumière. Le choix des œuvres annexes au salon Anken est aussi un exemple d’ouverture de la part de la fondation, car il y est représenté certains de mes travaux les plus étranges. Pour tout le reste, communication, promotion, scénographie, infographisme, planning, encadrement, montage et tant d’autres choses, nous avions des séances régulières toutes et tous ensemble durant lesquelles nous collaborions et avancions sur le projet en accord les un∙e∙s avec les autres.

© Marie-Pierre Cravedi

Quelles ont été vos inspirations principales, tant dans la technique que dans votre imaginaire, pour représenter ces femmes d’une autre époque?

Je n’ai pas cherché quelque chose de particulier car je n’ai pas fait de croquis préparatoires, je n’en fais pas. Je me suis mise devant la feuille et c’est en dessinant que les visages, les états d’âmes et les habits de ces femmes sont apparus. En revanche, je me suis inspirée sur le moment de ce que j’avais lu sur leur vie, par exemple, qu’Anne de Chypre avait survécu aux accouchements de 19 enfants, tous vivants à la naissance. Cela m’a donné l’idée de la faire asseoir sur une racine au bout de laquelle sont représentés dans des sortes de poches amniotiques ses dix-neuf enfants. Le fait qu’elle soit assise, c’est un peu comme si s’était elle-même qui me l’avait imposé. C’était surtout une fois que les dessins étaient terminés qu’ils pouvaient m’évoquer des références, comme, par exemple, Naoko Takeuchi, Walt Disney, ou encore Edmond Dulac ou Klaus Voormann. J’ai une seule fois délibérément choisi un détail pour faire l’un des habits d’une des princesses, à savoir le motif d’une des chemises de John Lennon, qui est un de mes héros, pour réaliser la robe de Marie de Bourgogne. Il y a aussi, dans la plupart des dessins, des éléments liés directement au Château de Chillon, comme des détails d’une fenêtre, ou encore des motifs aperçus aux plafonds des salles.

© Marie-Pierre Cravedi

L’une de ces princesses vous a-t-elle particulièrement interpellée?

Le portrait de Bonne de Berry m’a permis de représenter une de ces princesses dans un aspect plus dérangeant de sa psyché, au moment où elle songe à commanditer un empoisonnement, ce qui est réellement arrivé. J’ai travaillé ce dessin uniquement à la ligne claire, en contraste avec les plus grands formats qui sont tous réalisés aux crayons de couleurs et à la gouache. J’ai aimé dessiner le détail anachronique d’un maquillage qui coule, j’avais l’impression de dessiner le Joker joué par Joaquin Phoenix. Bonne de Berry a été représentée autrefois dans sa baignoire, j’ai donc souhaité garder cet élément, mais aussi parce qu’il me semble que la chambre de bain est un élément très cinématographique, mettant souvent en scène un personnage face à son propre reflet, dans un moment de perte de contrôle imminent.

Quels sont vos projets futurs dans votre carrière professionnelle?

Je souhaite continuer à peindre et à dessiner, aussi longtemps qu’il me sera donné de le faire. Je participe aussi à plusieurs expositions programmées ce début d’année 2023 en France et en Suisse: au Musée régional d’art contemporain de Sérignan, au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, mais également au Museo Villa dei Cedri à Bellinzona ainsi qu’à la foire de dessins contemporain Drawing Now Art Fair à Paris. Je prépare également une exposition personnelle d’ici la deuxième partie d’année, affaire à suivre…

Princesses en lumière
Jusqu’au 23 avril 2023
Château de Chillon, Veytaux
chillon.ch

Photo de haut de page: © Céline Michel

AVS 21 - Caro

Rétrospective du dessin de presse 2022 

Cette année 2022 fut riche en actualités: guerre en Ukraine, exploits sportifs et quelques petites nouveautés au sein de la politique en Suisse. Nul doute que nos cher∙ère∙s dessinateur∙ice∙s suisses se sont tantôt creusé∙e∙s la tête, tantôt éclaté∙e∙s à retranscrire en couleur et en humour ces temps forts de l’année 2022.  

Texte de Stefanie Rossier  

Sous les traits de Chappatte, Bénédicte ou encore Alex, le dessin humoristique d’actualité s’invite, comme chaque année, pour une rétrospective dans la ville de Morges au sein de sa plateforme dédiée qu’est la Maison du Dessin de Presse depuis 2009. 

Avec humour et liberté d’expression totale (ou presque), ces auteur∙ice∙s, que l’on ne présente plus à qui lit la presse quotidienne, se déclinent en 130 dessins; des œuvres suisses mais aussi internationales, grâce à une collaboration avec France-Cartoons et Cagle Cartoons (États-Unis).    

Crise énergétique - Pitch

Crise énergétique – Pitch
Photo en haut de page: AVS 21 – Caro

Des périodes gaies ou plus difficile à passer, des joies, de l’inquiétude, de la colère, ces émotions nous ont forcément traversé l’esprit durant ces 365 jours.  

Le tour de l’exposition nous replonge dans cette année qui nous a toutes et tous marqué∙e∙s à un moment donné. 

Rétrospective du dessin de presse suisse 2022 
Du 9 décembre 2022 au 5 février 2023 
Exposition intérieure à la Maison du Dessin de Presse et extérieure dans la Grand Rue à Morges  

 
Plus d’infos sur ce lien: www.mddp.ch  

The Greatest, l’exposition qui donne vie aux légendes sportives

L’Histoire du sport national et international; celle qui évoque la carrière des athlètes qui nous ont fait vibrer dans tous les sports confondus. L’artiste David Jamin propose aux amoureux des belles choses une série de portraits de sportifs et sportives qui ont marqué leur domaine, et ce, pour une belle cause.

Texte de Stefanie Rossier

Footballeur∙euses, tennismen et women, skieur∙euses s, boxeur∙euse∙s, d’ici et d’ailleurs, autant de champion∙ne∙s qui ont tout donné pour leur pays et qui, grâce à leurs exploits, nous font vibrer depuis quelques décennies déjà. Des souvenirs plein la tête, des étoiles dans les yeux grâce à cette exposition haute en couleur signée David Jamin. L’artiste met en lumière les athlètes d’hier et d’aujourd’hui, qui ont su se dépasser, gravir échelon par échelon les différents sommets pour décrocher non pas la lune mais une médaille. La médaille du bonheur. Chaque portrait a une caractéristique propre à son sportif ou sa sportive de légende. Tout est dans le détail.

Ces portraits de légende sont liés à une grande cause et à une association: Leman for Hope. Une vente aux enchères aura lieu le 13 décembre pour soutenir les enfants en rémission d’un cancer.

