Exposition

Petra Weiss

Couleur, graphisme et mouvement

La Galerie Latham, à Genève, présente une exposition de l’artiste tessinoise Petra Weiss, dans le cadre du Parcours Céramique Carougeois.

Texte d’Emilie Thomas

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Vingt ans après son exposition majeure au Musée Ariana, la sculptrice Petra Weiss est à nouveau mise à l’honneur à Genève, dans la galerie de Lionel Latham, avec une exposition d’envergure qui réunit plus de cinquante de ses œuvres. Intitulée Signe. Couleur. Sculpture. L’Âge d’or de Petra Weiss, cette exposition illustre l’évolution de son parcours artistique sur trois décennies, en juxtaposant des œuvres plus anciennes et des créations récentes. Les visiteur∙euse∙s peuvent y découvrir des sculptures en grès, faïence, marbre de Carrare, métal, ainsi que des œuvres sur papier, reflétant la diversité des médiums explorés par l’artiste à la suite d’une période de questionnement profond dans les années 90. Durant cette phase critique, confrontée à un blocage créatif avec le grès, Petra Weiss s’en est temporairement détournée pour expérimenter divers matériaux, dans une quête pour trouver ce qu’elle décrit comme « l’épine dorsale » de sa pratique sculpturale.

Dès 2002, Petra Weiss a élargi son champ créatif en se tournant vers l’écriture, et dès l’année suivante, elle a initié un dialogue interdisciplinaire mélangeant sculpture, danse et musique, comme en témoigne la performance L’Alphabet de la terre, présentée notamment à l’Institut Suisse de Rome en 2005. Cet alphabet, transformé en sculptures en grès, se compose de symboles qui évoquent des pictogrammes anciens. Bien que ces signes paraissent authentiques, ils sont purement imaginaires et visent à exprimer de manière plastique et artistique l’essence même du mystère de notre monde.

Depuis l’automne 2022, Petra Weiss se consacre à une étude où le bois et le métal permettent de créer de vastes extensions de formes colorées. Les œuvres en bois peint sont conçues pour des espaces intérieurs, tandis que les créations en métal sont destinées aux espaces extérieurs. Les formes et les couleurs de ces œuvres révèlent son univers créatif et émanent de son identité de céramiste.

Ces œuvres combinent des signes graphiques abstraits et des formes géométriques en relation avec la couleur, la lumière et l’espace. L’artiste s’intéresse à des terres locales, comme l’argile de Riva San Vitale, qui, sans besoin d’émail, révèle une teinte corail particulièrement intense. La simplicité, la fluidité et l’élégance, ancrées dans un idéal épuré et méditerranéen, sont des termes fréquemment utilisés pour décrire les œuvres de Petra Weiss. À travers ses créations, l’artiste souligne l’importance qu’elle accorde à la préservation de la nature et son aspiration à une paix mondiale.

Petra Weiss, originaire de Cassina d’Agno dans le Tessin, est née en 1947. Fille de la journaliste et écrivaine Mix Weiss et du sculpteur Max Weiss, elle a acquis une formation solide auprès de céramistes renommés. Elle a étudié dans l’atelier d’Antoine de Vinck à Bruxelles, de Jean-Claude de Crousaz à Bernex, et de Carlo Zauli à Faenza, et dont elle est devenue la collaboratrice pendant quatre ans. En 1970, Petra Weiss s’est installée à Tremona où elle a ouvert son propre atelier.

Lionel Latham a ouvert sa galerie il y a plus de 40 ans, en 1981. Spécialiste des Arts Décoratifs des 20e et 21e siècles, il a organisé de nombreuses expositions thématiques, notamment sur l’Art Nouveau, l’Art Déco ou encore le Design. Ses recherches l’ont fait par la suite s’intéresser aux créations contemporaines d’artistes et de créateur∙ice∙s suisses.

Signe. Couleur. Sculpture. L’Âge d’or de Petra Weiss
Du 10 septembre au 5 octobre 2024
Galerie Latham, Genève
www.galerie-latham.com

Photos d’en-tête: ©Galerie Latham
Petra Weiss, Il tempio. Grès émaillé et métal | H: 23 cm largeur: 42,5 cm profondeur: 24,5 cm

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Irene Venetsanou. Photo Oxana Besenta

Être humain et monde naturel

Artion Galleries à Genève, dans le cadre du Parcours Céramique Carougeois, propose une exposition réunissant les sculptures de deux artistes céramiste ainsi que des œuvres d’un duo de photographes.

Texte d’Emilie Thomas

Marion Inglessi, artiste multidisciplinaire, designer et curatrice, a vécu dans de nombreux pays allant du Nigeria au Liban, en passant par l’Italie, la France et les États-Unis. Elle est titulaire d’un Master en conception théâtrale de l’Université Brandeis à Boston ainsi que d’un Master en beaux-arts et arts appliqués de l’Université Aristote de Thessalonique. Ses œuvres explorent des thèmes variés comme l’extinction, la survie et la vie organique, des virus aux animaux, sans oublier l’être humain ou comme elle aime le dire « l’animal humain ». Elle utilise le langage corporel souvent présent dans sa pratique artistique.

Pour cette exposition, Marion Inglessi présente deux installations marquantes. La première, intitulée Vertebrae, associe l’argile à des tubes en silicone pour former une structure semblable à une colonne vertébrale hybride. Ce travail, façonné par des gestes répétitifs de pétrissage et de modelage utilisant ses doigts, ses paumes, mais aussi ses genoux et ses cuisses, montre comment l’artiste a engagé son corps entier dans la création des vertèbres d’un autre corps. Symbolisant la structure qui nous soutient tout en nous élevant vers le ciel, que nous soyons debout, couché∙e∙s ou à quatre pattes, cette œuvre met en lumière notre connexion profonde avec le monde physique.

Sa deuxième installation, intitulée Static/Ecstatic, est composée d’argiles de différentes couleurs naturelles, sans aucun ajout de pigments artificiels. Elle évoque une accumulation de structures répétitives, semblables à des cellules qui se développent, prolifèrent et s’entassent. Ces éléments rappellent l’exosquelette qui protège les invertébrés, évoquant des formes de vie primitives et laissant leur interprétation ouverte aux spectateur∙ice∙s.

Consciente de l’importance du processus créatif, Marion Inglessi expose également une vidéo d’une minute, offrant un aperçu fascinant de la fabrication des éléments de Vertebrae. Cette démarche souligne son désir de dévoiler les coulisses de ses créations, les considérant comme une partie intégrante de l’œuvre artistique.

En écho à ces installations, des œuvres de l’artiste céramiste Irene Venetsanou, issues de sa série When Elephants Fly, sont présentées. Elles invitent à une réflexion sur la communication humaine.

« Quand les éléphants volent, les lois de la gravité s’assouplissent et les limites de la réalité s’estompent ». Cette métaphore que l’artiste utilise pour dépeindre le thème central de sa série reflète notre désir de nous libérer des fardeaux et de transcender nos limites. Cela incite à croire en l’extraordinaire et à valoriser l’imagination où l’impossible devient soudain réalisable. Les trompes d’éléphants façonnées en argile symbolisent la quête humaine pour une communication qui dépasse le verbal, pour une écoute qui va au-delà de l’auditif, pour ressentir les vibrations et discerner les nuances subtiles qui nous entourent.

De la même manière que les éléphants utilisent un réseau complexe de signaux pour orchestrer leurs interactions sociales, les humains échangent continuellement des messages à travers le langage corporel, l’intonation et une compréhension implicite.

