Théâtre

La Curieuse Histoire de l'homme Charbon

La curieuse histoire de l’Homme Charbon

Chers esprits, asseyez-vous et tenez-vous tranquille, la troupe de monstre qui a trouvé refuge en ce théâtre va, ce soir encore, vous raconter une histoire. La curieuse histoire de l’Homme-Charbon.

Texte de Katia Meylan

Vendredi, nous faisions partie des esprits qui étaient venus hanter le Café-Théâtre de la Voirie de Pully. Chaque soir, afin qu’on les laisse tranquille jusqu’au lendemain, une troupe de monstres raconte des histoires, musique live et bruitages à l’appui.

Cette trame, sortie de l’esprit d’un amoureux fou du théâtre – aidé de ses comparses, pose le lieu comme une seconde demeure, un refuge un peu magique où ils·elles se sentent bien. Et aussi, il faut bien l’avouer, où il est possible de n’en faire qu’à sa guise ! Crier, se chamailler, mentir ou dire la vérité, se moquer un peu du public, le mettre dans sa poche, le faire rire ou le faire rêver. Mais tout de même… cet Homme-Charbon dont on nous narre l’histoire, enfermé des années dans sa mine jusqu’à devenir lui-même charbon, adulé comme une magnifique curiosité à sa sortie puis délaissé par le monde, ayant cheminé par hasard un jour, seul et désœuvré, jusqu’au théâtre… qu’est-il devenu ?

On ne connait pas grand-chose de l’histoire des personnages qui se tiennent là devant nous, pourtant tout nous les rend attachants et uniques : leurs commentaires proférés à la ronde ou dans leur barbe, leurs mimiques et leurs drôles de démarches, leur forte complicité. Et le talent des comédien·ne·s, à n’en pas douter

Le fait que chacun·e des membres de la troupe ait pu apporter son coup de pioche à la construction de la pièce y est peut-être pour quelque chose. En effet La Curieuse histoire de l’Homme-Charbon, jouée pour la première fois ce week-end à Pully et encore vouée à évoluer, est une création collective. Il y a quelques temps, la compositrice-musicienne Jimena Marazzi et le comédien-improvisateur Yohann Thenaisie avaient évoqué ensemble leur envie de monter une pièce inspirée de l’univers de Tim Burton. Ni une ni deux, la première se met à l’écriture et, entre deux cours de solfège dispensés à ses élèves, finit par composer la bande son de la pièce. Elle envoie les morceaux au second qui, inspiré par les différentes ambiances, crée les bases de la trame. Une fois la troupe réunie, Yohann forme des binômes et leur donne pour mission de créer chaque scène au travers de petites improvisations. Ainsi, l’histoire racontée par les monstres est un patchwork d’idées plus folles les unes que les autres, liées par une musique, des accessoires et des costumes à fortes personnalités. Selon les tableaux, l’Homme-Charbon prendra tantôt la forme d’un comédien, tantôt d’un dessin volant animé par des fils et des bruitages, d’une marionnette de papier ou… d’un mini monticule de charbon.

La curieuse histoire de l'homme charbon

Milles idées fourmillent, jeux de mots, images, hommages. Tels des enfants au discours plus ou moins décousu, ils racontent l’histoire d’amour qui a fait apparaitre les étoiles dans le ciel ; ils deviennent Monsieur Capital assis sur son trône d’affaires, rendent hommage à Boris Vian et sa Complainte du progrès et au chercheur d’or de Chaplin qui avait dû manger ses chaussures en cuir, gigotent sur des jingles de pub ou des bandes annonces de cinéma.

C’est un magnifique moment en compagnie de ces créatures créatives, et on serait toute fière d’en être, lorsque leur morceau final s’adresse à nous : « On est tous le monstre de quelqu’un, si t’es ici c’est qu’t’en es un ! ».

La curieuse histoire de l’Homme Charbon
Du 25 au 27 octobre 2025
Café-Théâtre de la Voirie, Pully
www.instagram.com/hommecharbon/

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Quête

Quête

Une compagnie d’Impolies, épée en bois et langage de notre siècle en bandoulière, se met en route pour trouver le Graal. Du Moyen-Âge à nos jours, le propos de la quête est resté le même: entrevoir la beauté de notre condition humaine.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

Toutes les versions accessibles de la quête du Graal sont passées entre les mains de Juliette Verneray en vue de l’écriture de Quête. Deux en particulier retiennent l’attention de la metteuse en scène et du musicien Lionel Aebischer, avec qui elle co-signe la pièce: celle d’Albert Béguin et Yves Bonnefoy (1965), et celle de Barjavel (1984) qui accrochait déjà quelques ressorts comiques à ces légendes du 7e siècle. « Toutes les versions ne sont pas d’accord sur qui trouve le Graal, souvent l’action commence après quatre chapitre car il faut attendre que tout le monde soit arrivé… », s’amuse Juliette Vernerey. Autant de « détails ennuyeux » dont l’équipe s’empare pour appuyer le côté bancal de sa propre quête et aborder avec humour des sujets aussi brûlants que l’adultère, le rapport à la violence, la virilité et le féminisme.

C’est tout naturellement que la Cie de L’Impolie, dont les membres se connaissent depuis leur études à l’Institut Supérieur des Arts à Bruxelles il y a une dizaine d’années, a adopté une écriture collective à huit. Après avoir écrit les bases de la pièce, Juliette Vernerey et Lionel Aebischer avaient rassemblé les comédien∙ne∙s sur scène, leur avaient donné pour consigne de recréer en live tableaux du Moyen-Âge puis, partir de ces poses, d’improviser les scènes. Juliette avait filmé ces premières répétitions, tout revisionné, puis intégré ce qui fonctionnait au texte. Depuis Google Drive, tout le monde pouvait encore aller modifier des dialogues, pour s’approprier à souhait son personnage.

Artus, Guenevevièvre, Lancelote, Merlijn, Vivianeu ne sont pas des contrefaçons, plutôt des graines de héros et d’héroïnes d’un quotidien un peu absurde. Leurs réflexions contemporaines et leurs survêtements Adidas se frottent aux casques, armures et autres chapeaux pointus, costumes pensés par Célien Favre et Noémie Lagger. 100% seconde main, 100% tout terrains, adaptés au rythme qu’implique une quête du Graal.

Dans les moments de frénésie, dans les citations de René Barjavel ou encore dans les choeurs composés par Lionel Aebischer, Juliette Vernerey parle du sujet qui lui tient le plus à coeur: l’être humain, ses fragilités, ses contradictions, « savoir qu’on va crever mais continuer avec joie! »

Informations pratiques:

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Giliane Bussy ©Charlotte Aebischer

Endométriose: 10 ans d’errance, 3 ans d’écoute, une pièce

« C’est dans votre tête, Mademoiselle ».
Sauf que non. Ce n’est pas dans la tête, c’est dans le corps, ça infiltre le cœur, ça laisse ici des cicatrices, là des failles béantes. L’endométriose, Giliane Bussy en a fait le sujet d’une pièce qu’elle porte aujourd’hui seule en scène, l’aboutissement de trois ans de travail, entre recherche, interviews et écriture.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Photos: Charlotte Aebischer

Comédienne à la vie bien remplie, Giliane Bussy se produit habituellement le cadre du Caméléon, une compagnie théâtrale qui transpose à la scène des problématiques sociales dans une optique de prise de conscience et d’évolution.

Ce créneau la passionne, mais une envie différente, complémentaire, émerge il y a trois ans de cela : celle de s’exprimer sur une thématique qui la touche au cœur. Commence alors un long travail de recherche, tant de documentation scientifique que de récolte de témoignages. Avec toute cette matière, Giliane écrit l’histoire de son personnage, Roxane. Une histoire fictive mais qui pourrait tout aussi bien être celle d’une femme… sur dix. Car c’est ça, la statistique. Une femme sur dix atteinte d’endométriose.