© David Jamin

Lumière, engagement, art, couleurs tels sont les mots que vous pouvez associer à l’exposition The Greatest au Musée Olympique de Lausanne. Des moments forts à vivre en famille ou entre ami∙e∙s pour se souvenir, admirer les œuvres d’un artiste passionné qui sait mettre en valeur celles et Ceux qui nous ont fait rêver Zinedine Zidane, Roger Federer, Ayrton Senna, Mohamed Ali, Megan Rapinoe, Eric Tabarly, Valentino Rossi, Diego Maradona, Rafael Nadal, (en version peinture), n’attendent plus que vous.

The Greatest Jusqu’au dimanche 18 décembre 2022
Musée Olympique de Lausanne
www.the-greatest.ch
www.davidjamin.fr

photo de haut de page : © David Jamin

La Lumière des possibles 1a

Artraction – reprendre la route

Mercredi soir à Genève, La Lumière des possibles filtrait au travers des Ports Francs, diffusée par les œuvres des deux artistes Emanuela Lucaci et Madeleine Rosselet Van Zyl ainsi que par le vibrato de la soprano Savika Cornu Zozor. Le titre de cette exposition temporaire organisée par Artraction, à voir du 3 au 25 novembre, évoque on ne peut mieux la mission de l’entreprise: celle de tracer un bout de chemin prometteur avec des personnes en réinsertion professionnelle.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

En accueillant l’exposition La Lumière des possibles et son vernissage, c’est la seconde fois que les Ports Francs et Entrepôts de Genève œuvrent aux côtés d’Artraction. Anne-Claire Bisch, directrice générale du complexe, le souligne: Artraction, c’est se remettre sur les rails, reprendre la route, et surtout en équipe; les Ports Francs sont donc fiers d’en être les partenaires pour l’occasion.

La plateforme nomade – ayant notamment exposé à la boutique Ateapic à Lausanne, à l’Espace 81 à Morges ou encore à la Société de lecture à Genève – a un statut particulier et des buts non des moindres; fondée en 2008, elle est l’une des onze entités de la Société Coopérative Démarche, qui soutient l’insertion sur le marché du travail. En tant que pôle culturel, elle vise donc, tout en employant temporairement des personnes dans des domaines tels que la logistique, la communication, le marketing ou l’accueil, à donner une visibilité à des artistes et créateur∙ice∙s contemporain∙e∙s au travers de ses services de vente, de location d’œuvres et d’expositions.

Jusqu’au 25 novembre, ce sont ainsi les œuvres d’Emanuela Lucaci et Madeleine Rosselet Van Zyl qu’Artraction invite à découvrir dans un bel espace dédié.

La Lumière des possibles 2a

UnityMadeleine Rosselet Van Zyl

Dans les toiles de Madeleine Rosselet Van Zyl, née en Afrique du Sud, on observe une volonté de capter la lumière. Julie Fazio, curatrice, attire notre attention sur l’approche photographique de l’artiste qui étudie l’anatomie de fleurs comme à travers un objectif macro.

Emanuela Lucaci, qui été commanditée notamment par le CERN ou UNICEF International, expose la série inédite Green Spaces réalisée pendant le confinement, abordant le thème de notre perception et de nos liens sensoriels et visuels avec la nature.

Réunies sous ce thème de la nature, les œuvres ont pris encore une nouvelle teinte lors du vernissage, tandis que la soprano Savika Cornu Zozor interprétait Song to the moon, tiré de l’opéra fantastique Rusalka de Dvořák, et un émouvant Somewhere de West Side Story. En chantant “there’s a place for us, […] hold my hand and we’re halfway there“, elle rendait ainsi hommage, a-t-elle expliqué, au soutien d’Artraction dont elle avait elle-même bénéficié dans son parcours.

La Lumière des possibles
Du 3 au 25 novembre 2022
Lundi au vendredi, de 7h45 à 11h30 et de 13h à 16h45
Ports Francs Genève, Les Acacias
artraction.ch

Image de haut de page: Last Green, de Emanuela Lucaci

Papyrus 101

Un papyrus de trois mille ans ressort au jour

Grâce aux doigts de fée de Florence Darbre, restauratrice de la Fondation Martin Bodmer, un Livre pour sortir au jour (aussi appelé Livre des morts) datant de la 21e dynastie d’Egypte a fait hier son grand retour à l’institution de Cologny, après plus d’un an de travail.

Texte de Katia Meylan
Propos recueillis lors de la présentation à la presse du 19 mai 2022, Fondation Martin Bodmer

Photos de Naomi Wenger

Acquis par Martin Bodmer en 1937, cent ans après sa découverte en Egypte puis son achat par un baron anglais collectionneur, le Papyrus Bodmer 101 est l’un des huit Livres des morts de la collection de la Fondation. Ces véritables “modes d’emploi de l’au-delà” faisaient partie du matériel funéraire déposé dans les pyramides avec les momies des rois et des membres du clergé. Leurs textes listaient les étapes – environ 200! – à suivre pour réussir son chemin après la mort.

Jacques Berchtold, directeur de la Fondation Martin Bodmer, et Nicolas Ducimetière, vice-directeur, ont les yeux qui brillent aux côtés de ce document qu’ils viennent de retrouver dans de toutes nouvelles conditions, et nous donnent volontiers des éléments d’Histoire ou d’analyse qui nous le font voir bien plus que comme une relique exotique.
Ils nous apprennent ainsi qu’il était rare qu’un papyrus contienne l’entièreté des 200 étapes; le plus long connu de nos jours fait une dizaine de mètres, mais souvent, un document était fait d’une sélection résumée, selon la personne pour qui il avait été écrit. Le Papyrus 101, mesurant 117 x 23 cm et composé de six feuilles collées les unes aux autres, est un incipit, un fragment de la 17e étape. Le défunt (à droite), un prêtre d’Amon, est représenté jeune, en habits de fête, afin de voyager sous son meilleur jour. Il fait une offrande au dieu Osiris, dont le visage noir, loin d’être un symbole funèbre, est plutôt celui du renouveau, rappelant la couleur du limon qui remonte pendant les crues du Nil. Nicolas Ducimetière pointe un hiéroglyphe ayant la forme d’un œil comme étant le début du texte – pour commencer la lecture, il faut rencontrer les regards – ainsi que le sens de lecture, de gauche à droite pour une partie, de droite à gauche pour l’autre.