Irene Venetsanou. Photo Oxana Besenta

Photo: Oxana Besenta

Par ailleurs, à l’instar du dieu indien Ganesha, ces trompes représentent le surmontement des obstacles et créent un pont entre le passé et le présent. Elles symbolisent un réservoir de vie qui illustre la nature cyclique de l’existence. Ces œuvres soulignent les liens profonds entre les humains et la nature, fondés sur le respect, la coexistence et la survie mutuelle.

Née à Athènes, Irene a vécu et travaillé à Londres avant de s’établir à Genève, où elle réside depuis quinze ans. Son œuvre, profondément enracinée dans des thématiques de nature et de communication, porte les traces des diverses influences culturelles acquises lors de ses séjours en Grèce, en Angleterre, en Italie, en France et en Suisse. Depuis 2019, elle poursuit sa démarche artistique à la Fondation Bruckner à Carouge, où elle continue d’explorer ces thèmes universels.

En parallèle, l’exposition met en avant des photographies du duo Ana D. & Noora K. Ces deux artistes explorent également, à travers leur médium, les liens entre l’humanité et l’environnement. Leur travail, marqué par une conscience écologique et sociale, expose les interactions entre nos comportements et les ressources naturelles. Elles s’efforcent de sensibiliser sur les conséquences environnementales de nos actions et leurs répercussions sur notre bien-être mental. Leur série photographique nous entraîne dans une exploration visuelle où l’illusion de la nature et de la forme humaine nous confronte à la surconsommation des ressources et à l’accroissement de l’isolement dans nos sociétés actuelles, mettant en évidence la nécessité urgente de réviser nos modes de vie.

En complément de leur œuvre photographique, Ana et Noora ont également exploré un nouveau médium pour le Parcours Céramique Carougeois, en présentant deux œuvres composées de plaques en céramique ou en porcelaine. Cette démarche crée un dialogue avec les œuvres d’ Irene Venetsanou et de Marion Inglessi.

ANA D & NOORA K

 © ANAD&NOORAK all rights reserved

Ana Dominguez-Lombard, née en 1974 à Veracruz, Mexique, a étudié le graphisme à l’Institut d’études supérieures de design de Mexico avant de s’installer en Europe pour se dédier à la photographie. Noora Kulvik, née en 1979 à Helsinki, Finlande, est diplômée des beaux-arts de la Parsons School of Design et a exposé à l’international avant de former un duo en 2015. Depuis, elles exposent leur travail conjoint sur la scène internationale, principalement à travers la photographie.

Marion Inglessi, Irene Venetsanou et le duo Ana D. & Noora K.
Du samedi 12 au lundi 30 septembre 2024
Artion Galleries, Genève
www.artiongalleries.com

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Parcours Céramique

La céramique est à l’honneur : Édition 2024 du Parcours Céramique Carougeois

Depuis le 14 septembre, Carouge vit au rythme de la Biennale Internationale de Céramique Contemporaine. Dans plus d’une vingtaine de lieux répartis entre la cité sarde et Genève, cette manifestation qui fête cette année ses 35 ans est devenue un événement culturel majeur pour les amateur∙trice∙s, les collectionneur∙euse∙s et les professionnel∙le∙s de la céramique et de l’art contemporain.

Texte d’Emilie Thomas

Organisé par la Fondation Bruckner, dirigé par Émilie Fargues et le curateur associé Frédéric Bodet, cet événement, qui ne dure qu’une semaine, nous plonge dans l’univers riche et varié de la céramique. Longtemps cantonnée aux arts décoratifs, elle s’affirme aujourd’hui comme un puissant moyen d’expression artistique.

Cette 18ᵉ édition du Parcours Céramique Carougeois (PCC), placée sous le signe des « Écritures, Images, Messages », explore le dialogue entre l’art et son public.  Le programme inclut expositions, ateliers, démonstrations et performances, soulignant la formidable plasticité de la céramique qui, bien que techniquement exigeante, offre une liberté sans égale aux artistes. Dans un monde dans lequel l’éphémère règne et où le contact tangible est de plus en plus délaissé, la céramique rappelle l’importance du contact, la puissance de l’artisanat et transforme la matière brute en véritables œuvres d’art contemporain. Ce médium ne sert pas uniquement à réfléchir sur notre passé, mais devient un vecteur pour explorer nos potentiels futurs.

Dans cette démarche, l’invitée d’honneur de la biennale, l’Allemande Stephanie Marie Roos, expose à la Maison Pertin ses œuvres hyperréalistes et archétypales qui captivent par leur précision et leur portée socio-culturelle.

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Bien que la Biennale se clôture le 22 septembre, certaines expositions demeureront accessibles encore plusieurs jours dans divers espaces. À L’Agenda, nous continuerons de vous proposer des articles détaillés sur nos coups de cœur dans les différents espaces visités, capturant l’essence de ce festival céramique et partageant avec vous les pièces les plus fascinantes et les histoires les plus inspirantes.

Nos deux coups de cœur du jour sont deux expositions qui se terminent au 22 septembre:

Parcours Céramique Carougeois
Du samedi 14 au dimanche 22 septembre 2024
www.parcoursceramiquecarougeois.ch

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Writings, images, messages

L’art pour mettre en garde

Exposition de l’artiste espagnol Xavier Monsalvatje à l’espace Teo Jakob dans le cadre du Parcours Céramique Carougeois.

Texte Emilie Thomas

Né en 1965, Xavier Monsalvatje a obtenu son diplôme en céramique artistique à l’École d’Art et de Design de Valence en 1988. Dès 1992, il a commencé à étudier l’architecture industrielle et l’urbanisme à travers des œuvres céramiques et des peintures, mais aussi des dessins et des installations. 

L’exposition el arte alerta présentée au Parcours Céramique Carougeois met en avant des créations où les signes, l’iconographie et les récits se mêlent sur des objets céramiques usuels tels que des assiettes et des carreaux. L’artiste y questionne les dérives de la modernité et lance une mise en garde contre ce qu’il appelle un « danger permanent ». Il dépeint un monde en déséquilibre, où les excès humains mènent à des catastrophes inévitables.

L’une des œuvres, une assiette en faïence blanche à décor bleu cobalt sous glaçure, est conçue comme un tableau ayant plusieurs niveaux de lecture possibles. L’artiste a eu recours à diverses références et iconographies. La première évoque les trois singes de la sagesse « Ne pas voir le mal. Ne pas dire le mal. Ne pas entendre le mal ». Outre les écrits, l’artiste a représenté trois personnages autour d’une table, deux parlent sans rien dire, l’autre ne fait qu’écouter, mais ne peut pas parler. Ce dernier possède une enveloppe contenant de l’argent dans sa poche, serait-il un conseiller corrompu comme le souligne l’artiste ? Il existe également des références à la manière dont la technologie dirige nos vies à travers la représentation d’un satellite ou d’un téléphone portable. En arrière-plan, une maison en flamme, inspirée d’une image datant du début du 20e siècle, est une allusion aux catastrophes qui nous entourent.

L’artiste met en lumière la banalité et la fugacité des messages dans une société dominée par la surmédiatisation et l’éphémère. Ainsi, dans la conception de ses créations, il a souhaité conserver des formes et des techniques traditionnelles de la céramique, telles que la faïence à décor bleu cobalt sous glaçure.

Maximum alert  © Xavier Monsalvatje
Photo de haut de page: Writings, images, messages © Xavier Monsalvatje

Dans cette exposition dans laquelle le message prime, l’artiste encourage les spectateur∙rice∙s, grâce à ses représentations textuelles, figuratives et métaphoriques, à s’interroger sur notre société et à avoir un esprit critique.