Armée d’une énergie puissante et de beaucoup de charme, Giliane Bussy investit de tout son être l’histoire qu’elle raconte. Dans son sourire et dans sa gravité, dans sa voix, dans l’aisance qu’a son corps à évoluer en parallèle des mots ou lorsque ceux-ci ne suffisent plus, dans ses yeux qui interpellent ou remercient.

INTERVIEW

L’Agenda : Qu’est-ce qui vous a mené à écrire votre premier seule en scène sur ce sujet ?

Giliane Bussy : En tant qu’autrice, j’ai besoin d’être bouleversée pour écrire. Je dois avoir le feu ! Je souffre moi-même d’endométriose, et quand j’ai vu tout ce que la médecine révélait de l’inégalité des genres, quand j’ai constaté que ça restait une maladie très peu traitée alors qu’elle touche une femme sur dix, ça m’a semblé incroyable, injuste. Donc, j’ai foncé.

Ce n’est pourtant pas votre histoire que vous racontez sur scène…

Non, et c’est d’ailleurs pour ça que j’hésite parfois à dire que je suis atteinte de cette maladie. Comme c’est un sujet très personnel, je n’ai pas envie qu’on fasse l’amalgame, qu’on croit que je fais tout ça pour me guérir. Dès le départ, j’avais envie que ce soit l’histoire de plusieurs personnes. Mon moteur, c’était les interviews : j’ai rencontré une vingtaine de femmes, mais aussi des gynécologues, des sexologues, des psychologues… Ça m’a pris trois ans. C’était long, mais très intéressant. C’est des moments inoubliables !

Comment avez-vous fait pour choisir une direction parmi toutes ces pistes qui devaient être exponentielles au fil des rencontres ?

En effet, mon texte de base est dix fois plus long que la pièce (rire) ! J’avais commencé par écrire un premier jet en partant de ma propre expérience et de ce que j’avais envie de raconter. Ensuite j’ai posé l’arc narratif : le voyage de l’héroïne et le processus de deuil. Puis, j’ai planifié différentes interviews, chacune axée sur un thème spécifique : le rêve d’avoir des enfants, le burnout médical, la douleur pendant les rapports, etc. Plus je rencontrais des gens, plus j’avançais dans les recherches, plus je me rendais compte qu’il faudrait parfois une scène entière pour développer une idée, ou au contraire, que cinq pages de mon texte initial pouvaient finalement tenir en une phrase.

Qu’est-ce que vous avez tenu à visibiliser ?

J’ai choisi de montrer les petites choses, celles qui peuvent sembler anecdotiques – les commentaires sur le physique, la banalisation de la douleur – mais qui contribuent à faire que les femmes se sentent démunies, ne s’écoutent pas et ne se sentent pas légitimes. J’ai vécu 10 ans d’errance médicale, et ce n’est de loin pas un cas isolé. Ça ne vient pas de nulle part, mais de l’éducation qu’on a tous et toutes eu. Si c’était une maladie d’homme, à mon avis, le diagnostic serait moins long.

Vous vous entourez d’une équipe exclusivement masculine : Karim Slama à la mise en scène, Simon Labarrière à la direction de jeu, Jérôme Baur à la composition musicale, Patrick Guex à la régie. Pour quelle raison ?

Je voulais faire attention à parler à tout le monde, à ce que ce ne soit pas de l’ordre du « on se comprend entre filles ». Je ne milite pas, je raconte et, si possible, je pousse le public à la réflexion. Donc pour moi, c’était important d’avoir des regards sur ma pièce qui ne soient pas intimes avec la douleur, qui puissent m’interroger. S’ils me posaient des questions que je voulais justement que le public se pose, c’était parfait ; sinon, ça me donnait la possibilité de repréciser certains passages. Et mon « boys club » a été super, d’une bienveillance incroyable ! Karim a beaucoup aidé avec la légèreté, l’humour – ce qui est une bonne chose, car l’important était que le public ressorte touché, pas déprimé (rire).

Un moment dans la pièce, Roxane dit à sa psy : « La seule chose qui me fait du bien c’est quand vous m’écoutez… ». Et là, en tant que public, face à vous qui restituez toutes ces voix, on se sent investi d’une certaine responsabilité : l’écoute.

J’ai ressenti ce grand besoin d’écoute chez la plupart des personnes avec qui j’ai parlé. Je pense que ce n’est pas souvent qu’on laisse la place de raconter une histoire comme ça en profondeur. Pendant les interviews, on a parlé de rêves, de sexualité,… Je ne suis pas psy, il y avait des choses que je recevais et auxquelles moi non plus, je ne savais pas quoi répondre ! Ce que j’essaie de dire, c’est que même si on ne peut rien en faire, l’important c’est d’écouter et de respecter cette douleur. Plus on le fait, plus on donnera de la visibilité à ce genre de maladies, et plus la situation va évoluer.

***

On a eu la chance de voir la première de la pièce au PullOff en juin dernier!

Pour cette saison 2024-2025, C’est dans votre tête, Mademoiselle! part en tournée:

Vers le site de la comédienne : www.gilianebussy.com

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Barbe Bleue

Naissance d’une troupe À l’Ouest

Chaque été, le Théâtre Kléber-Méleau (TKM) part en « tournée » dans les villages avec un spectacle itinérant en plein air et gratuit. Cette année, ils ont confié cela à la compagnie À l’Ouest, nouvellement créée après la pièce Fantasio, en 2023, qui a été un véritable « coup de foudre » tant humain que pour le lieu du TKM.

Texte et propos recueillis par Marie Butty
Photos (de répétitions): ©Lauren Pasche

La compagnie À l’Ouest est une troupe créée il y a peu par Pierre Boulben, Hugo Braillard et Loubna Raigneau. Les trois jeunes artistes ont collaboré, en 2023, sur la pièce Fantasio produite par le TKM et mise en scène par Laurent Natrella. À cette occasion, les trois comédien·ne·s, qui sortaient tout juste des écoles de théâtre, ont eu l’opportunité de mieux se connaître et de travailler dans l’univers du TKM. Cette belle aventure a mis en lumière une volonté de collaborer ensemble et de proposer, en s’inspirant du lieu, un projet qui puisse y être joué. C’est dans ce cadre qu’est née la création collective Vous avez dit Barbe Bleue? pour laquelle ils et elles ont été rejoint·e·s par Guillaume Pidancet, chanteur, compositeur mais également metteur en scène.

Barbe Bleue

©Lauren Pasche

Comment est née l’idée de cette pièce?

Hugo: Alors que nous répétions l’été dernier au TKM pour Fantasio, nous mangions un midi derrière le théâtre, aux abords duquel il y a un container de stockage avec une grosse pancarte rouge estampillée « Théâtre ». Nous nous sommes dit qu’il serait génial de pouvoir faire du théâtre dans ce container – puisque nous défendons l’idée qu’il n’y a pas besoin de grand-chose pour faire du théâtre. Nous étions tellement content·e·s d’être ici et ne voulions pas partir! Suite à cela, nous avons rédigé une note d’intention qui a été reçue avec beaucoup d’intérêt de la part du théâtre. Le TKM nous a alors proposé d’être le spectacle en itinérance de l’été. La rêverie s’est concrétisée, nous nous sommes alors mis au travail et Guillaume a rejoint le projet.

Pierre: Nous nous sommes alors questionné·e·s sur tout l’univers de création du TKM pour pouvoir fournir une proposition en adéquation avec celui-ci. Le TKM est un théâtre où tous les acteur·ice·s du monde du spectacle travaillent en synergie puisqu’il y a des ateliers décors ou encore costumes à proximité du plateau. Dans notre dossier, nous avons pris le parti de faire les décors avec des éléments de récup’, de réutiliser des costumes d’un spectacle d’il y a vingt ans. Cette dimension de transmission a déclenché un vif intérêt de la part du théâtre.