Photo: Pierre Albouy

Florence Darbre évoque quant à elle l’émotion qui survient devant un tel objet, et la nécessité, dès le travail commencé, de la mettre de côté pour n’observer plus que l’aspect technique. Membre de la fondation, cette restauratrice retraitée depuis 2020 avait accepté de reprendre du service pour travailler sur cette pièce d’exception, dans son atelier à Nyon. Pensant d’abord en avoir pour trois mois, elle est aujourd’hui fière, près d’un an et demi plus tard, d’avoir passé par les étapes du nettoyage, de l’observation, de l’analyse et des tests, d’avoir déjoué les pièges des vernis, colles et autres matériaux de restauration que le papyrus avait reçu au cours de restaurations des siècles passés, pour finalement avoir rendu au Papyrus 101 un bel aspect.

Si la Fondation Bodmer a un budget alloué à l’acquisition, de telles entreprises de restauration demandent quant à elles de trouver des financements externes. C’est là qu’entre en jeu Optima Climatisation; étant partenaire de l’institution depuis de nombreuses années, l’entreprise décide en 2014 de contribuer à la restauration d’objets d’Egypte Antique. Grâce à ce mécénat, une statue en bois d’un marcheur debout datant de 2500 av. J.-C. avait déjà été restaurée en 2015, avant le papyrus 101. Le suivant sera peut-être le papyrus 102, que l’on découvre encore très abimé dans l’exposition permanente du musée. Passera-t-il lui-aussi entre les mains de Florence Darbre? Forte de cette belle expérience, celle-ci répond l’envisager.

Ce type d’initiatives de restauration, ainsi que de numérisation, permettent notamment d’insérer des objets dans des corpus plus larges, de permettre aux chercheur∙euse∙s du monde entier d’avoir accès à des documents, ainsi que de donner accès au grand public à des trésors vieux de 3000 ans.

***
Dans le cadre des Journées européennes de l’archéologie, il sera possible d’admirer ce témoin plusieurs fois millénaire, et de réveiller l’émotion, l’imagination, le vertige que suscite la pensée du voyage qu’a fait ce papyrus, à tous les siècles qui séparent la société qui l’a créé de la nôtre.

Présentation au public du Papyrus 101
Les 18 et 19 juin, 14h30 et 16h30
Sur inscription

Pour en savoir plus:
fondationbodmer.ch/la-restauration-dun-papyrus

Collection Haute Couture

Haute-Couture Dans les interstices de l’imaginaire

“Yves Saint Laurent et Mondrian, Elsa Schiaparelli et Dali, Coco Chanel et Cocteau…”, Anna-Lina de Pontbriand, directrice du Musée suisse de la Mode, ne manque pas d’exemples pour illustrer la perméabilité du monde de l’art et de la mode et présenter, aux côtés du directeur du Centre d’Art Contemporain d’Yverdon-les-Bains, Rolando Bassetti, la deuxième collaboration entre leurs deux institutions: l’exposition Collection Haute-Couture.

Texte de Clara Boismorand
Propos recueillis auprès d’Anna-Lina de Pontbriand, directrice du MuMode, Rolando Bassetti, directeur du CACY et Xénia Lucie Laffely, artiste

Deux mondes, un univers

“L’art, la mode…où est la frontière?”, se demande Rolando Bassetti. Il y a la frontière que l’on dresse, que l’on imagine, que l’on justifie par différents moyens mais somme toute… tout l’intérêt des frontières n’est-il pas de les franchir plutôt que de les renforcer? L’art contemporain et la hautecouture sont deux mondes, certes, mais ensemble ils sont l’expression d’un univers fantastique. Ce printemps, au CACY, se rencontrent l’art contemporain et la mode. Le MuMode y présente, pour la première fois, 35 pièces de (très) haute-couture. Ces pièces d’exception sont exposées et exhaussées aux côtés du travail de Xénia Lucie Laffely. L’artiste invitée mêle son monde à celui des pièces choisies.

Une collection personnelle

Le choix de l’artiste comme des tenues ne sont pas anodins. De par sa sélection des pièces, Anna-Lina de Pontbriand rend hommage à une donatrice du musée: “Depuis vingt ans, cette femme fait don de sa garde-robe au musée. Elle nous a cédé plus de 300 pièces de créateur∙trice∙s: des tenues de cocktail, d’après-midi et du soir, chacune unique, originale, faite main et sur-mesure. Ce sont de véritables pièces d’excellence.” Quant à Rolando Bassetti, à la vue des pièces choisies, ce dernier a pensé à Xénia Lucie Laffely. Cette artiste qui mêle tissus et arts plastiques allait pouvoir établir un dialogue entre son art et cette collection personnelle de haute-couture.

Photo (c) Anne-Laure Lechat
Photo: Anne-Laure Lechat

Aux frontières de la fiction

Les créations de Xénia Lucie Laffely sont de l’ordre de l’intime et de l’étrange. Elle réalise, sur ordinateur, des peintures inspirées de ses proches et de son quotidien, les imprime sur tissu, et les travaille ensuite avec des techniques telles que le matelassage et le patchworking avant de les mettre sur des cadres. De par son étonnant travail, Xénia révèle et génère fictions et imaginaires.

Son parti pris pour Collection Haute- Couture est d’habiter ces tenues qui ne furent, souvent, portées qu’une seule fois, par une seule femme: “Je veux les faire porter, de manière imaginaire, à plusieurs personnes; les faire descendre de leur tour d’ivoire, les rendre plus accessibles”, nous dit-elle. Aussi, s’est-elle appropriée certains motifs, détails et imprimés des tenues afin de les magnifier à travers des peintures murales qui forment un décor pour les habits et finissent par habiller du regard les visiteurs de l’exposition.

Collection Haute-Couture se présente alors comme un délicat rappel du rôle fondamental que peuvent jouer les institutions muséales lorsqu’elles collaborent: elles provoquent la rencontre, encouragent les croisements, magnifient le dialogue, et ouvrent des portes.

Collection Haute-Couture – MuMode
Du 6 février au 17 avril 2022
Centre d’Art Contemporain, Yverdon-les-Bains
www.centre-art-yverdon.ch

Photo en tête d’article: Danielle, peinture digitale préparatoire, 2022

Marcher dans les villes, marcher dans le MCBA

“Quelle que soit la direction prise, marcher conduit à l’essentiel”, écrit Sylvain Tesson. Il est probable que Francis Alÿs partage au moins une partie de cette réflexion. L’exposition qui est consacrée à son œuvre au MCBA de Lausanne montre en effet de nombreuses vidéos dans lesquelles l’artiste belge parcourt des kilomètres dans Mexico, Londres et d’autres villes. Il nous emmène également dans un Afghanistan dont on doute qu’il existe encore aujourd’hui.