Xavier Monsalvatje – el arte alerta
Du samedi 14 au dimanche 22 septembre 2024
Galerie Teo Jakob, Carouge

teojakob-website.eu.aldryn.io

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Du textile à la céramique

Exposition du céramiste franco-suisse Réjean Peytavin, présentée à la Galerie h + Peter Kammermann, dans le cadre du Parcours Céramique Carougeois.

Texte Emilie Thomas

Né en 1986, Réjean Peytavin, diplômé de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris, de l’école des Beaux-Arts de Nantes ainsi que de l’ENSAD Limoges, a exploré en profondeur l’art de la céramique contemporaine.

Le projet Traduslation, qu’il a débuté en 2022, est un voyage à travers la transformation et la traduction des formes. Les vases, motifs principaux de la série, sont les protagonistes de cette transformation, passant du dessin au textile pour finalement devenir des céramiques, suivant un protocole prédéfini par l’artiste. 

Peytavin commence par dessiner des œuvres à l’aquarelle et au pastel. Ces créations sur papier sont ensuite confiées aux tisserandes de la coopérative marocaine Mabrouka. En s’inspirant de leur propre histoire personnelle, ces dernières les transposent en tapis et kilims. Ces œuvres, qui ont acquis une nouvelle dimension texturale, font l’objet d’une dernière interprétation par l’artiste en céramique. Le rendu parfois lisse parfois granuleux est le fruit de son appréciation. Il utilise des textures et des procédés tels que le tuftage de l’argile pour évoquer l’apparence de certains tapis. 

Chaque étape de la production est un acte de traduction, où les interprétations et les transformations favorisent la compréhension de l’œuvre finale. Le médium peut dépasser sa matérialité et devenir un vecteur de récits culturels et historiques, ce qui ouvre une nouvelle perspective sur la céramique.

Rejean Peytavin

Skupaj, 2022. Craie grasse sur papier. Photo: Tanguy Beurdeley

Rejean Peytavin

Photo ci-dessus et photo de haut de page: ©Peter Kammermann

Exposer cet artiste s’est révélé une évidence pour Peter Kammermann et Valérie Hangel, car tous∙tes deux ont une histoire liée à l’univers du textile.

Originaire de Lucerne, Peter Kammermann a commencé sa carrière par un apprentissage dans un atelier de tapissier-villier, lui permettant ainsi de maitrise l’art du textile. Il s’est ensuite intéressé à l’histoire du mobilier et de la décoration et est devenu un architecte d’intérieur réputé.

De son côté, Valérie Hangel, initialement formée dans les arts graphiques, a trouvé son inspiration lors d’un voyage en Asie où elle a découvert des soies anciennes du Japon. Fascinée par ces tissus aux imprimés rares, elle en fait la source de ses bijoux. Ses créations, qui allient bijouterie et textile, invitent au voyage et sont imprégnées de poésie.

Réjean Peytavin
Du samedi 14 au dimanche 22 septembre 2024
Galerie h + Peter Kammermann, Carouge

www.peterkammermann.ch

www.galerieh.ch

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Instantanés botaniques © Flying Focus : Yvon Labarthe

Le « Collector » du bicentenaire

Si 2017 marquait les 200 ans du Jardin botanique, en 2024 c’est le tour du Conservatoire de célébrer son bicentenaire durant toute l’année. Fondée en 1824 aux Bastions par le savant genevois Augustin-Pyramus de Candolle, l’institution a finalement déménagé au début du 20e siècle et occupe depuis les lieux de l’autre côté du lac. Cette année anniversaire est donc l’occasion de revisiter ses espaces extérieurs et plonger dans les secrets de ses sous-sols, ainsi que de sortir du jardin, suivant les traces de verdure laissées dans la ville. Échange avec le conservateur Martin Callmander.

Texte et propos recueilli par Eugénie Rousak

L’Agenda: Quels étaient les changements majeurs dans les activités du Conservatoire le long de cette histoire bicentenaire ?

Martin Callmander : Selon moi, il est surtout question d’une évolution technologique. Notre fondateur Augustin-Pyramus de Candolle avait décrit de nombreuses espèces, utilisant les moyens disponibles à son temps. Avec très peu de matériel et de ressources, il a commencé un ambitieux Prodromus, sorte de catalogue de toutes les plantes connues de l’époque, terminé par sa descendance. Aujourd’hui, le Conservatoire évolue avec son temps et les possibilités actuelles, comme notamment les différentes techniques liées à l’ADN, venues progressivement compléter l’analyse morphologique du vivant. Désormais, nous pouvons mieux retracer et comprendre les relations entre les plantes.

Quelles évolutions voyez-vous dans les activités du Conservatoire et Jardin botaniques de Genève (CJBG) les prochaines années ?

Avec la crise mondiale de la biodiversité, nous sommes au premier plan pour tenter de répondre aux questions cruciales de l’extinction en masse et du changement climatique. C’est donc dans cette direction de protection de la nature que le Conservatoire oriente ses activités. Pour donner un exemple, actuellement nous travaillons étroitement avec la Ville de Genève pour mettre en place différents plans d’actions en faveur de la biodiversité en milieu urbain.

Et pour rentrer au cœur de la célébration, pourquoi avez-vous décidé d’organiser les événements tout au long de l’année et comment la programmation Collector s’est-elle construite ?

Nous avions déjà présenté une grande exposition à l’occasion des 200 ans du Jardin, donc nous voulions proposer un format original et différent pour le bicentenaire du Conservatoire. Nous nous sommes donc mis autour d’une table pour construire ensemble une programmation qui présenterait les nombreuses facettes de nos activités et du patrimoine institutionnel. L’idée de cette année Collector est donc de montrer tout ce qui se passe dans les coulisses, car les bâtiments sont relativement peu souvent ouverts au public. Par exemple, les « Variations botaniques » du mardi permettent de découvrir les collections en compagnie de nos experts, « Drôles de métiers ! » entrouvre le secret de la diversité de métiers que nous avons, alors que les différentes conférences données dans l’iconique serre tempérée proposent de découvrir une thématique dans une atmosphère végétale assez exceptionnelle.

Photos: Conférence au vert
© Conservatoire et Jardin botaniques de Genève 
Photo de haut de page: Instantanés botaniques
© Flying Focus: Yvon Labarthe

Vous avez également organisé cinq expositions sur le site des CJBG, dont La gravure botanique en collaboration avec la Fondation Martin Bodmer. Quelles sont les synergies entre vos deux institutions ?

La grande fierté du Conservatoire est son patrimoine et notamment sa bibliothèque. De son côté, la Fondation Bodmer dispose également d’ouvrages exceptionnels. Malheureusement, ces prestigieuses collections sont souvent difficilement accessibles au public. D’autant plus actuellement, la Fondation Bodmer étant fermée pour rénovation. Nous avons donc décidé de collaborer et présenter sur de grands portiques dans le Jardin 30 magnifiques illustrations de plantes sorties de nos ouvrages, datant du 15e au 19e siècle. Nous voulons ainsi rendre hommage aux dessinateurs et graveurs de talent, et ainsi mettre en avant la beauté artistique au-delà d’une analyse scientifique. Cela dit, les ouvrages botaniques originaux de la Bibliothèque sont également présentés au public lors de trois événements, les 12 septembre, 3 et 17 octobre!