Comment vous êtes-vous arrêté·e·s sur le thème du conte?

Loubna: Tout d’abord, cela permettait d’être dans la continuité de ce que propose le TKM artistiquement. Il défend ce monde de l’imaginaire, de la magie, des histoires racontées à tous·tes et pour tous·tes. Le conte est un médium qui parle vraiment à tout public et même si on n’a pas forcément touché à des contes quand on était petit, on a toujours des paroles rapportées. Tout le monde connait de loin le Petit Chaperon Rouge par exemple.

Pourquoi avoir choisi le conte de Barbe Bleue en particulier?
Pierre: Notre première réflexion a été de dégager ce que nous aimions dans les contes. Nous nous sommes arrêté·e·s sur le thème de la curiosité. Nous nous sommes alors dit que Barbe Bleue était celui qui la représentait le plus. Dans le conte original de Charles Perrault, la curiosité est un vilain défaut – il ne faut pas en être doté·e, autrement c’est la mort assurée. À l’inverse, pour nous, la curiosité est quelque chose de positif puisqu’elle amène le savoir, la rencontre avec les autres, la découverte de nouvelles choses, la sortie de sa zone de confort, etc., et c’est précisément cela que nous voulions exprimer avec la pièce.

Barbe Bleue

©Lauren Pasche

Comment vous y êtes-vous pris·e·s pour renverser cette approche de la curiosité?

Hugo: Nous avons fait un gros travail de lecture et de réécriture. Les contes, à la base, sont des paroles rapportées. Nous avons donc cherché toutes les versions du conte de Barbe Bleue. Nous en avons retrouvé des traces en Asie bien avant celui de Charles Perrault. Il y a également des adaptations d’autres auteurs comme L’oiseau d’Ourdi des frères Grimm ou encore tout proche de nous Le petit forgeron de Vallorbe. Dans ce dernier, la femme de Barbe Bleue est le forgeron et Barbe Bleue est une fée qui lui interdit l’entrée de sa grotte. Parmi toutes ces lectures, nous avons retenu certains aspects ou certains personnages, comme par exemple la fée qui, par son coté léger et magique, constitue un bon outil de connivence avec le public. Notre version de Barbe Bleue est donc un mélange de tout ce que nous avons trouvé intéressant dans ces différentes versions, elle est chargée de toutes ces lectures.

Votre spectacle s’adresse aux adultes comme aux plus jeunes, comment avez-vous réussi ce dialogue entre les âges?

Loubna: Comme le spectacle se déroule en extérieur, nous allons être amené·e·s à travailler avec le public, nous essayons donc d’avoir quelque chose d’assez ludique et joyeux. En même temps, l’histoire de Barbe Bleue a une dimension assez terrible puisqu’il s’agit de violence, de féminicide et de domination masculine. Bien que parler ce cela ne soit pas notre première approche, nous ne voulions pas édulcorer l’aspect sombre et intellectuel que présente le conte. Ce sont des éléments qui sont présents et qui apparaissent en filigrane pour le public adulte. Nous n’avons pas envie d’imposer cette dimension au public, mais elle sera lisible pour qui voudra la voir. Nous aspirons à ce que le spectacle ait une portée qui amène à l’ouverture et au questionnement.

Vous avez dit Barbe-Bleue?
Du 14 au 16 juin 2024 au Théâtre Kléber Méleau, Renens
Puis en tournée jusqu’au 13 juillet dans les communes de l’Ouest lausannois.
Toutes les dates sur:  www.tkm.ch 

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Phèdre! Joies simples du spectacle vivant

Devant l’adaptation de Phèdre au théâtre, l’enthousiasme nous a saisi. En effet, l’accompagnement de la 2b company à travers le chef-d’œuvre français du XVIIe s’impose comme pédagogique, généreux et joyeux.

Texte de Marion Besençon

Minimaliste par sa forme, la pièce met en scène l’acteur Romain Daroles en jeans et t-shirt qui accessoirise astucieusement un livre (le texte imprimé du spectacle) afin qu’alternativement celui-ci serve de barbe, de couronne ou de drapé à son personnage de conférencier, lequel va servir d’interprète à tous les protagonistes du drame de Racine. Cette mise en abîme contemporaine est l’occasion de digressions enjouées sur le théâtre classique; servies avec gaieté et chaleur, les paroles enflammées font ainsi surgir l’émerveillant.

Avec des airs de burlesque, le spectacle débute par le récit des origines mythlogiques – extravagantes donc – des protagonistes de la pièce classique à venir. Dans un second temps, se déploient les ressorts de la tragédie de Racine – en crescendo jusqu’à la bascule tragique (l’aveu de la passion incestueuse de la reine Phèdre pour son beau-fils, Hippolyte) puis sa résolution. Ainsi, la représentation ne décline par l’action par la déclamation des alexandrins mais convoque l’esprit de la tragédie racinienne; parce qu’il s’agit de donner à sentir le génie, de le faire raisonner en chacun·e.

Phèdre: « Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,
Je n’en mourrai pas moins; j’en mourrai plus coupable. »

v.241-242

À travers cette célébration de la joie d’être au monde, nous tendons à l’art vivant dans son essence. 

Phèdre !
Adaptation par François Gremaud, d’après Jean Racine
En tournée depuis 2018

Prochaine date: Samedi 4 mai 2024 à 20h
CO2, Bulle
co2-spectacle.ch

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Monroe-Lamarr

De la scène à l’écran

L’association De la scène à l’écran offre un deuxième souffle à des projets scéniques romands!

Sélectionnés sur dossier par un comité de lecture composé de représentant∙e∙s de de la RTS, de la Société Suisse des Auteurs, de Suissimage et de l’AROPA, les projets bénéficient d’un budget de 70’000.- afin de pouvoir se réinventer une valeur artistique nouvelle dans une version audiovisuelle. Les films qui en résultent seront diffusés à la télévision les jeudis sur RTS1 entre septembre et décembre 2024, et viendront également enrichir la collection de projets réalisés lors des quatre éditions précédentes, à découvrir en ligne sur Play RTS.

La pièce Still Life (Monroe-Lamarr), dont parle L’Agenda 106, fait partie des cinq lauréats de l’appel à projets 2023. Elle se verra donc réinterprétée par la réalisatrice Camille de Pietro, qui travaillera en collaboration avec la metteuse en scène Anne Bisang et les comédien∙ne∙s.

Extrait de l’article dans L’Agenda:

Still Life (Monroe-Lamarr) ou comment les paradoxes de la vie deviennent un pur plaisir théâtral avec Anne Bisang.

La metteure en scène et directrice de théâtre Anne Bisang nous a habituées à des spectacles audacieux et des prises de position passionnées. Avec la pièce de théâtre Still Life (Monroe-Lamarr), elle livre une mise en scène intrigante et ludique, puissante et aérienne, du texte de Carles Batlle, à découvrir au Théâtre Populaire Romand les 8, 9 et 10 février 2024.

Textes et propos recueillis par Myriam VIJAYA, de SAMO Agence Marketing

La pièce, en présentant de grands paradoxes, pousse à la réflexion : qu’est-ce qui définit l’humain ? Son intérieur ou son extérieur ? Que se cache-t-il derrière les façades ?

La mise en scène joue sur des mises en abyme : l’art dans l’art, le cinéma dans le théâtre, des actrices qui rendent hommage à des actrices, des femmes qui racontent des femmes… Anne Bisang opte pour des décors minimalistes et élégants, pour mettre en valeur le corps des femmes dans cet espace (sont-elles des natures vivantes ou mortes ?) et des « flashback » pour concrétiser les différentes temporalités de la pièce (sont-elles d’hier ou d’aujourd’hui ?).

[…] Découvrez l’article complet dans L’Agenda 106!  