Texte et photos de Marc Duret

Au premier étage du MCBA, Alÿs nous montre le fruit de ses années passées en Afghanistan dans les années 2010. Dans les vidéos, on observe par exemple des jeux d’enfants, qu’il s’agisse de cerfs-volants ou de pneus qu’ils font rouler le plus vite et le plus loin possible en les poussant avec un bâton. L’artiste s’inspire de ces jeux dans son œuvre Rell-Unreel, où les pneus sont remplacés par des bobines de film. On traverse avec Alÿs  et les enfants une Kaboul que les événements récents semblent avoir déjà projetée dans un passé lointain. Ces vidéos s’accompagnent de dessins, de peintures et de carnets de croquis, dans lesquels l’artiste  dessine, écrit et juxtapose les couleurs des insignes militaires (il était rattaché aux forces armées britanniques comme “artiste de guerre”) aux paysages et aux images de l’Afghanistan: portraits du commandant Massoud, jeeps militaires, croquis de ses montages vidéo, etc.

Le 2e étage fait office de rétrospective, parfaite pour un·e visiteur·euse qui découvrirait, comme l’auteur de ces lignes, l’œuvre de l’artiste marcheur. Une vingtaine d’écrans disposés dans une salle immense du MCBA montrent Alÿs en train de déambuler dans des villes, souvent en réalisant une action à priori futile, comme pousser un énorme bloc de glace dans Mexico, ou vider des pots de peinture verte dans Jérusalem. En réalité, dans le premier cas il montre ainsi la dureté du métier des vendeurs de rues ou transporteurs des cités d’Amérique latine, dans le second il rappelle le changement de frontières après la Guerre des Six jours, qui a conduit à l’occupation de territoires palestiniens par Israël. On le voit par ailleurs traverser des quartiers londoniens équipé d’une baguette de batterie, jouant une drôle de mélodie sur les portails, capots et autres objets passant sous sa main. À Ciudad Juarez, cité réputée pour la violence qui la parcourt, il pousse avec ses pieds un ballon enflammé. D’autres vidéos présentent des itinéraires plus courts, mais au sens toujours étendu.

L’une des grandes réussites de cette exposition est la scénographie de la vaste salle du deuxième étage. Il est en effet possible de regarder plusieurs (très grands) écrans simultanément, en étant immergé dans l’œuvre de Francis Alÿs, souvent hypnotique. On pense ici, par exemple, à un amusant kaléidoscope de feux de signalisation pour piétons photographiés dans des villes du monde entier. L’ambiance sonore, créée par le mélange des bandes sons des diverses vidéos, nous plonge elle aussi dans un intriguant voyage. Quelques chaises disposées ça et là, rappelant celles sur lesquelles on s’assoit dans les écoles primaires, permettent de reposer nos jambes du piétinement muséal, alors que l’artiste, lui, marche infiniment. Puisque ces chaises tournent sur elles-mêmes, elles invitent aussi à s’offrir un panorama à 360°, assis au milieu de la mobilité des vidéos et de l’artiste. On se dit alors qu’il est plus agréable de se remettre en marche et de partir découvrir la suite de l’exposition et, pourquoi pas, avant que le musée ne ferme car 18h approche, l’exposition permanente du MCBA. Dans les rues lausannoises que l’on retrouve après ce voyage avec Alÿs, les décorations de Noël illuminent les balcons dans le silence dominical du froid de décembre.

Francis Alÿs. As Long as I’m Walking
Du 15 octobre 2021 au 16 janvier 2022
MCBA, Lausanne
www.mcba.ch/expositions/francis-alys/

Data Blossom

L’exposition Data Blossom, ayant eu lieu à L’Arboretum du Vallon de l’Aubonne du 16 octobre au 7 novembre, a rassemblé les œuvres de trois artistes: Refik Anadol, Dr. Kirell Benzi et Florent Lavergne. La rédaction de L’Agenda l’a visitée le weekend passé et, à présent, vous partage avec plaisir ses impressions.

Texte: Margarita Makarova

Plongée dans le cadre idyllique du parc de L’Arboretum, un samedi matin, je m’approche de la salle d’exposition. À l’entrée, je deviens tout de suite fascinée par une explosion de couleurs. L’installation Quantum Memories (2020) de Refik Anadol, jeune artiste de Los Angeles originaire de Turquie, est au centre de l’exposition. C’est un écran LED de 5 x 5 mètres visualisant en 3D une expérience immersive basée sur un corpus d’environ 200 millions de photographies de la nature. Des recherches sur l’utilisation de l’ordinateur quantique menées par Google, l’apprentissage automatique et la statistique ont rendu possible la naissance de cette œuvre.

Le titre de l’exposition, Data Blossom, renvoie d’une part à la nature et à l’épanouissement des fleurs, par le jeu de mot avec l’expression Cherry Blossom, et d’autre part, à la beauté cachée de l’abondance des données.

L’ordinateur de travail habituel n’est pas suffisamment rapide pour traiter une vaste collection de données, et le superordinateur est déjà plus puissant pour le faire, bien qu’il soit difficile pour un non-chercheur d’y avoir accès. L’ordinateur quantique (qui n’est pourtant pas encore utilisé à large échelle même par les chercheurs) est quant à lui parfait: il effectue une tâche donnée en environ trois minutes, tandis que le superordinateur y aurait passé 10 000 ans! C’est donc à cette technologie-là que l’artiste a confié l’apprentissage automatique basé sur son corpus de 200 millions de photographies. Non seulement le processus de création est novateur et inédit, mais le résultat n’en est pas moins impressionnant!

Refik Anadol s’est déjà fait remarquer sur la scène artistique romande. En 2020, son installation Melting Memories, basée sur le traitement des électroencéphalogrammes, en collaboration avec un laboratoire de neurosciences de Stanford, avait été présentée au Festival Images de Vevey. Son futur projet, dont on peut avoir un aperçu sur son site, semble être encore plus immersif.

Dr. Kirell Benzi, chercheur et artiste de l’EPFL travaille également sur le traitement et la représentation des données par des algorithmes d’intelligence artificielle. C’est son œuvre Connaissance secrète (Secret Knowledge, 2016) qui a attiré mon attention. Au premier abord, l’œil est confronté à une fleur de forme inhabituelle, mais en l’observant de plus près, on remarque une multitude de lignes créant une structure bien définie. Ce sont plus de 300 millions de liens hypertextes de Wikipédia regroupés en fonction des visites d’utilisatrices et utilisateurs. Chaque nœud représente un groupe de pages visitées. Les nœuds sont liés les uns aux autres, s’ils ont au moins une page en commun, et forment des pétales. Une vraie floraison des données!