Toujours dans cette volonté de faire sortir le Conservatoire de ses lieux relativement cachés, vous organisez également des expositions extra-muros, dont une qui ouvre ses portes le 15 septembre aux Bains des Pâquis pour durer jusqu’à la fin de l’année. Qu’est-ce qui attend le public?

L’objectif de “Instantanés botaniques” est de mettre en avant les différents trésors du Conservatoire à travers les yeux de photographes talentueux du Studio Fédéral et de Flying Focus. Pour réaliser cette immersion visuelle, ils sont venus capturer nos infrastructures vues du ciel, immortaliser les richesses cachées du Conservatoire et documenter nos différentes missions insoupçonnées. Cette exposition répond finalement assez bien aux différentes questions que les visiteurs nous posent régulièrement !

La gravure sort au jardin
© Conservatoire et Jardin botaniques de Genève

Collector : célébration du bicentenaire du Conservatoire botanique
Jusqu’au 30 novembre 2024
Conservatoire et Jardin botaniques de Genève
www.cjbg.ch/agenda/collector

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Rage Room

Jouer avec les limites de l’art

N’avez-vous jamais rêvé de plonger dans une œuvre? Au Musée d’art de Pully, l’exposition Vivre l’œuvre. Voyage aux frontières de l’art immersif contemporain brouille les frontières habituelles entre art et spectateur·ice, et invite le public à jouer un rôle dans le dispositif créatif. Ou à jouer tout court!

Texte de Sophie Moretti

Depuis plusieurs années, le mot « immersion » prolifère sur les descriptions de spectacles, programmes de saisons et présentations d’expositions, comme si l’expérience culturelle se devait d’être augmentée. Cette nouvelle relation entre l’œuvre et son public se révèle féconde d’expérimentations artistiques explorées avec bonheur par une dizaine d’artistes contemporain·e·s au Musée d’art de Pully dans le cadre de l’exposition Vivre l’œuvre. Voyage aux frontières de l’art immersif contemporain, organisée à l’occasion des 75 ans de l’institution pulliérane.

Certain·e·s artistes invitent à la contemplation, comme Maya Rochat et son Poetry of the Earth: dans une ambiance relaxante, peintures et vidéos brossent un ressourçant hommage à la nature. Toute aussi planant, le projet du réalisateur Jan Kounen offre la possibilité d’un voyage sous psychotropes grâce à un masque de réalité virtuelle. Ne vous laissez pas intimider par les vingt minutes de film, on se laisse totalement happer par ce monde onirique. L’expérience ne conviendra néanmoins pas aux plus jeunes ou aux personnes sensibles.

Maya Rochat, “Poetry of The Earth”, 2024, installation. ©Musée d’art de Pully, 2024. Photo: Mathieu Bernard-Reymond

D’autres installations nécessitent de l’action, à commencer par la fameuse Rage room de Beni Bischof dans laquelle le public participe à la création chaotique de l’œuvre par la destruction du décor. The Siren vous met directement aux commandes avec une manette… de jeu vidéo. Imaginée par Mélanie Courtinat, cette séquence de jeu interactive interroge les mécanismes du tutoriel et renvoie le·la joueur·euse à sa propre responsabilité. Bluffant. Quant l’installation In the Woods de Camille Scherrer, ses ombres chinoises en forme de masques d’animaux font appel à notre part d’enfance.

Au-delà de son propos ou de sa forme, chaque œuvre de cette exposition porte la possibilité d’une expérience et d’une rencontre. Petit conseil: laissez à la porte vos préjugés. Certaines œuvres vous embarqueront plus que d’autres, mais le rôle du·de la visiteur·euse est aussi de se laisser surprendre et de plonger dans de nouveaux bassins d’interrogations ou de sensations. À découvrir jusqu’au 16 juin.

Vivre l’œuvre. Voyage aux frontières de l’art immersif contemporain
Musée d’art de Pully
Du 23 février au 16 juin 2024

museedartdepully.ch

Photo de haut de page: Beni Bischof, “Rage Room”, 2024, ©Musée d’art de Pully, 2024. Photo: Mathieu Bernard-Reymond

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Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

Découverte du patrimoine musical lémanique

Ici, le lac ressemble à la mer

Le projet un peu fou d’exposer des chansons est né de la complicité entre le chanteur Marc Aymon et Lionel Gauthier, conservateur du Musée du Léman. L’institution nyonnaise propose actuellement au public de découvrir ou redécouvrir les chansons qui rendent hommage au lac.

Texte et propos recueillis par Sarah Liman Moeri
Photos: Nicolas Lieber

La genèse de l’exposition

Tout est parti du projet du chanteur Marc Aymon : Glaneurs. En 2019, ce dernier a lancé un appel à la population dans la presse, afin de récolter des documents en lien avec le patrimoine musical romand: vieux carnets de chant, partitions, enregistrements et autres. Il en a réuni plusieurs centaines. Marc Aymon et Xavier Michel (du groupe Aliose) ont découvert ces trésors et choisi une quinzaine de chants et de poèmes, qu’ils ont enregistrés sur un disque, avec divers artistes suisses.

Parmi les textes découverts, il y avait Le Vieux Léman, un texte d’Eugène Rambert datant de 1881, mis en musique par l’Abbé Bovet (auteur du Vieux Chalet). Marc Aymon a fait écouter l’enregistrement à Lionel Gauthier, qui a été agréablement surpris. Car même si les paroles de la chanson semblaient un peu désuètes, elle aurait pu être écrite aujourd’hui. Le chanteur lui a alors demandé: “Est-ce que tu veux accrocher des chansons aux murs de ton musée?”.

Cette idée a titillé le conservateur, lui-même passionné de musique, musicien et auteur d’une centaine de chansons. Il était également intéressé par le défi muséographique… Comment “accrocher” des choses qui ne se voient pas?

Les défis

En plus du défi scénographique, il a fallu trouver les chansons qui évoquent le lac Léman (véritable source d’inspiration pour les peintres, les poètes, les écrivains et les paroliers), puis en obtenir les droits de réadaptation.

La recherche des chansons

Marc Aymon s’est employé à contacter ses ami∙e∙s artistes pour savoir s’ils avaient composé des titres sur le Léman. Aliose avait déjà écrit Droit devant et François Vé a créé Vigne spécialement pour l’exposition.

Lionel Gauthier a, quant à lui, consulté les archives : des livrets de chants ou des recueils de partitions, conservés dans les collections du musée ou dans d’autres institutions, comme la BCU à Lausanne, mais également les bases de données de la SUISA et de la Sacem.

Cinquante-six chansons ont été répertoriées et depuis l’exposition, une dizaine d’autres ont été retrouvées.

Le choix des chansons

En fouillant dans un cahier de textes, Lionel Gauthier a repéré une chanson parlant du Léman: Gentille Batelière. Le titre et les premiers mots ne lui disaient rien, mais en lisant plus avant, il s’est rendu compte qu’il connaissait cette chanson par cœur, car sa grand-mère la chantait. Elle a donc tout naturellement trouvé sa place dans l’exposition, en hommage à celle-ci.

L’idée était d’avoir un panel de titres panaché, des chansons anciennes et des plus modernes, des chansons oubliées et des plus connues, comme Genève de William Sheller, pour que le∙la visiteur∙euse puisse se rattacher à quelque chose qui lui est familier. Le duo souhaitait aussi avoir des sujets différents dans la musique et dans le texte, mais en même temps avec une certaine homogénéité. Des morceaux plutôt acoustiques. Smoke on the Water de Deep Purple ou Bienvenu chez moi de Bigflo & Oli n’auraient pas trouvé leur place dans l’espace d’exposition, car leurs styles musicaux sont très différents des autres. En revanche, elles font partie de la playlist consultable dans l’audioguide, qui nous accompagne le long du voyage musical.