 

Still Life (Monroe et Lamarr)
Du 8 au 10 février 2024
Théâtre Populaire Romand, La Chaux-de-Fonds
tpr.ch

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Le Consentement1

Le Consentement: l’adaptation d’un roman que l’on ne présente plus

La pièce Le Consentement met en scène le livre du même nom de Vanessa Springora. Cette autobiographie raconte la prédation sexuelle dont l’autrice a été victime lorsqu’elle était mineure par l’écrivain Gabriel Matzneff. Une situation d’emprise qui s’est faite progressivement et contre laquelle personne ne s’est dressé. Proposée par l’association Du Droit À l’Art et le Laboratoire Droit & Littérature de l’Université de Lausanne, elle s’est déroulée samedi dernier au théâtre de l’Octogone à Pully.

Texte de Marie Butty

La pièce débute sur un gigantesque papier calque qui traverse tout l’arrière de la scène et derrière lequel nous percevons, grâce à la lumière, une silhouette, celle de Ludivine Sagnier. Un enregistrement de voix résonne sans que l’on puisse réellement comprendre ce qui est dit accompagné d’un rythme de batterie, joué par Pierre Belleville. Puis la narration du texte de Vanessa Springora commence avec la voix modifiée de l’actrice qui donne une impression de voix-machine. Cette première scène est en réalité la fin du roman, celle où la jeune V. a perdu jusqu’au sentiment même d’exister physiquement. Elle se termine par un crescendo du son de la batterie puis la disparition de la silhouette. L’alliage du brouillage visuel et auditif nous fait brillamment ressentir physiquement la dépossession de soi et la désorientation que ressent V., complètement détruite par les abus de G.

L’actrice apparait ensuite en pleine lumière pour incarner l’histoire de la jeune V.. Les passages du livre choisis par le metteur en scène, Sébastien Davis, racontent l’enfance de la petite V., son rapport au père, à la mère, puis sa rencontre avec G.. Grâce à la batterie, nous ressentons intensément les sentiments qui ont traversé l’adolescente pendant cette période allant de l’excitation à la panique. Tour à tour l’actrice incarne G., la mère qui cautionne finalement cette relation ou encore un psychiatre rencontré lors d’un épisode de paralysie. La pièce alterne des passages sous la lumière au-devant de la scène et derrière le papier calque de l’ouverture, comme pour passer de l’intériorité à l’extériorité de V.. Le procédé est particulièrement réussi. Le récit se finit en revenant à la situation initiale présentée au début où la jeune femme est désorientée.

Le Consentement2

Photos: © Christophe Raynaud de Lage

L’actrice change ensuite de vêtements pour incarner la femme devenue adulte qui s’est progressivement retrouvée, a réussi à redonner sa confiance, 30 ans après les faits. Puis, elle évoque son enfant devenu adolescent et l’ambiance angoissante reprend, accompagnée de la batterie, comme une boucle qui est amenée à se répéter, avec un même scénario, sur les adolescents d’aujourd’hui. Le message est passé, c’est une histoire finalement courante, où un∙e adulte abuse d’un∙e enfant, lorsque ce dernier n’en comprend pas les enjeux. C’est l’histoire d’un piège immémorial qui détruit la vie de l’enfant, mais également de l’adulte à venir.

La prestation magistrale de Ludivine Sagnier rend honneur à ce texte si fort et prenant. Les moments de tensions sont exacerbés par l’interprétation de l’actrice ainsi que par l’accompagnement sonore de Pierre Belleville qui donne une expérience encore différente du texte.

theatre-octogone.ch

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Marilyn, Madness and Me

Marilyn, l’ange sacrifié

Marilyn Monroe a été filmée, photographiée et interviewée à maintes reprises, et pourtant sa personne et sa vie demeurent, à certains égards, encore opaques aujourd’hui. La pièce Marilyn, Madness and Me, jouée en ce moment à Onex, se centre sur les derniers mois de son existence.

Texte et propos recueillis par Frida

Cette pièce est imaginée par Didier Bloch, qui l’écrit à l’origine en français puis demande au producteur et scénariste Frank Furino de la retravailler afin qu’elle puisse être présentée au public. Celui qui compte à son actif des séries télévisées telles que Dallas et Dynasty relève le défi. Marilyn, Madness and Me est alors jouée à Hollywood en 2013 et très bien reçue par les spectateur·ice·s.

Lors d’une interview avec un journaliste qui lui demande s’il s’agit de la réalité ou d’une fiction, Frank Furino répond simplement « oui ».

Dans cette pièce, deux personnages se partagent la scène, Marilyn Monroe alias Norma Jean et Tim Garrettson. Celui-ci rencontre la vedette quelque temps avant son décès, il devient son chauffeur et s’occupe également de son chien Maf – diminutif de Mafia – qui lui a été offert par Frank Sinatra. Un lien se crée entre eux : lui, est obsédé par Norma Jean et veut devenir son héros, elle, trouve en cet homme quelque peu immature un soutien et même un ami. Tim récupère le journal intime de l’actrice à sa mort, y lit ses souffrances, ses pensées secrètes et y découvre ses poèmes. Ce petit carnet constitue le fil conducteur de la pièce.

Marilyn, Madness and Me - 13.0.9.2023-098

Photos: Ariadne Kypriadi

À Onex, la mise en scène d’Annelies Breman est très belle, elle reste sobre tout en étant dynamique. Cela crée une atmosphère intimiste grâce à laquelle le public perçoit toute la sensibilité des personnages. Ils n’interagissent jamais entre eux et cependant les deux récits s’entrecroisent parfaitement. Tim raconte ses moments privilégiés avec Norma Jean et sa vie après la mort de la star. À chaque fois, les mots du chauffeur trouvent un écho dans le journal de la diva. Les quelques interventions de la radio ancrent les personnages dans la réalité, eux qui semblent perdre pieds avec le réel. Ce média rappelle que l’Histoire poursuit son cours inéluctable et embarque progressivement avec elle les protagonistes: des frères Kennedy et leurs troubles rapports avec Marilyn jusqu’à la guerre du Vietnam à laquelle Tim participe volontairement après le décès de son idole. L’histoire de ces deux êtres apparaît comme un havre de paix au milieu de grands tourments.

Tout au long de la représentation, les deux comédien·ne·s de la Geneva English Drama Society (GEDS) captivent le public et lui font ressentir toute la détresse de leur personnage. Masha Neznansky interprète subtilement Marilyn, que les spectateur·ice·s reconnaissent aisément. La posture, la voix sont similaires. La figure de la femme-enfant, quelque peu perdue et naïve, se dessine à travers les mots de Marilyn. Entourée et adulée, elle paraît pourtant si seule.

Tim, très finement joué par Charles Slovenski, partage cette solitude. Il dédie sa vie à Norma Jean qui lui montre la véritable personne derrière l’image du sex-symbol. Sa rencontre avec cette femme bouleverse son existence. Il se montre attentionné et respectueux envers elle. Il souhaite lui redonner un peu d’espoir, lui montrer que tous les hommes n’en veulent pas qu’à son corps. Charles Slovenski vit tous les états de son personnage, dévasté par la douleur de vivre de celle-ci et son suicide.

Marilyn, Madness and Me - 13.0.9.2023-114

Marilyn, Madness and Me évoque la profonde tristesse de l’actrice, elle qui pensait ne pas avoir droit au bonheur. La pièce revient sur son enfance douloureuse. Élevée par des familles d’accueil, elle n’a aucun repère, aucune stabilité. Elle désire être vue, être aimée, elle attend presque un sauveur qui saurait lui apporter tout l’amour et la sécurité dont elle a tant besoin. Pourtant, elle enchaîne les débâcles amoureuses avec des hommes qui se montrent parfois violents, qui disent l’aimer alors qu’ils veulent simplement la posséder quelques instants. Au cinéma, tout ne se déroule pas sans difficulté non plus. Elle arrive en retard, ne parvient pas à jouer certaines scènes. Les journalistes disent que sa carrière est finie. Finalement, elle réalise que ce milieu n’a rien d’humain et que, comme les hommes, il se sert d’elle, de ses cheveux blond platine, ses yeux de chat et ses lèvres rouges. Tous semblent davantage intéressés par l’image de femme fatale qu’elle renvoie que par la femme qui réfléchit, l’être humain dissimulé dans ce corps trop fantasmé.