Les œuvres de Florent Lavergne invitent à réfléchir aux sujets écologiques et se marient avec l’ambiance de l’Arboretum. L’artiste offre par exemple une visualisation par continent des pays les plus pollués au monde. Il fonde son travail sur des travaux de recherche publiés.

Toute l’énergie électrique utilisée dans le cadre de l’exposition est 100% renouvelable et provient du barrage de l’Arboretum du vallon de l’Aubonne. Les organisateurs souhaitant accueillir Data Blossom peuvent se manifester auprès de l’équipe de l’AI Transparency Institute (contact@aitransparencyinstitute.com).

Pour découvrir ces différents univers:
Arboretum du Vallon de l’Aubonne: www.arboretum.ch/
Refik Anadol: refikanadol.com/works/machine-memoirs-space/
Kirell Benzi: www.kirellbenzi.com/
Florent Lavergne: www.behance.net/florentlavergne
AI Transparency Institute: aitransparencyinstitute.com

Image en haut de la page: Kirell Benzi

Multiples et pourtant uniques

À la fois publicitaire et peintre, aussi adulé que controversé, Andy Warhol, obsédé par la mort et la finitude, a tout de même fini par entrer dans l’histoire en rendant éternel l’éphémère. Celui que l’on considère comme le Pope of the Pop semble effectivement être l’homme de tous les paradoxes. Ces différentes facettes qui font la singularité de l’artiste mais aussi de son œuvre sont justement ce que Pop Art Identities, produite et organisée par l’Association Métamorphose à l’Auditorium Stravinski de Montreux, vous propose d’explorer du 10 juin au 29 août 2021.

Texte: Kelly Lambiel

Bien qu’il n’en soit pas le créateur, Andy Warhol est aujourd’hui considéré comme une figure non seulement emblématique mais également indissociable du pop art. Né en Angleterre autour des années 50, ce mouvement a d’abord été utilisé outre-manche pour parodier ou critiquer l’Amérique et ses symboles, incarnant alors presque à elle seule les dérives de la société de consommation. Récupéré ensuite par des artistes américains comme Roy Lichtenstein ou Jasper Johns, il continuera à dénoncer le capitalisme mais poussera également plus avant les principes établis par son théoricien Richard Hamilton qui le souhaitait “destiné aux masses, éphémère, à court terme, consommable, facilement oubliable, produit en série, peu coûteux, jeune, spirituel et sexy”.  À l’image des ready-mades de Marcel Duchamp ayant bousculé le milieu quelques années plus tôt, le pop art cherche donc à désacraliser l’art des élites afin de devenir, de ce fait, plus accessible pour le grand public.

Plus intelligible d’abord – chez Warhol notamment – parce qu’il se sert, afin d’ancrer ses œuvres dans le réel, d’objets du quotidien: boites de conserve, bouteilles de soda, billets de banque. Alors que depuis les impressionnistes l’art a, en quelque sorte, opéré un important virage vers l’abstraction, voilà qu’il s’ancre à nouveau dans le concret, mettant en scène des sujets, des motifs ou des visages connus. Plus abordable ensuite grâce au procédé de la sérigraphie qui permet de multiplier les impressions à l’infini – ou presque – jusqu’à leur faire perdre le statut de pièce unique, d’œuvre d’art en somme, devenant elles-mêmes des biens de consommation. Ironie du sort, alors qu’il se voulait dissident, irrévérencieux, le pop art a fini par gagner le cœur des amateur∙trice∙s d’art et a vu sa cote grimper en flèche, de même que ses prix. De nombreux artistes et aristocrates ont alors passé commande afin d’être immortalisé∙e∙s par Warhol, obtenir une pièce signée de sa main ou entamer une collection. Ce sont donc ici plus de 160 œuvres dites “originales” issues de fonds privés qui nous sont données à voir.

Divisée en 7 sections, l’exposition retrace, d’une part, le parcours artistique du peintre, mettant en évidence ses choix esthétiques et idéologiques ainsi que son évolution technique. On observe par exemple une certaine froideur émanant de ses premiers portraits, reflets d’un monde hostile, standardisé. Elle revient également, d’autre part, sur la vie de l’homme, en faisant la lumière sur ses thèmes de prédilection ou ses obsessions. Les séries intitulées Flash et Ladies and gentleman, témoignent du statut accordé par Warhol à l’art qui lui sert à la fois de tribune pour critiquer la société mais aussi de tremplin pour mettre en avant certaines thématiques. La première revient sur l’acharnement de la presse lors de l’assassinat de Kennedy qu’il perçoit comme malsain et étouffant. La deuxième aborde le thème du genre en prenant pour sujet des Drag Queens newyorkaises qu’il fait poser comme des stars d’Hollywood.

Marilyn, 1967, screen printing on paper, 91x91cm Private Collection Stefano Pirrone Padua

Regroupant différentes séries très célèbres comme celle des fameuses boites de soupe Campbell ou des portraits de Mao Zedong, la scénographie permet d’ailleurs de rendre parfaitement compte du caractère à la fois singulier et pluriel de chacune. Chaque pièce est en réalité la reproduction pas tout à fait conforme d’une autre et est donc à ce titre “remplaçable” mais participe dans le même temps à la construction d’un tout parfaitement original et unique qui apporte un nouvel éclairage sur le sujet. On le perçoit très bien avec l’accrochage de la série des Marylin dont le caractère répétitif crée une sorte de vertige qui souligne la fragilité et la tristesse du regard de la célèbre icône. Conçue par Maurizio Vanni, Pop Art Identities nous éclaire donc sur les questionnements et les prises de position opérés par Warhol tout au long de sa carrière en tant qu’artiste et être humain et nous invite, dans le même temps, à nous questionner à notre tour sur nos propres identités.

Pop Art Identities
Du 10 juin au 29 août 2021
Auditorium Stravinski, Montreux
www.warholmontreux.ch

Image en haut de l’article:
Rolling Stones guitar, Emotional Tatoo cover, 1982.
Private collection Marco Rettani Switzerland

Un mois de juin aux couleurs grecques à Lausanne

Nous sommes tous des Grecs” (Percy Shelley, dans la préface de son poème Hellas: A Lyrical Drama)

Durant le mois de juin, Lausanne et Ouchy fêtent l’indépendance de la Grèce en mettant en vedette l’un de ses principaux artisans, Ioannis Capodistrias. 200 ans après que la Grèce a retrouvé son indépendance politique, une exposition se penche sur les liens entre la Grèce moderne et la Suisse durant le 19e siècle au Forum de l’Hôtel de Ville de Lausanne.