Le titre

Ici, le lac ressemble à la mer” sont les premières paroles de la chanson de Marc Aymon À Saint-Saph’. Il a vécu deux mois dans le village de Saint-Saphorin, qu’il considère comme le plus beau du monde, en pensant que la beauté des lieux allait lui inspirer quantité de lignes. Mais rien n’est venu. Il en est reparti dépité. Quelques jours plus tard, un ami lui a envoyé un message: “Je passe en train à Saint-Saph’. Ici, le lac ressemble à la mer.” Cette phrase lui a provoqué un déclic et le texte de la chanson est arrivé tout seul. Il était donc évident pour lui qu’elle devienne le titre de l’exposition.

Musée du Léman / exposition: Ici le lac ressemble à la mer //

La scénographie

L’idée étant de proposer au public une expérience multisensorielle, on a choisi de lui offrir des chansons à écouter, des visuels à regarder et des objets à toucher.

Chaque titre a son espace réservé, une petite alcôve avec sa couleur et son ambiance, correspondant au thème qu’elle évoque. L’équipe du musée a chiné pendant des mois pour trouver le mobilier et les accessoires qui allaient les mettre en scène.

Les onze airs “exposés” ont été illustrés par Cyrille Chatelain, conservateur du Jardin botanique de Genève et artiste. Ces illustrations sont riches en couleurs et en détails, souvent les paroles sont inclues dans la composition. Les formats des représentations sont très variés. Certaines ont été reproduites et recouvrent toute la hauteur d’un mur et d’autres sont si petites qu’il faut s’approcher pour en apercevoir les minuscules détails.

Par ailleurs, un album a été créé pour neuf des chants. Chacun est une pièce unique, avec son atmosphère particulière. Ils ont été réalisés par la maison d’édition nyonnaise Ripopée. Comme dans un ancien album de photographies, une écriture manuscrite nous raconte l’histoire de la chanson, de l’artiste et le thème évoqué. Des illustrations accompagnent, parfois, quelques-unes des paroles. Chacun∙e peut prendre le temps de consulter l’album, confortablement assis, pendant l’écoute d’un morceau.

Dans l’exposition, on retrouve Droit devant d’Aliose et Vigne de François Vé. Les neuf autres font partie du répertoire suisse ou français et ont été spécialement réenregistrées par des artistes locaux∙ales, attaché∙e∙s au Léman, dans l’optique que le public puisse redécouvrir des titres qu’il connaît parfois, tout en lui proposant l’expérience d’une première écoute. La volonté était également d’avoir une certaine harmonie acoustique. En plus des artistes précité∙e∙s, Michel Bühler (décédé quelques jours après le vernissage), Milla et Jérémie Kisling ont prêté leurs voix à ces airs célébrant le Léman.

Pour prolonger l’expérience

Grâce au catalogue, l’expérience musicale se prolonge, puisque des QR codes donnent accès aux enregistrements. Les paroles sous les yeux, le∙la lecteur∙ice peut chanter sur les airs découverts au musée. L’histoire des chansons, des anecdotes et un répertoire de trente-cinq autres titres sont proposés dans l’ouvrage.

L’équipe de médiation a eu l’idée de l’activité Singin’ the Lake, une chorale éphémère. Petit∙e∙s et grand∙e∙s amateur∙ice∙s de chant peuvent participer.

Le Bec dans l’eau sera le chant proposé à la rentrée, lors de la dernière date de l’événement. Divisé∙e∙s en deux voix, les choristes répéteront avec les chefs de chœur avant de se produire dans la salle d’exposition. Rendez-vous le samedi 10 septembre à 15h pour rejoindre ou écouter la chorale éphémère.

Ici, le lac ressemble à la mer. Chansons pour le Léman
Jusqu’au 18 février 2024
Musée du Léman, Nyon

Ici, le lac ressemble à la mer

Singin’ the Lake

Glaneurs

Ripopée

 

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Caroline Tschumi

Les princesses de l’Histoire vues par Caroline Tschumi

Au Château de Chillon, Caroline Tschumi met en lumière les princesses d’antan et évoque, par des couleurs vives et un soupçon de magie, leurs histoires respectives. Le tout dans un décor de rêve: un château au bord de l’eau. Rencontre avec l’artiste.

Propos recueillis par Stefanie Rossier

Le Château de Chillon vous a commandé 12 œuvres pour cette exposition. Quelle a été votre première réaction?

J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Marta dos Santos, la directrice du Château de Chillon, lors d’une visite et d’un atelier que j’avais donné au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne dans le cadre de l’exposition collective Jardin d’Hiver #1: Comment peut-on être (du village d’à côté) persan (martien)?, à laquelle je participais en 2021. Peu de temps après, et suite à la découverte de mon travail, Marta m’a contactée pour me proposer de réaliser une exposition personnelle au Château de Chillon, et de se voir pour discuter du thème, car il s’agissait d’une commande spécifique, et donc, d’un travail inédit pour moi. Ma première réaction a été de me sentir très impressionnée par rapport au lieu et à son importance en tant que monument suisse, notamment. Ça a aussi été un peu magique, car j’allais régulièrement au château en vélo étant enfant, et je me racontais toutes sortes d’histoires autour de celui-ci.

Pour quels éléments avez-vous collaboré avec l’équipe du Château, et pour lesquels avez-vous au contraire profité de votre carte blanche?

La première chose que nous avons définie avec Marta et Noémie Enz, la curatrice de l’exposition, était ma marge de manœuvre au niveau de la liberté de représentation de ces princesses qui ont réellement existé. Marta et Noémie ont été catégoriques: l’idée était de laisser complètement libre d’interprétation l’imaginaire de l’artiste invité∙e, car la volonté de la fondation du Château de Chillon est précisément d’intégrer de l’art contemporain au château, sans entraves et sans tabous, et de le faire dialoguer avec le lieu mais aussi avec un public très large. Une fois que j’ai eu la validation que je pouvais aller dans la – ou les – directions que je souhaitais, et qu’il ne s’agissait pas d’une commande d’illustration historique, j’ai accepté le projet avec joie. Je trouve encore aujourd’hui très ambitieux et courageux à elles d’avoir pris cette voie d’intégrer de l’art contemporain dans un lieu historique. Dans les faits, c’est une belle réussite car le château a bénéficié de plus de 304’000 visiteuses et visiteurs en 2022 et l’exposition a engrangé à ce jour une hausse du public local de plus de 16%, rien que pour les visites de l’exposition Princesses en lumière. Le choix des œuvres annexes au salon Anken est aussi un exemple d’ouverture de la part de la fondation, car il y est représenté certains de mes travaux les plus étranges. Pour tout le reste, communication, promotion, scénographie, infographisme, planning, encadrement, montage et tant d’autres choses, nous avions des séances régulières toutes et tous ensemble durant lesquelles nous collaborions et avancions sur le projet en accord les un∙e∙s avec les autres.

© Marie-Pierre Cravedi

Quelles ont été vos inspirations principales, tant dans la technique que dans votre imaginaire, pour représenter ces femmes d’une autre époque?