Les œuvres sur Marilyn Monroe sont nombreuses et tombent parfois dans la psychanalyse ou les clichés. Marilyn, Madness and Me évite ces écueils et, que les spectateur·ice·s soient ou non des fans inconditionnel·le·s de la vedette, cette pièce touche tout le monde. Masha Neznansky et Charles Slovenski donnent vie à deux personnages à fleur de peau, légèrement enfantins, qui semblent n’être pas faits pour ce monde.

Marilyn, Madness and Me
Du 14 au 17 septembre 2023
Ce soir à 19h
Demain à 16h
Le Manège, Onex
www.geds.ch

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Farenheit 451

Fahrenheit 451: fiction ou réalité?

La compagnie de théâtre itinérante Les arTpenteurs joue une pièce aux questions brûlantes et transgénérationnelles en abordant les thèmes du savoir et de la liberté.

Texte et propos recueillis par Frida

Le spectacle est basé sur le célèbre roman dystopique Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Considéré comme un monument de la science-fiction, cette œuvre reste d’actualité. Elle touche directement le public par son lien avec la culture, les nouvelles technologies et le divertissement.

L’histoire est celle de Guy Montag – interprété par Mehdi Duman – un pompier chargé de détruire les livres. Ces autodafés réguliers lui paraissent naturels et s’intègrent parfaitement dans son quotidien routinier. Cependant, sa voisine, très justement jouée par Eva Gattobigio, va venir rompre cette harmonie illusoire. Fantasque et curieuse, cette jeune fille ne ressemble en rien aux autres personnes que Montag connaît. Les autres semblent insipides et endormi∙e∙s alors que Clarisse est pleine d’esprit. Lors de leur rencontre, elle lui demande « Êtes-vous heureux ? ». Cette simple interrogation déclenche une véritable introspection chez le principal protagoniste. Comme ses concitoyen∙ne∙s, il ne se posait pas de questions. Son environnement, sa vie et a fortiori son bonheur allaient de soi. Les questions ne sont pas les bienvenues dans cette société lisse où tout est maîtrisé.

Montag commence à s’interroger sur ce qui l’entoure, il débute un processus plutôt désagréable mais qui le fera sortir de « la caverne ». Il réalise qu’il ne sait plus quand ni comment il a rencontré sa femme. Son mariage est un état de fait comme son métier. Il apprend qu’avant les pompiers protégeaient les gens du feu; maintenant ils brûlent les livres pour protéger les gens des dangers que ces œuvres contiennent. Il décide de découvrir par lui-même quels sont ces menaces et se met à lire.

Farenheit 451

Photos: Felix Imhof

Le gouvernement justifie les autodafés en invoquant principalement la paix sociale. Les livres dérangent parce qu’ils sont perçus comme des objets offensant les différentes sensibilités. Pour éviter toute colère, tout débat, il est préférable de les faire disparaître. Toute réflexion est effacée et les individu∙e∙s vivent devant des écrans géants. À l’inverse des ouvrages interdits qui poussent à réfléchir et à se confronter à d’autres points de vue, un écran propose une réalité devant laquelle les individu∙e∙s peuvent rester passif∙ve∙s. Ils et elles ingèrent les informations montrées sans prendre du recul et les croient. Le gouvernement ne leur soumet qu’une opinion pour éviter les discussions. La légèreté et le divertissement remplacent la connaissance et la réflexion. La femme de Montag illustre parfaitement cette frivolité, elle qui a l’impression de vivre dans une série télévisée. Elle envisage même de mettre un écran sur le quatrième mur de leur maison. On ne peut s’empêcher d’y voir une référence au théâtre avec ce mur imaginaire qui existerait entre les comédien∙ne∙s et le public. Il s’agirait d’effacer l’art vivant pour le remplacer par un défilé d’images virtuelles.

La mise en scène fait sciemment naître la confusion dans l’esprit du∙de la spectateur∙ice en raison des différents rôles endossés par les acteur∙ice∙s et de l’insertion de passages narrés. Les feuilles volantes et le mouvement qui s’intensifie au fil du spectacle contribuent également à cet égarement. Cela reflète l’état d’esprit de Montag. Il ne comprend plus le monde dans lequel il évolue. Il développe progressivement une conscience et agit en fonction de ses nouvelles convictions. Il ne peut plus rester immobile face à tant d’incohérence et de contrôle.

La déconstruction progressive de la scène semble souligner l’effondrement d’une idéologie chez le personnage principal. À la fin, seuls demeurent les fondements de la scène, des piliers sains pour reconstruire une société meilleure?

La pièce est portée par de très bon∙ne∙s comédien∙ne∙s. Elle ne laisse pas le public tranquille mais vient le pousser dans ses retranchements. Cette œuvre le met face à ses propres choix, à son libre-arbitre dans une société où il est plus facile de s’endormir devant un écran plutôt que d’être chamboulé par un livre.

Fahrenheit 451
Par Les arTpenteurs

– Jusqu’au 7 septembre sur la place Favre, Chêne-Bourg
– Du 13 au 17 septembre au Jardin Roussy, La-Tour-de-Peilz
– Les 23 et 24 septembre au Parc Mon-Séjour, Aigle

lesartpenteurs.ch

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A raisin in the sun

They have a dream

Pour sa troisième production de la saison, la Geneva English Drama Society nous invite à découvrir la pièce A Raisin in the Sun mise en scène par Rick Vincent et interprétée par de brillant∙e∙s comédien∙ne∙s.

Texte et propos recueillis par Frida

Cette pièce relate l’histoire d’une famille afro-américaine, les Younger, vivant dans la banlieue sud de Chicago dans les années 1950. À la suite du décès du grand-père, ils reçoivent 10 000 dollars de l’assurance-vie de ce dernier. Source d’espoir, cette importante somme d’argent ouvre de nouvelles perspectives pour cette famille. Chaque protagoniste a une idée de ce qu’il convient de faire avec et toutes et tous imaginent déjà leur nouvelle vie. Mama, la grand-mère, décide finalement d’acheter une maison dans un quartier blanc avec une partie de ces fonds, ce qui déplait fortement à leur futur voisinage.

Lorraine Hansberry s’inspire de son vécu lorsqu’elle écrit cette œuvre en 1957. Elle grandit à Chicago et, si ses parents ne connaissent pas la pauvreté des Younger, ils rencontrent de nombreux problèmes avec leurs voisins quand ils déménagent dans un quartier blanc. A Raisin in the Sun a été la première pièce d’une auteure afro-américaine à être jouée à Broadway. Pour cette création, Lorraine Hansberry remporte le fameux prix du New York Drama Critics’ Circle pour la meilleure pièce de théâtre, à seulement 29 ans.

A raisin in the sun

Photo: Christine Housel

La pièce s’intéresse aux rêves, à leur réalisation et à la désillusion qui en découle parfois. Le titre de cette œuvre y fait d’ailleurs directement référence en renvoyant au poème Harlem de Langston Hughes: “What happens to a dream deferred? Does it dry up like a raisin in the sun?” (Qu’arrive-t-il a un rêve ajourné? Sèche-t-il comme un raisin au soleil?).