Texte: Marc Duret

Né à Corfou en 1776, premier Bourgois d’honneur de la Ville de Lausanne, Citoyen d’honneur de Genève, Capodistrias a connu plusieurs vies: il fut ambassadeur puis ministre des Affaires étrangères pour le Tsar Alexandre Ier, organisateur du philhellénisme depuis la Suisse et à travers l’Europe, architecte du Pacte fédéral suisse signé en 1815 et enfin gouverneur de la Grèce dès 1827. Il est assassiné en 1831 à Nauplie, capitale grecque de l’époque, après avoir ouvré une grande partie de sa vie à l’indépendance grecque.

Ce personnage, dont on découvrira la vie en détails à la Place de la Palud, est le fil rouge de l’exposition, qui fait aussi la part belle au contexte européen et suisse durant ces années révolutionnaires en Grèce. Relativement discret dans l’exposition malgré sa présence dans le titre, le canton de Vaud, qui a alors connu sa propre révolution quelques années auparavant, a été l’un des lieux ou le philhellénisme a pu prendre son envol – notamment grâce à des personnages comme Benjamin Constant ou Frédéric-César de la Harpe. Au bout du lac, c’est notamment Jean-Gabriel Eynard et sa femme Anna ou Charles Pictet de Rochemond qui sont les moteurs de cet effort financier et politique pour soutenir la Grèce.

L’exposition se compose principalement de grands panneaux, joliment organisés et illustrés, ce qui allège le côté forcément très didactique et historique d’un tel sujet. Plusieurs livres anciens, des monnaies (antique et du 19e siècle) ainsi qu’une maquette de bateau construite par des réfugiés grecs donnent une matérialité intéressante aux thématiques abordées. On prend un plaisir certain à lire les nombreux textes, littéraires ou officiels, qui donnent une bonne image de l’ambiance de l’époque, durant laquelle une grande partie de la population européenne prend fait et cause pour les Grecs, au rythme des quêtes, des congrès et, pour plus d’un millier de personnes (dont une trentaine de Suisses), d’un engagement militaire sur le terrain.

D’autres événements en lien avec ce personnage et la Grèce se tiendront dans les prochains jours: Une allée homonyme a été inaugurée de manière festive le samedi 5 juin sur les quais d’Ouchy; le Théâtre grec de Genève présente une pièce de théâtre le 11 juin au Casino de Montbenon; enfin, deux conférences et une table ronde sur Capodistrias et le philhellénisme se dérouleront les 10, 14 et 18 juin au même endroit que la pièce.

Si vous n’avez pas encore l’opportunité de voyager vers les rivages grecs, ces divers événements vous permettront de glisser quelques touches d’hellénisme et de culture grecque dans votre programme des prochains jours!

www.lausanne.ch

En lien:

Ioannis Capodistrias: Chronologie
Théâtre: Vendredi 11 juin à 19h30: Jean Capodistrias – Gloire et solitude
Conférence: Lundi 14 juin à 19h: Ioannis Capodistrias, héros grec ou vaudois?

Moi, monstre macabre et merveilleux

Si vous avez le goût de l’onirique, l’exposition Je est un monstre présentée à la Maison d’Ailleurs d’Yverdon vaudra sans doute le détour. Dédié à la science-fiction et à l’imaginaire, cet espace si singulier présente une sélection des œuvres de deux illustrateurs, Benjamin Lacombe et Laurent Durieux, dans l’écrin d’une scénographie étudiée. La visite s’apparente à une déambulation placée sous le signe de l’étrange, qui oscille tantôt vers le rêve, tantôt vers le cauchemar. Envoûtant.

Texte: Athéna Dubois-Pèlerin

Ce n’est pas innocemment que l’exposition nous dévoile les mystérieux personnages de Lacombe: à la manière d’un cabinet de curiosité, les dessins se plaisent à nous apparaître derrière un grillage, ou sous les néons d’un chapiteau de cirque. Références limpides à un temps (guère lointain d’ailleurs), où les « anomalies » humaines se voyaient tantôt enfermées à l’abri des regards, tantôt exhibées sur les scènes foraines à titre de divertissement. Endossant malgré lui le rôle du voyeur, le public est amené à se questionner sur ses propres rapports à l’altérité: pourquoi avoir accouru pour voir cette exposition, aussitôt qu’on a pu lire le mot « monstre »? Pourquoi cette fascination pour l’étrange, le bizarre, le difforme? Pourquoi le monstre, toujours ramené à son étymologie, reste-t-il celui que l’on montre, pour le pointer du doigt?

Je est un monstre, ce titre détourne la fameuse phrase de Rimbaud « je est un autre », pour mieux souligner les luttes inconscientes auxquelles nous nous livrons pour triompher de la « bête » en nous. C’est elle que nous aimons tant à voir livrée à nous pieds et poings liés, sur une estrade de cirque ou fermement enserrée par le cadre rassurant d’un tableau, croyant ainsi nous exorciser d’une image angoissante et déformée de nous-mêmes. L’altérité monstrueuse, ce Mr Hyde que nous portons toutes et tous en nous, constitue d’ailleurs l’une des pierres d’angle de la psychanalyse freudienne, à laquelle nous renvoient inévitablement les innombrables images adaptées du folklore oriental ou des contes de fées européens.

Benjamin Lacombe

Dans un style qui emprunte beaucoup à l’esthétique de Tim Burton (pour lequel Lacombe n’a jamais caché son admiration), l’illustrateur nous présente une galerie de personnages d’une poésie inquiétante, imprégnés d’un parfum victorien, qui explorent en le revisitant l’imaginaire foisonnant du romantisme noir. Si Rimbaud prête son vers au titre de l’exposition, c’est davantage Baudelaire que l’on retrouve dans le lyrisme grinçant des portraits, dont le mélange de candeur et d’horreur rappelle la tonalité ambivalente des Fleurs du Mal. Frêles, silencieuses, les créatures de Lacombe nous fixent de leurs grands yeux pensifs, et leurs poses ont la grâce mélancolique d’enfants qui auraient grandi trop vite – comme c’est si souvent le cas dans les contes.