Je n’ai pas cherché quelque chose de particulier car je n’ai pas fait de croquis préparatoires, je n’en fais pas. Je me suis mise devant la feuille et c’est en dessinant que les visages, les états d’âmes et les habits de ces femmes sont apparus. En revanche, je me suis inspirée sur le moment de ce que j’avais lu sur leur vie, par exemple, qu’Anne de Chypre avait survécu aux accouchements de 19 enfants, tous vivants à la naissance. Cela m’a donné l’idée de la faire asseoir sur une racine au bout de laquelle sont représentés dans des sortes de poches amniotiques ses dix-neuf enfants. Le fait qu’elle soit assise, c’est un peu comme si s’était elle-même qui me l’avait imposé. C’était surtout une fois que les dessins étaient terminés qu’ils pouvaient m’évoquer des références, comme, par exemple, Naoko Takeuchi, Walt Disney, ou encore Edmond Dulac ou Klaus Voormann. J’ai une seule fois délibérément choisi un détail pour faire l’un des habits d’une des princesses, à savoir le motif d’une des chemises de John Lennon, qui est un de mes héros, pour réaliser la robe de Marie de Bourgogne. Il y a aussi, dans la plupart des dessins, des éléments liés directement au Château de Chillon, comme des détails d’une fenêtre, ou encore des motifs aperçus aux plafonds des salles.

© Marie-Pierre Cravedi

L’une de ces princesses vous a-t-elle particulièrement interpellée?

Le portrait de Bonne de Berry m’a permis de représenter une de ces princesses dans un aspect plus dérangeant de sa psyché, au moment où elle songe à commanditer un empoisonnement, ce qui est réellement arrivé. J’ai travaillé ce dessin uniquement à la ligne claire, en contraste avec les plus grands formats qui sont tous réalisés aux crayons de couleurs et à la gouache. J’ai aimé dessiner le détail anachronique d’un maquillage qui coule, j’avais l’impression de dessiner le Joker joué par Joaquin Phoenix. Bonne de Berry a été représentée autrefois dans sa baignoire, j’ai donc souhaité garder cet élément, mais aussi parce qu’il me semble que la chambre de bain est un élément très cinématographique, mettant souvent en scène un personnage face à son propre reflet, dans un moment de perte de contrôle imminent.

Quels sont vos projets futurs dans votre carrière professionnelle?

Je souhaite continuer à peindre et à dessiner, aussi longtemps qu’il me sera donné de le faire. Je participe aussi à plusieurs expositions programmées ce début d’année 2023 en France et en Suisse: au Musée régional d’art contemporain de Sérignan, au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, mais également au Museo Villa dei Cedri à Bellinzona ainsi qu’à la foire de dessins contemporain Drawing Now Art Fair à Paris. Je prépare également une exposition personnelle d’ici la deuxième partie d’année, affaire à suivre…

Princesses en lumière
Jusqu’au 23 avril 2023
Château de Chillon, Veytaux
chillon.ch

Photo de haut de page: © Céline Michel

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AVS 21 - Caro

Rétrospective du dessin de presse 2022 

Cette année 2022 fut riche en actualités: guerre en Ukraine, exploits sportifs et quelques petites nouveautés au sein de la politique en Suisse. Nul doute que nos cher∙ère∙s dessinateur∙ice∙s suisses se sont tantôt creusé∙e∙s la tête, tantôt éclaté∙e∙s à retranscrire en couleur et en humour ces temps forts de l’année 2022.  

Texte de Stefanie Rossier  

Sous les traits de Chappatte, Bénédicte ou encore Alex, le dessin humoristique d’actualité s’invite, comme chaque année, pour une rétrospective dans la ville de Morges au sein de sa plateforme dédiée qu’est la Maison du Dessin de Presse depuis 2009. 

Avec humour et liberté d’expression totale (ou presque), ces auteur∙ice∙s, que l’on ne présente plus à qui lit la presse quotidienne, se déclinent en 130 dessins; des œuvres suisses mais aussi internationales, grâce à une collaboration avec France-Cartoons et Cagle Cartoons (États-Unis).    

Crise énergétique - Pitch

Crise énergétique – Pitch
Photo en haut de page: AVS 21 – Caro

Des périodes gaies ou plus difficile à passer, des joies, de l’inquiétude, de la colère, ces émotions nous ont forcément traversé l’esprit durant ces 365 jours.  

Le tour de l’exposition nous replonge dans cette année qui nous a toutes et tous marqué∙e∙s à un moment donné. 

Rétrospective du dessin de presse suisse 2022 
Du 9 décembre 2022 au 5 février 2023 
Exposition intérieure à la Maison du Dessin de Presse et extérieure dans la Grand Rue à Morges  

 
Plus d’infos sur ce lien: www.mddp.ch  

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The Greatest, l’exposition qui donne vie aux légendes sportives

L’Histoire du sport national et international; celle qui évoque la carrière des athlètes qui nous ont fait vibrer dans tous les sports confondus. L’artiste David Jamin propose aux amoureux des belles choses une série de portraits de sportifs et sportives qui ont marqué leur domaine, et ce, pour une belle cause.

Texte de Stefanie Rossier

Footballeur∙euses, tennismen et women, skieur∙euses s, boxeur∙euse∙s, d’ici et d’ailleurs, autant de champion∙ne∙s qui ont tout donné pour leur pays et qui, grâce à leurs exploits, nous font vibrer depuis quelques décennies déjà. Des souvenirs plein la tête, des étoiles dans les yeux grâce à cette exposition haute en couleur signée David Jamin. L’artiste met en lumière les athlètes d’hier et d’aujourd’hui, qui ont su se dépasser, gravir échelon par échelon les différents sommets pour décrocher non pas la lune mais une médaille. La médaille du bonheur. Chaque portrait a une caractéristique propre à son sportif ou sa sportive de légende. Tout est dans le détail.

Ces portraits de légende sont liés à une grande cause et à une association: Leman for Hope. Une vente aux enchères aura lieu le 13 décembre pour soutenir les enfants en rémission d’un cancer.

© David Jamin

Lumière, engagement, art, couleurs tels sont les mots que vous pouvez associer à l’exposition The Greatest au Musée Olympique de Lausanne. Des moments forts à vivre en famille ou entre ami∙e∙s pour se souvenir, admirer les œuvres d’un artiste passionné qui sait mettre en valeur celles et Ceux qui nous ont fait rêver Zinedine Zidane, Roger Federer, Ayrton Senna, Mohamed Ali, Megan Rapinoe, Eric Tabarly, Valentino Rossi, Diego Maradona, Rafael Nadal, (en version peinture), n’attendent plus que vous.

The Greatest Jusqu’au dimanche 18 décembre 2022
Musée Olympique de Lausanne
www.the-greatest.ch
www.davidjamin.fr

photo de haut de page : © David Jamin

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La Lumière des possibles 1a

Artraction – reprendre la route

Mercredi soir à Genève, La Lumière des possibles filtrait au travers des Ports Francs, diffusée par les œuvres des deux artistes Emanuela Lucaci et Madeleine Rosselet Van Zyl ainsi que par le vibrato de la soprano Savika Cornu Zozor. Le titre de cette exposition temporaire organisée par Artraction, à voir du 3 au 25 novembre, évoque on ne peut mieux la mission de l’entreprise: celle de tracer un bout de chemin prometteur avec des personnes en réinsertion professionnelle.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

En accueillant l’exposition La Lumière des possibles et son vernissage, c’est la seconde fois que les Ports Francs et Entrepôts de Genève œuvrent aux côtés d’Artraction. Anne-Claire Bisch, directrice générale du complexe, le souligne: Artraction, c’est se remettre sur les rails, reprendre la route, et surtout en équipe; les Ports Francs sont donc fiers d’en être les partenaires pour l’occasion.