En exprimant leurs souhaits pour l’avenir, les personnages révèlent leur individualité et cela génère des tensions. Mama veut prendre soin de sa famille et lui assurer sécurité et stabilité. Elle troque donc leur petit appartement, décrit par Ruth sa belle-fille comme un “rat trap” (piège-à-rats), pour une maison avec jardin. Elle ne comprend pas son fils Walter Lee qui veut faire fortune grâce à des investissements. Elle pense que son travail de chauffeur et que sa famille devraient suffire à le satisfaire, et le compare à son défunt mari qui n’avait jamais eu des aspirations semblables à celles de son fils. Lorsque l’obsession de celui-ci pour l’argent touche à son paroxysme, elle lui rétorque qu’à son époque ils avaient d’autres préoccupations notamment celle d’éviter les lynchages. En déclarant “Once upon a time freedom used to be life – now it’s money. I guess the world really do change” (“Il fut un temps où la liberté était la vie – maintenant c’est l’argent. Je suppose que le monde évolue vraiment”), elle souligne le fossé générationnel qui la sépare de ses enfants. Walter Lee entrevoit d’autres horizons et l’argent est pour lui un moyen d’échapper à sa condition. Il ne supporte plus de devoir montrer de la déférence à des client∙e∙s fortuné∙e∙s qui ne lui témoignent que de l’indifférence. Son sentiment d’humiliation et sa colère face aux injustices sociales nourrissent ses projets. La liberté lui paraît vaine sans ressources pour l’exercer. Pourtant, il réalise que sa mère a partiellement raison et que certaines valeurs sont plus essentielles que la richesse.

A raisin in the sun

Photo (et photo du haut de page): Steven Antalics

Les opinions de Beneatha, la fille de Mama, entrent également en confrontation avec celles plus traditionnelles de sa mère et chamboulent l’équilibre familial. Il s’agit du personnage le plus affranchi de l’œuvre. Future doctoresse, elle choque sa mère par son athéisme, ses positions féministes et son questionnement identitaire. Les convictions de ce personnage sont celles de Lorraine Hansberry et, grâce à la très juste interprétation d’Andrea Ogbonna-James (Beneatha), on jurerait l’entendre parler.

Les comédien∙ne∙s livrent une très belle prestation. Emanita Bailey campe une Mama parfaite. Joanita Kalibala (Ruth) touche le public, le fait rire et lui transmet son intarissable énergie. Quant à Frederick Vaamonde (Walter Lee) dont c’est la première fois sur les planches, il fait ressentir aux spectateur∙ice∙s toute la fureur de son personnage. Toutes et tous arrivent à nous faire vivre le quotidien des Younger et les épreuves auxquelles la famille doit faire face. Les disputes reflètent leur désir de changer l’ordre établi. Et malgré les déceptions et les incompréhensions, cette famille reste unie. Comme le dit si bien Mama: “There is always something left to love. And if you ain’t learned that you ain’t learned nothing” (Il reste toujours quelque chose à aimer. Si tu n’as pas appris ça, tu n’as rien appris). 

A Raisin in the Sun
Du mardi 6 au samedi 10 juin 2023
Le Manège, Onex
www.geds.ch

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Le Voyage d'un rêve

Un rêve se pose au Casino Théâtre

En 2021, une troupe d’hétéroclites enthousiastes créait Le Voyage d’un rêve, une pièce de théâtre musical feel good dont la forme et le fond clament en chœur: suis ses rêves! Le spectacle est en ce moment à Genève au Casino Théâtre.

Texte de Katia Meylan

Hier matin à 9h30, le citadin Casino Théâtre bouillonnait, investi par des centaines d’élèves et potentiellement autant de rêves. C’est devant ce jeune public que l’association Pasaporte a repris son spectacle Le Voyage d’un rêve, dont les représentations publiques se poursuivent jusqu’à dimanche 14 mai.

D’emblée, le décor et les tenues nous présentent deux des personnages principaux. À première vue, ce sont un serveur et une serveuse. Au travers de leur charmant duo, harmonie à l’octave, accompagné par les musiciens du bar, ces deux-là nous détrompent: ils ne se sentent pas à leur place… Ni une ni deux, une cliente, resplendissante dans sa robe de princesse, remarque la jolie voix de l’homme et l’encourage à lui chanter autre chose. “Mesdames et messieurs”, annonce sa collègue, “notre serveur va vous chanter l’une de ses compositions”. Le ton est donné, entre réalité rêvée et rêve devenant peu à peu réalité. Les chanteur∙euse∙s révèlent tous trois des timbres aux tons chauds et passionnés et Azania Noah, par la puissance dans sa voix et son aisance, emporte toute l’assemblée.

 

Azania Noah

Traversant eux-aussi les différents niveaux de diégèse à leur guise, les morceaux, des ballades pop aux accents tantôt funk tantôt jazzy, sont le fil rouge du spectacle. Ils sont reliés par quelques répliques, parfois juste une phrase, et voient tourner autour d’eux les autres arts de la scène; danse, cerceau aérien et une poétique roue cyr, qui invitent à poser sur eux et sur le monde un regard d’enfant.

Si la trame encourage à suivre ses rêves, voir la troupe sur scène complète parfaitement le message. Ce format de partage pluridisciplinaire, où les chanteur∙euse∙s entrent dans la danse et où les circassiens et danseur∙euse∙s rejoignent les chœurs, donne au spectacle cette petite touche indescriptible, imparfaite et touchante, et au public l’envie de les rejoindre.
Vous voulez être dans le secret? Le spectacle est directement inspiré de la vie de… celui qui l’a créé: Patjé, auteur de la pièce et également compositeur des morceaux, chérissait depuis l’enfance l’envie de faire de la musique. Le voir devant nous prouve bien qu’il a eu raison de les suivre, ses rêves!

Le Voyage d’un rêve
Casino Théâtre de Genève
Du 11 au 14 mai 2023
voyagedunreve.com

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Charles Mouron

Tout le plaisir était pour moi

Fraîchement diplômées de l’école supérieure de théâtre Les Teintureries, Alenka Chenuz et Amélie Vidon interpellent les théâtres et le public romands avec leur pièce Y a pas de mal, portant sur scène un sujet tabou, celui de la masturbation. “Pas si tabou, de nos jours…” rétorquent déjà certain·e·s. Si ce n’est pas de l’ordre de l’interdiction, il faut tout de même admettre que l’on imagine mal répondre à un·e ami·e qui nous demande ce qu’on a prévu de faire le soir-même, “Oh rien de spécial, une soirée tranquille. Peut-être regarder une série, ou me masturber”. L’humour avec lequel le spectacle évoque le sujet encourage à s’interroger sur nos façons de nous exprimer, de nous dévoiler.

Texte de Katia Meylan

Lorsque nous les rencontrons à l’Échandole quelques heures avant la 30e représentation de leur spectacle, Alenka et Amélie affirment que c’est en partant du constat que certains sujets “pourtant tellement joyeux” sont mystérieusement tenus à l’écart des conversations, même entre ami·e·s, qu’elles décident de s’atteler à leur mise en scène. La masturbation a été l’heureux élu parmi tant de sujets possibles. Leurs choix de mise en scène et d’expression corroborent ce postulat, et l’on sent en effet tout au long de la pièce que ce qui les guide est un intérêt pour la parole, bien plus que pour les habitudes auto-érotiques de chacune et chacun.

Pour ce faire, la méthode du duo a consisté à mener des interviews avec des personnes “de la vraie vie”, à les retranscrire, au mot près, avec une précision de scientifique, puis à puiser dans ce matériau brut les séquences “coup de coeur” afin d’écrire la pièce. Peu importe finalement qui aura dit quoi; par un savant mélange de bienveillance et d’humour éclatent pêle-mêle toutes ces petites bulles de paroles, dans un concert de claquement de langue, d’exclamations, de rires, d’hésitations – sans pour autant bouder le plaisir de nous raconter à demi-mots telle nuit au Kit Kat Klub de Berlin, ou telle expérimentation au pinceau.