Il nous semble que l’enthousiasme passionné que suscitent souvent les œuvres de Lacombe tient effectivement à leur capacité à faire écho au « monstre en nous », et plus précisément à la dualité d’ombre et de lumière qui caractérise la nature humaine. Si on s’émeut devant ces personnages, c’est parce qu’on se retrouve témoin d’une sublimation de la laideur du monde: par un curieux sortilège, la bête se change en belle, la morsure du macabre se change en caresse. Le mal est conjuré par la beauté du trait qui le capture.

Comme en contrepoint à l’univers gothique et feutré de Lacombe, Durieux nous emmène à la découverte de ses affiches de films, dont l’esthétique pop se réclame autant du Golden Age hollywoodien que d’un réseau d’influences plus classiques, comprenant notamment le peintre Edward Hopper. Ces monstres à lui sont ceux du cinéma américain: King Kong, Hannibal Lecter, les Corleone du Parrain ou le requin des Dents de la Mer, qu’il s’agit pour l’artiste de se réapproprier pour les mettre en scène dans des affiches de films alternatives.

Laurent Durieux

Le travail d’adaptation représente ici un défi de taille, puisqu’on attend de l’illustrateur qu’il capture l’essence d’un film très connu du grand public, tout en abordant l’œuvre sous un angle original, puisque la nouvelle image ne doit ressembler à aucune des affiches du film déjà existantes. Pour Durieux, le processus créatif passe donc par une mise à distance nécessaire des représentations préexistantes, qui ont pourtant participé à forger son imaginaire artistique: entre orgueil et humilité, apparaît le besoin de s’arracher aux modèles, de tuer le maître (le père?) pour faire émerger une nouvelle vision de la même œuvre. Dans une démarche qui touche au symbolisme, l’illustrateur retient du film à peine quelques éléments-clés, qu’il doit ensuite méticuleusement agencer, mettre en scène et colorer d’une ambiance très précise. Bien exécuté, le dessin agit comme un catalyseur: et c’est le film entier qui ressurgit dans la conscience du spectateur qui contemple la nouvelle affiche.

À ne surtout pas manquer: le passionnant documentaire Out of the Box de Laurent Frapat, diffusé au dernier étage de l’exposition. Entre découragements et illuminations, on suit Laurent Durieux dans son parcours artistique en réponse à une requête d’un commanditaire, demandant une affiche alternative du Silence des Agneaux. Au terme d’un cheminement éprouvant, le résultat s’impose, éclatant: fruit d’un accouchement magnifique et monstrueux.

Je est un monstre
Jusqu’au 24 octobre 2021
Maison d’Ailleurs, Yverdon-les-Bains
www.ailleurs.ch

Triennale2020_Industria ©BexArts

“Industria”: la Triennale 2020 de Bex & Arts

À quelques dizaine de kilomètres à peine de l’Arc lémanique, Bex accueille en 2020 son incontournable Triennale de sculpture contemporaine. Cette année, c’est la thématique du domaine de l’industrie qui regroupe les œuvres. Bienvenue dans le monde
d’ “Industria”!

Texte: Sandrine Spycher

Terme polysémique, “Industria” caractérise, depuis le 18e siècle, l’habilité à produire, et désigne toute forme d’activité productive (culturelle, artistique, intellectuelle, etc.). Point de départ notamment du Bauhaus, l’idée d’ “Industria” cristallise la volonté, particulièrement d’actualité, de nouer des liens entre art et société industrielle. Dans le contexte de la Triennale de Bex & Arts, cette thématique rappelle l’activité industrielle de Bex comme lieu historique d’exploitation du sel. Dans une incitation à la réflexion, ce sont 34 artistes qui ont été invité·e·s à s’approprier ce terme pour la création d’une œuvre inédite à l’occasion de la Triennale. Combinant les notions d’espace, de lieu et de production, les œuvres in situ sont destinées à fonctionner dans une logique durable qui tient compte de la situation unique du Parc de Szilassy.

 

Parmi les 34 œuvres, la rédactrice de ces lignes a été particulièrement intéressée par les créations de Daniel Zea, Pierre Mariétan, Olivier Estoppey et Nicole Dufour. L’œuvre Cabeza de Hongo de Daniel Zea vous invite à écouter des sons industriels tout en vous baladant sous un arbre. Les cymbales suspendues à l’arbre y sont presque camouflées pour vibrer des sons qui les animent. Un moment poétique et musical proposé par l’artiste de Bogota, qui met en avant sa formation en musique informatique et électroacoustique.

Autre musicien et compositeur, Pierre Mariétan, Montheysan vivant à Paris, met en place un périple à travers l’espace et le son avec Écoute, Son Silence Bruit. En marchant le long de son œuvre, tendez l’oreille attentivement. Au fil de la marche, il y a d’abord le silence, puis les sons du parc, ensuite le bruit distant de la ville, et enfin l’industrie et ses bruits caractéristiques. Les inscriptions au sol prennent alors tout leur sens tandis que les bruits et les silences alentours se mêlent pour vous révéler la proximité de la ville.

Dans un autre registre, l’artiste vaudois Olivier Estoppey bouscule votre perception de l’espace à l’aide d’un simple dispositif architectural. Le Quartier des fous, voilà une œuvre qui porte bien son titre. Dès la porte de cette étrange maison franchie, le sol semble basculer et on perd l’équilibre. Comment est-ce possible? Grâce à une illusion qui embrouille le cerveau: les murs étant perpendiculaires au sol, on a l’impression que celui-ci est plat alors que nous marchons sur une pente. Il faut se muer en véritable dahu pour ne pas tomber !

La genevoise Nicole Dufour, quant à elle, propose avec Maîtrise (Dieu est une couturière, projet au long cours) une sculpture fascinante – et, avouons-le, un peu effrayante – où une figure de femme se libère des liens qui l’emprisonnent. Le fil à coudre et l’aiguille géante ont de quoi impressionner, tout comme le réalisme des traits de la femme représentée, notamment la force se dégageant de son poing serré. Une œuvre qui marque et donne des frissons.

Pas à Bex? Essayez la visite virtuelle !

©BexArts_Triennale2020_Industria

En marge de la Triennale en plein air dans le parc, L’Agenda recommande la visite de l’exposition de photos de Jean-Marc Cherix, dans la buvette de Bex & Arts. Vous y trouverez 25 clichés de la Fête des Vignerons (mêlant les éditions de 1999 et 2019). “Le défi était de faire des photos en noir et blanc d’une fête avec autant de couleurs”, explique le photographe. Mais si les couleurs disparaissent, le mouvement est, lui, bien présent pour rendre hommage à cette fête historique. Les photos vous transportent immédiatement vers la place du Marché de Vevey, avec les souvenirs et les émotions!