La plateforme nomade – ayant notamment exposé à la boutique Ateapic à Lausanne, à l’Espace 81 à Morges ou encore à la Société de lecture à Genève – a un statut particulier et des buts non des moindres; fondée en 2008, elle est l’une des onze entités de la Société Coopérative Démarche, qui soutient l’insertion sur le marché du travail. En tant que pôle culturel, elle vise donc, tout en employant temporairement des personnes dans des domaines tels que la logistique, la communication, le marketing ou l’accueil, à donner une visibilité à des artistes et créateur∙ice∙s contemporain∙e∙s au travers de ses services de vente, de location d’œuvres et d’expositions.

Jusqu’au 25 novembre, ce sont ainsi les œuvres d’Emanuela Lucaci et Madeleine Rosselet Van Zyl qu’Artraction invite à découvrir dans un bel espace dédié.

La Lumière des possibles 2a

UnityMadeleine Rosselet Van Zyl

Dans les toiles de Madeleine Rosselet Van Zyl, née en Afrique du Sud, on observe une volonté de capter la lumière. Julie Fazio, curatrice, attire notre attention sur l’approche photographique de l’artiste qui étudie l’anatomie de fleurs comme à travers un objectif macro.

Emanuela Lucaci, qui été commanditée notamment par le CERN ou UNICEF International, expose la série inédite Green Spaces réalisée pendant le confinement, abordant le thème de notre perception et de nos liens sensoriels et visuels avec la nature.

Réunies sous ce thème de la nature, les œuvres ont pris encore une nouvelle teinte lors du vernissage, tandis que la soprano Savika Cornu Zozor interprétait Song to the moon, tiré de l’opéra fantastique Rusalka de Dvořák, et un émouvant Somewhere de West Side Story. En chantant “there’s a place for us, […] hold my hand and we’re halfway there“, elle rendait ainsi hommage, a-t-elle expliqué, au soutien d’Artraction dont elle avait elle-même bénéficié dans son parcours.

La Lumière des possibles
Du 3 au 25 novembre 2022
Lundi au vendredi, de 7h45 à 11h30 et de 13h à 16h45
Ports Francs Genève, Les Acacias
artraction.ch

Image de haut de page: Last Green, de Emanuela Lucaci

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Papyrus 101

Un papyrus de trois mille ans ressort au jour

Grâce aux doigts de fée de Florence Darbre, restauratrice de la Fondation Martin Bodmer, un Livre pour sortir au jour (aussi appelé Livre des morts) datant de la 21e dynastie d’Egypte a fait hier son grand retour à l’institution de Cologny, après plus d’un an de travail.

Texte de Katia Meylan
Propos recueillis lors de la présentation à la presse du 19 mai 2022, Fondation Martin Bodmer

Photos de Naomi Wenger

Acquis par Martin Bodmer en 1937, cent ans après sa découverte en Egypte puis son achat par un baron anglais collectionneur, le Papyrus Bodmer 101 est l’un des huit Livres des morts de la collection de la Fondation. Ces véritables “modes d’emploi de l’au-delà” faisaient partie du matériel funéraire déposé dans les pyramides avec les momies des rois et des membres du clergé. Leurs textes listaient les étapes – environ 200! – à suivre pour réussir son chemin après la mort.

Jacques Berchtold, directeur de la Fondation Martin Bodmer, et Nicolas Ducimetière, vice-directeur, ont les yeux qui brillent aux côtés de ce document qu’ils viennent de retrouver dans de toutes nouvelles conditions, et nous donnent volontiers des éléments d’Histoire ou d’analyse qui nous le font voir bien plus que comme une relique exotique.
Ils nous apprennent ainsi qu’il était rare qu’un papyrus contienne l’entièreté des 200 étapes; le plus long connu de nos jours fait une dizaine de mètres, mais souvent, un document était fait d’une sélection résumée, selon la personne pour qui il avait été écrit. Le Papyrus 101, mesurant 117 x 23 cm et composé de six feuilles collées les unes aux autres, est un incipit, un fragment de la 17e étape. Le défunt (à droite), un prêtre d’Amon, est représenté jeune, en habits de fête, afin de voyager sous son meilleur jour. Il fait une offrande au dieu Osiris, dont le visage noir, loin d’être un symbole funèbre, est plutôt celui du renouveau, rappelant la couleur du limon qui remonte pendant les crues du Nil. Nicolas Ducimetière pointe un hiéroglyphe ayant la forme d’un œil comme étant le début du texte – pour commencer la lecture, il faut rencontrer les regards – ainsi que le sens de lecture, de gauche à droite pour une partie, de droite à gauche pour l’autre.

Photo: Pierre Albouy

Florence Darbre évoque quant à elle l’émotion qui survient devant un tel objet, et la nécessité, dès le travail commencé, de la mettre de côté pour n’observer plus que l’aspect technique. Membre de la fondation, cette restauratrice retraitée depuis 2020 avait accepté de reprendre du service pour travailler sur cette pièce d’exception, dans son atelier à Nyon. Pensant d’abord en avoir pour trois mois, elle est aujourd’hui fière, près d’un an et demi plus tard, d’avoir passé par les étapes du nettoyage, de l’observation, de l’analyse et des tests, d’avoir déjoué les pièges des vernis, colles et autres matériaux de restauration que le papyrus avait reçu au cours de restaurations des siècles passés, pour finalement avoir rendu au Papyrus 101 un bel aspect.

Si la Fondation Bodmer a un budget alloué à l’acquisition, de telles entreprises de restauration demandent quant à elles de trouver des financements externes. C’est là qu’entre en jeu Optima Climatisation; étant partenaire de l’institution depuis de nombreuses années, l’entreprise décide en 2014 de contribuer à la restauration d’objets d’Egypte Antique. Grâce à ce mécénat, une statue en bois d’un marcheur debout datant de 2500 av. J.-C. avait déjà été restaurée en 2015, avant le papyrus 101. Le suivant sera peut-être le papyrus 102, que l’on découvre encore très abimé dans l’exposition permanente du musée. Passera-t-il lui-aussi entre les mains de Florence Darbre? Forte de cette belle expérience, celle-ci répond l’envisager.

Ce type d’initiatives de restauration, ainsi que de numérisation, permettent notamment d’insérer des objets dans des corpus plus larges, de permettre aux chercheur∙euse∙s du monde entier d’avoir accès à des documents, ainsi que de donner accès au grand public à des trésors vieux de 3000 ans.

***
Dans le cadre des Journées européennes de l’archéologie, il sera possible d’admirer ce témoin plusieurs fois millénaire, et de réveiller l’émotion, l’imagination, le vertige que suscite la pensée du voyage qu’a fait ce papyrus, à tous les siècles qui séparent la société qui l’a créé de la nôtre.

Présentation au public du Papyrus 101
Les 18 et 19 juin, 14h30 et 16h30
Sur inscription

Pour en savoir plus:
fondationbodmer.ch/la-restauration-dun-papyrus

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Collection Haute Couture

Haute-Couture Dans les interstices de l’imaginaire

“Yves Saint Laurent et Mondrian, Elsa Schiaparelli et Dali, Coco Chanel et Cocteau…”, Anna-Lina de Pontbriand, directrice du Musée suisse de la Mode, ne manque pas d’exemples pour illustrer la perméabilité du monde de l’art et de la mode et présenter, aux côtés du directeur du Centre d’Art Contemporain d’Yverdon-les-Bains, Rolando Bassetti, la deuxième collaboration entre leurs deux institutions: l’exposition Collection Haute-Couture.