Alors comment relater ce genre de propos, à deux face public, et braver le malaise qui pourrait en résulter? En soignant la gêne par la gêne. Le spectacle commence en effet par une longue explication d’une Alenka intimidée qui nous explique que voilà, leurs costumes ne sont pas arrivés, et que sinon, ben, elles n’ont pas vraiment eu le temps de régler les lumières… pendant qu’une Amélie gauche trébuche maintes fois en courant ci et là. L’introduction aura l’avantage de convaincre de l’accessibilité du processus, et de nous rendre les deux comédiennes très sympathiques dans leur maladresse – ce qui par extension aura le même effet sur tous les personnages interprétés par la suite.

Charles Mouron2

Photos: Charles Mouron

La corporalité scénique n’aura pas été oubliée, et prend toute son importance dans le dosage de l’attention. Les deux comédiennes intègrent à leur texte des interludes de leur cru, aussi fluides et aisés que les paroles de leurs personnages sont entravées par le manque d’habitude. La maîtrise transcende le sujet et l’ancre dans le présent de la représentation. Ainsi, au fil de la pièce, la masturbation se voit louée par le lyrique Duo des fleurs de Delibes, extériorisée par un solo d’air-guitar ou apprivoisée par un saut de chat. Lorsque les deux comédiennes sortent de scène, restent, très visuels, des cornets en plastique épars, un peu incongrus, posés là telles les pensées dispensées, à prendre ou à laisser.

Y a pas de mal
Par la compagnie Alors voilà

Reprises:
Du 7 au 25 juillet, Théâtre Transversal, Avignon (FR)
Août 2023, Castrum Festival, Yverdon
alorsvoila.ch/ 

Ce texte a été rédigé dans le cadre d’un atelier critique sous l’impulsion de Grégoire De Rahm de Quatrième Mur

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Frou-Frou les Bains1

Nous avons fait un beau voyage 🎶

Au sortir d’une pièce de théâtre, on est toujours accompagné par une impression. De près ou de loin, et pour plus ou moins longtemps. Après la représentation de Frou-Frou les Bains, vaudeville musical avec lequel la compagnie TJP part en tournée romande, cette impression a été celle d’une joyeuse énergie pleinement dépensée.

Texte de Katia Meylan

C’est une joie toute entière d’être sur scène, d’y chanter, d’y danser et d’y interagir qui irradiait des neuf comédiens et comédiennes de la troupe du TJP hier soir, au Café-Théâtre de l’Odéon. Loin de se regarder dispenser au public les pitreries de leur cru ou écrites par l’auteur du texte, Patrick Haudecœur, toutes et tous semblaient les vivre avec une intensité et un plaisir d’autant plus communicatif.

L’histoire, d’abord simple, d’un directeur de cure thermale et de son équipe accueillant leur clientèle à l’heure de la réouverture saisonnière, se complique rapidement lorsque l’eau ne veut plus couler, que l’un des clients est pris pour le plombier et que des histoires amoureuses ou familiales s’entremêlent. Dans un beau décor tout de bleu et de blanc – seul élément paisible de la pièce –, le directeur (Fabrice Guillaume) râle et houspille son monde à qui mieux mieux tout en affichant un bagout de commerçant. Sa fille (Julie Schafer, rayonnante dans les parties musicales comme dans ses répliques) n’y va pas de main morte pour convaincre son amoureux Baptistin de demander sa main à son père. Ledit Baptistin (Jean-Gaël Diserens), bien qu’étant cabotin et spontané, essaie de surpasser son trac. Chez les curistes, la dépression de la lunatique Mathilde Moulin (Gisèle Balet, expressive à souhait) se frotte aux attitudes conquérantes du faux plombier Ferdinand Gronsard (Sylvain Dias, qui porte très bien la moustache et le costume des années 1910) et aux sourires renversants de la baronne (Léa Budaudi). Baronne enthousiaste mais qui reste lucide quant aux capacités intellectuelles et physiques son fils Charles (Pierre Saturnin), vieux garçon pas très dégourdi épris de Madeleine (Lucille Favre), une employée multitâche et vénale. Et, circulant là au milieu, un “Saturnin-Duguet-premier-chasseur-à-votre-service!” (Alexandre Juillet, danseur formé à l’école Rudra-Béjart), candide, adorable, décalé, qui répète tout sourire ce qu’on lui dit et ponctue gracieusement les imbroglios de grands battements et de pirouettes.

Photos: Arnaud Curchaud

Sur l’heure et demie que dure le spectacle, on rit beaucoup. Et si l’humour de répétition vaudevillesque n’est pas votre kiki – euh, votre dada –, pas le temps de s’en lasser, en voilà un autre qui rapplique: humour absurde, humour visuel, quiproquos, coups d’œil par le judas du 4e mur et petits imprévus du direct… Sans oublier une frénésie dans les répliques et un talent général pour la gestuelle – mention spéciale à la chanson Mon homme où Baptistin se fait malmener par une Juliette en pleine forme.

Les chorégraphies sont signées Alexandre Juillet, et la mise en scène est de Sara Gazzola. La metteuse en scène, formée à l’art de la comédie musicale et habituée aux productions de plus grande envergure, emmène cette fois un comité réduit de sa compagnie en tournée. Ayant obtenu les droits du vaudeville français pour une année, la troupe compte bien en profiter, avec 33 dates romandes décrochées. Débutée le 18 février au Théâtre de Colombier, la cure est actuellement à suivre au Café-Théâtre de l’Odéon jusqu’au 25 février, et se poursuivra à Morges, Pully, Fribourg, Cheseaux, Cossonay, Vevey ou encore Genève.

Sara Gazzola nous confie que ce début de tournée comporte déjà plusieurs défis, notamment celui d’adapter la mise en scène tant au petit espace de l’Odéon qu’au plateau de 100m2  de l’Octogone de Pully. Le contraste touche également le public, qui sera, selon le lieu, chaleureusement intercalé au plus près des comédien·ne·s ou confortablement installés sur les sièges rouges et rembourrés d’une grande salle de spectacle.

À chaque salle ses avantages, on aurait presque envie de toutes les essayer!

Frou-Frou les Bains
Jusqu’au 25 février
Café-Théâtre de l’Odéon, Villeneuve

Prochaines dates:

Jeudi 16 mars
Casino-Théâtre de Morges

Samedi 25 mars
Théâtre de l’Octogone, Pully

31 mars et 1er avril
Café-Théâtre du Bilboquet, Fribourg

compagnie.tjp.ch

Photos: Arnaud Curchaud

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L'amour fou du théâtre

Une expérience folle (du théâtre)

Mise en scène par Nicolas Zlatoff et portée par des interprètes infatigables sous la forme de répétitions ouvertes et intensives, L’Amour Fou (du théâtre) s’installe à la Comédie de Genève du 8 au 19 février 2023. Librement inspirée du film L’Amour Fou de Jacques Rivette, cette œuvre performative et audacieuse qui brouille les frontières entre la réalité et la fiction, invite le∙la spectateur∙ice à pénétrer l’univers d’Anton Tchékhov à travers l’étude du texte de La Mouette.

Si la pièce du maître russe, qui relate les passions contrariées de Nina Mikhaïlovna Zaretchnaïa, Konstantin Gavrilovitch Treplev, Boris Alexeïevitch Trigorine et Irina Nikolaïevna Arkadina, parmi tant d’autres, présente déjà un certain degré de complexité, il est nécessaire de s’accrocher pour suivre la proposition de Nicolas Zlatoff! Car il faut bien comprendre que vous n’assisterez jamais au “produit fini”; la pièce ne sera pas jouée dans son intégralité; on ne vous en racontera pas l’histoire; vous n’en verrez que de petits morceaux. Chaque soir, durant trois sessions d’environ une heure, les comédien∙ne∙s prendront en charge le travail de scènes distinctes, privant ainsi le public d’une véritable vision d’ensemble, malgré de brèves mises en situation. Une frustration bienvenue puisqu’elle offre, en contrepartie, un accès privilégié aux coulisses et aux secrets qui entourent la construction du personnage.