Jusqu’au 18 octobre 2020

bexarts.ch

Contempler l’horizon et s’y projeter

Simon Mastrangelo vous invite à découvrir son exposition de photographies ethnographiques Émigrer en quête de dignité. Ces mots titrent aussi son premier livre paru en 2019 aux Presses universitaires François-Rabelais (PUFR) dans la collection Migrations qui a pour objectif de favoriser la diffusion des connaissances scientifiques vers un public large.

Texte: Gauvain Jacot-Descombes

La rétine du savant

Diplômé de l’Université de Lausanne, Simon Mastrangelo est l’auteur d’une thèse de doctorat sur les migrations tunisiennes dites “clandestines”. Il précise lors de notre entretien: “La publication de ces images n’était pas préméditée, car durant les trois ou quatre années de cette recherche, je me suis servi de la photographie comme d’un outil mnémotechnique. Or, je souhaite aujourd’hui qu’elles puissent avoir leur propre voix. Je pense que ces images sont pertinentes à montrer, car elles se situent dans le cadre d’une recherche ethnographique. C’est la raison pour laquelle ces images sont toujours liées dans l’exposition à des scènes ethnographiques ou à des extraits d’entretiens”.

Un choix qui est bien inspiré, car d’autres scientifiques n’ont eux aussi pas pu résister à l’appel de la photographie. En 1904, par exemple, le sociologue américain Lewis Wickes Hine travaille sur les immigré·e·s d’Ellis Island et réalise une série de clichés stupéfiants d’une époque où c’était au tour des Européen·ne·s de prendre la mer, de rêver à un Ailleurs et de se construire un imaginaire migratoire. Si cette proposition photographique a un ancrage scientifique, ce n’est pas l’histoire de cette discipline qui pourra contredire l’approche du chercheur. En effet, “c’est à partir des années 1880 que la photographie devient un auxiliaire fiable des sciences”. (Bajac, 2004)

Une arme de dénonciation?

Ces images ont certes un axe scientifique, mais pas uniquement. Dans la mesure où la migration est une problématique contemporaine, sociale, politique et législative, il faut aussi relever l’axe du témoignage photographique. Dès la fin du 19e et le début du 20e siècle, “la photographie a été reconnue comme le meilleur moyen de témoigner du réel. Elle devient une arme de dénonciation dans les mains d’hommes ou de femmes désireux de révéler aux yeux de leurs contemporains l’injustice du monde qui les entoure” (Bolloch, 2004).

Il est toutefois nécessaire de clarifier le positionnement de Simon Mastrangelo: “Quand on parle de migration, c’est toujours très politique. Dans mon cas, bien que l’on ne puisse pas être toujours totalement objectif, j’essaie de produire quelque chose qui ne soit ni dans un déni des souffrances du genre humain ni dans une perspective militante qui viserait à diaboliser les politiques migratoires. J’essaie plutôt de documenter et de donner la parole aux personnes elles-mêmes, pour qu’elles puissent raconter leurs récits, et qu’elles s’expriment politiquement si elles le souhaitent. Mais que ça ne soit pas moi qui leur impose ce prisme de lecture politique”.

Émigrer en quête de dignité

Du 25 juillet au 15 août 2020,
Galerie du Faubourg, Porrentruy. Vernissage le 25 juillet à 19h

Du 11 au 25 septembre 2020,
Péristyle de l’Hôtel de Ville de Neuchâtel, à l’occasion de la Semaine d’actions contre le racisme

 

Pour aller plus loin:

Mastrangelo Simon (2019), Émigrer en quête de dignité. Tunisiens entre désillusions et espoirs, Tours: Presses universitaires François-Rabelais.

Bajac Quentin (2004), La photographie scientifique, la révélation d’une autre réalité, in Brigitte Govignon, La petite encyclopédie de la photographie, Paris: Éditions de la Martinière, pp. 48-49.

Bolloch Joëlle (2004), “D’authentiques cas” de misère sociale, in Brigitte Govignon, La petite encyclopédie de la photographie, Paris: Éditions de la Martinière, pp. 50-51.

La Cinémathèque suisse se dévoile à Penthaz : portes ouvertes exceptionnelles en septembre

Afin d’inaugurer son Centre de recherche et d’archivage, la Cinémathèque suisse ouvre ses portes aux visiteur·euse·s les 7 et 8 septembre prochains. Au programme de ce weekend à Penthaz, la découverte des archives de l’institution grâce à un parcours fléché et à une exposition temporaire présentée dans le verger. L’occasion pour le public de mesurer la richesse de ce patrimoine cinématographique unique en Suisse.

Texte: Marion Besençon

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Photo: Marion Besençon

Fondée en 1948, la Cinémathèque suisse occupe actuellement trois sites dont la Dokumentationsstelle à Zürich, son centre germanophone. Alors que tout au long de l’année le Casino de Montbenon à Lausanne propose à son public cinéphile des cycles thématiques, des rétrospectives et des hommages à la production cinématographique suisse et mondiale, le nouveau site de Penthaz se charge de conserver et de restaurer une impressionnante collection de plus de 85’000 films de fiction et documentaires, des millions d’affiches, photographies, scénarios, livres, périodiques, appareils anciens, décors et objets de cinéma les plus variés.

Avec sa façade en acier oxydé d’inspiration industrielle, le nouveau site de Penthaz incarne la mémoire audiovisuelle suisse et se profile en témoin de la cinématographie et de la cinéphilie helvétique comme mondiale. Au sein de cet espace architectural qui évoque le cinéma par ses fenêtres de

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Photo: Marion Besençon

la taille d’un écran et ses effets de cadrage, qui expose ses photographies et ses affiches, archivistes, chercheurs, cinéastes professionnels et visiteurs ont accès à l’histoire du cinéma suisse et international. Avec près de 100 collaborateurs, le Centre de recherche et d’archivage à Penthaz est aussi une vitrine des métiers de la Cinémathèque suisse : documentalistes, archivistes, restaurateurs ou encore techniciens du film.

C’est donc une entrée merveilleuse dans les coulisses de l’institution qui attend le public lors de ces deux journées portes ouvertes. Une sensibilisation aux enjeux éthiques et aux prouesses techniques et technologiques de l’archivage et de la conservation qu’on vous promet passionnante !

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Photo: Marion Besençon

Cinémathèque Suisse – Journées portes ouvertes

Centre de recherche et d’archivage, Penthaz
Samedi 7 et dimanche 8 septembre 2019

Toutes les informations sur Cinémathèque Suisse – Journées portes ouvertes