Texte de Clara Boismorand
Propos recueillis auprès d’Anna-Lina de Pontbriand, directrice du MuMode, Rolando Bassetti, directeur du CACY et Xénia Lucie Laffely, artiste

Deux mondes, un univers

“L’art, la mode…où est la frontière?”, se demande Rolando Bassetti. Il y a la frontière que l’on dresse, que l’on imagine, que l’on justifie par différents moyens mais somme toute… tout l’intérêt des frontières n’est-il pas de les franchir plutôt que de les renforcer? L’art contemporain et la hautecouture sont deux mondes, certes, mais ensemble ils sont l’expression d’un univers fantastique. Ce printemps, au CACY, se rencontrent l’art contemporain et la mode. Le MuMode y présente, pour la première fois, 35 pièces de (très) haute-couture. Ces pièces d’exception sont exposées et exhaussées aux côtés du travail de Xénia Lucie Laffely. L’artiste invitée mêle son monde à celui des pièces choisies.

Une collection personnelle

Le choix de l’artiste comme des tenues ne sont pas anodins. De par sa sélection des pièces, Anna-Lina de Pontbriand rend hommage à une donatrice du musée: “Depuis vingt ans, cette femme fait don de sa garde-robe au musée. Elle nous a cédé plus de 300 pièces de créateur∙trice∙s: des tenues de cocktail, d’après-midi et du soir, chacune unique, originale, faite main et sur-mesure. Ce sont de véritables pièces d’excellence.” Quant à Rolando Bassetti, à la vue des pièces choisies, ce dernier a pensé à Xénia Lucie Laffely. Cette artiste qui mêle tissus et arts plastiques allait pouvoir établir un dialogue entre son art et cette collection personnelle de haute-couture.

Photo (c) Anne-Laure Lechat
Photo: Anne-Laure Lechat

Aux frontières de la fiction

Les créations de Xénia Lucie Laffely sont de l’ordre de l’intime et de l’étrange. Elle réalise, sur ordinateur, des peintures inspirées de ses proches et de son quotidien, les imprime sur tissu, et les travaille ensuite avec des techniques telles que le matelassage et le patchworking avant de les mettre sur des cadres. De par son étonnant travail, Xénia révèle et génère fictions et imaginaires.

Son parti pris pour Collection Haute- Couture est d’habiter ces tenues qui ne furent, souvent, portées qu’une seule fois, par une seule femme: “Je veux les faire porter, de manière imaginaire, à plusieurs personnes; les faire descendre de leur tour d’ivoire, les rendre plus accessibles”, nous dit-elle. Aussi, s’est-elle appropriée certains motifs, détails et imprimés des tenues afin de les magnifier à travers des peintures murales qui forment un décor pour les habits et finissent par habiller du regard les visiteurs de l’exposition.

Collection Haute-Couture se présente alors comme un délicat rappel du rôle fondamental que peuvent jouer les institutions muséales lorsqu’elles collaborent: elles provoquent la rencontre, encouragent les croisements, magnifient le dialogue, et ouvrent des portes.

Collection Haute-Couture – MuMode
Du 6 février au 17 avril 2022
Centre d’Art Contemporain, Yverdon-les-Bains
www.centre-art-yverdon.ch

Photo en tête d’article: Danielle, peinture digitale préparatoire, 2022

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Marcher dans les villes, marcher dans le MCBA

“Quelle que soit la direction prise, marcher conduit à l’essentiel”, écrit Sylvain Tesson. Il est probable que Francis Alÿs partage au moins une partie de cette réflexion. L’exposition qui est consacrée à son œuvre au MCBA de Lausanne montre en effet de nombreuses vidéos dans lesquelles l’artiste belge parcourt des kilomètres dans Mexico, Londres et d’autres villes. Il nous emmène également dans un Afghanistan dont on doute qu’il existe encore aujourd’hui.

Texte et photos de Marc Duret

Au premier étage du MCBA, Alÿs nous montre le fruit de ses années passées en Afghanistan dans les années 2010. Dans les vidéos, on observe par exemple des jeux d’enfants, qu’il s’agisse de cerfs-volants ou de pneus qu’ils font rouler le plus vite et le plus loin possible en les poussant avec un bâton. L’artiste s’inspire de ces jeux dans son œuvre Rell-Unreel, où les pneus sont remplacés par des bobines de film. On traverse avec Alÿs  et les enfants une Kaboul que les événements récents semblent avoir déjà projetée dans un passé lointain. Ces vidéos s’accompagnent de dessins, de peintures et de carnets de croquis, dans lesquels l’artiste  dessine, écrit et juxtapose les couleurs des insignes militaires (il était rattaché aux forces armées britanniques comme “artiste de guerre”) aux paysages et aux images de l’Afghanistan: portraits du commandant Massoud, jeeps militaires, croquis de ses montages vidéo, etc.

Le 2e étage fait office de rétrospective, parfaite pour un·e visiteur·euse qui découvrirait, comme l’auteur de ces lignes, l’œuvre de l’artiste marcheur. Une vingtaine d’écrans disposés dans une salle immense du MCBA montrent Alÿs en train de déambuler dans des villes, souvent en réalisant une action à priori futile, comme pousser un énorme bloc de glace dans Mexico, ou vider des pots de peinture verte dans Jérusalem. En réalité, dans le premier cas il montre ainsi la dureté du métier des vendeurs de rues ou transporteurs des cités d’Amérique latine, dans le second il rappelle le changement de frontières après la Guerre des Six jours, qui a conduit à l’occupation de territoires palestiniens par Israël. On le voit par ailleurs traverser des quartiers londoniens équipé d’une baguette de batterie, jouant une drôle de mélodie sur les portails, capots et autres objets passant sous sa main. À Ciudad Juarez, cité réputée pour la violence qui la parcourt, il pousse avec ses pieds un ballon enflammé. D’autres vidéos présentent des itinéraires plus courts, mais au sens toujours étendu.

L’une des grandes réussites de cette exposition est la scénographie de la vaste salle du deuxième étage. Il est en effet possible de regarder plusieurs (très grands) écrans simultanément, en étant immergé dans l’œuvre de Francis Alÿs, souvent hypnotique. On pense ici, par exemple, à un amusant kaléidoscope de feux de signalisation pour piétons photographiés dans des villes du monde entier. L’ambiance sonore, créée par le mélange des bandes sons des diverses vidéos, nous plonge elle aussi dans un intriguant voyage. Quelques chaises disposées ça et là, rappelant celles sur lesquelles on s’assoit dans les écoles primaires, permettent de reposer nos jambes du piétinement muséal, alors que l’artiste, lui, marche infiniment. Puisque ces chaises tournent sur elles-mêmes, elles invitent aussi à s’offrir un panorama à 360°, assis au milieu de la mobilité des vidéos et de l’artiste. On se dit alors qu’il est plus agréable de se remettre en marche et de partir découvrir la suite de l’exposition et, pourquoi pas, avant que le musée ne ferme car 18h approche, l’exposition permanente du MCBA. Dans les rues lausannoises que l’on retrouve après ce voyage avec Alÿs, les décorations de Noël illuminent les balcons dans le silence dominical du froid de décembre.

Francis Alÿs. As Long as I’m Walking
Du 15 octobre 2021 au 16 janvier 2022
MCBA, Lausanne
www.mcba.ch/expositions/francis-alys/

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