L’amour fou (du théâtre) – Un spectacle de Nicolas Zlatoff – © Jacques Rivette Cocina Films

Répétition ou représentation?

Le plateau est au centre de la salle, les spectateur∙ice∙s sur ses côtés, réparti∙e∙s en deux groupes se faisant face dans un dispositif bi frontal. Derrière les gradins, deux écrans sur lesquels sont projetées en direct des images en noir et blanc capturées par une caméra, elle-même guidée par les comédien∙ne∙s, à tour de rôle, façon reportage. En guise de décor, une armoire, des chaises, un tableau blanc annoté, une fenêtre, un fauteuil et une table sur laquelle trônent, éparpillés, des feuilles volantes, des livres, des verres, un paquet de cigarettes, des pichets d’eau, des bouteilles à moitié vides et toute une série d’accessoires et d’affaires personnelles. Les acteur∙ice∙s, qui travaillent à monter un spectacle que nous ne verrons jamais, accueillent le public de manière informelle, dans une ambiance légère et détendue, comme s’ils étaient en pause. “Action” crie le metteur en scène. On commence alors par se distribuer les rôles et lire le texte sans intonation ni émotion, très scolairement, afin d’identifier les personnages et de les présenter au public.

Après cette première lecture, les comédien∙ne∙s vont reprendre la scène et se mettre en jeu afin d’en révéler les enjeux et de tenter de “devenir” les personnages, de s’imprégner de leur essence. Nina, par exemple, pourra ainsi être jouée, tour à tour et sous différentes facettes, par Prune Beuchat, Estelle Bridet, Cécile Goussard, Isumi Grichting, Arnaud Huguenin, Lucas Savioz ou Lisa Veyrier. Nicolas Zlatoff, qui est lui-même sur scène, cherche également le sens du texte et écoute les propositions des comédien∙ne∙s qui improvisent, font des suppositions, prennent un rôle, puis un autre et n’hésitent pas à se couper la parole, se déchirer ou se soutenir pour faire valoir un nouveau point de vue. Ils tissent des parallèles avec la vie réelle pour mieux comprendre, débattent et n’hésitent pas à recourir à des situations personnelles afin de déceler ce qui est caché, le détail, qui permettrait de mieux cerner les personnages. Tout se construit petit à petit et, comme dans la vie, il y a parfois des blancs et certains soirs des passages qui trainent en longueur et font décrocher malgré des acteur∙ice∙s qui impressionnent par leur capacité d’improvisation et d’adaptation.

L'amour fou du théâtre

Photo ci-dessus et photo de haut de page:
L’amour fou (du théâtre) – Un spectacle de Nicolas Zlatoff
 Pièce née d’une recherche menée à La Manufacture
© Yvo Fovanna

Comédien ou personnage?

Avant d’arriver à une pièce aboutie, il faut évidemment l’étudier et, d’habitude, cet apprentissage, ainsi que tous les secrets du jeu, sont inconnus du public. Seule nous parvient la version la plus aboutie. Montrer l’envers du décor, le travail, les doutes, les tentatives ratées – le processus en somme – peut, certes, déstabiliser, ennuyer ou laisser sur sa faim mais déboucher, dans le même temps, sur un bel instant de partage et de complicité. On touche, par moments, à une réelle authenticité. À tel point qu’on aimerait participer, interagir, donner son avis, monter sur scène et dire “ce personnage ressent ça, ça et ça!”. Ces instants de grâce, d’une justesse déstabilisante, sont rendus possibles par l’utilisation de la méthode Stanislavski qui, en partant du principe que l’imagination est un muscle, pousse à puiser dans ses propres émotions pour constituer la carte mentale du personnage et interroger la complexité des rapports humains.

L’objectif, ici, n’est pas de bien jouer mais de jouer juste, “d’amener le personnage à soi et non l’inverse” comme le préconisait Lee Strasberg, fervent adepte de cette technique de jeu. Si La Mouette, œuvre difficile d’accès, a été la pièce sur laquelle Constantin Stanislavski a justement éprouvé ses théories, ce n’est peut-être pas un hasard. Car, grâce à elle, on comprend mieux pourquoi les personnages agissent comme ils le font et pourquoi ils ressentent certaines émotions. On entre ainsi complètement dans le texte et on accède, grâce à la somme de tous ces possibles, à toutes les dimensions de sa complexité. Où commence le personnage et où se termine-t-il? Voit-on un acteur qui joue à jouer ou ne joue-t-il peut-être pas? En réalité, si on voit sa performance, c’est qu’il joue? Cela nous intrigue et on en vient ainsi à se demander au final: “Qu’est-ce qu’une pièce théâtre?.

Si la proposition de Nicolas Zlatoff peut, pour certain∙e∙s, demeurer hermétique et difficile à suivre; si elle s’éloigne, pour d’autres, de ce qu’est le théâtre au sens classique du terme, à savoir, la narration d’une histoire; il est à noter que cette pièce est, en réalité, faite pour les amoureux et amoureuses de l’analyse et du théâtre. Tout est, en somme, dans le titre.

L’Amour Fou (du théâtre)
Du 8 au 19 février 2023
Comédie de Genève
www.comedie.ch 

Rédaction:

Marie Dutoit, Lou Conforti, Salma Chebli, Aline Moret, Léa Montandon, Sacha Dayer, Emilie Varela, Lucie Praz, Beatriz Correia, Leila Di Masi, Coraline Noël: élèves de la volée Jouvet en filière théâtre et musique à l’ECCG de Martigny.

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CAMPER PierreDaendliker

Camping dystopien à St Gervais

Du 17 au 20 janvier, Le Théâtre St Gervais Genève accueille la compagnie You should meet my cousins from Tchernobyl avec leur nouvelle pièce Camper. Un spectacle particulier qui mêle science-fiction et camping dans une ambiance brumeuse et quelque peu absurde.

Texte de Catherine Rohrbach

La salle est dans le noir. On aperçoit sur scène de grands sapins et une tente illuminée par un télétexte. Une lampe plasma vient faiblement éclairer cette forêt et des bruits de radio se font entendre dans le théâtre. Tout à coup, une lumière rouge déclenche des stroboscopes et des lasers. On pourrait croire à un atterrissage extraterrestre, mais ce n’est pas ce genre de pièce – ou serait-ce? Les premières notes d’une chanson post-punk retentissent et deux danseuses venues d’un autre monde en habits de cowgirls roses délivrent une performance avant de disparaître. Cette introduction se termine quand une voix off vient placer l’action: après la disparition des ondes courtes de radio, elles commencent à se diffuser à nouveau depuis la forêt d’Aokigahara –  tristement surnommée “la forêt des pendus” – au Japon. Le Bureau des affaires spatiales prend alors la mission d’identifier et analyser ces ondes.

Nous découvrons alors nos deux protagonistes en pleine analyse d’une aiguille de sapin. Theler, radio-physicien (Christian Cordonnier) et Hara, chimio-botaniste (Isumi Grichting) ont déjà passé un certain temps dans cette mystérieuse forêt car même le sel, censé les protéger et les champignons, censés ne pas les laisser tomber dans la déprime, ne semblent plus faire effet. L’atmosphère qui règne sur scène est étrange. On entend le croassement des grenouilles, des grillons, de la forêt qui vit, pourtant nos personnages semblent déjà morts. On apprend que dans leur univers, la joie n’a pas fait partie de leur vie depuis longtemps; le peu de fois qu’elle a été ressentie, elle a effrayé. C’est une dystopie où le bonheur n’existe plus. À la place, il y a le travail: Analyser l’aiguille, écrire le rapport, aller chercher de l’eau, recommencer. Quand Theler réalise que le sel n’est pas salé, pris dans un élan de vie, les deux scientifiques décident de partir, mais préfèrent finalement remplir la destinée de la forêt et se suicider. En fin de compte, ce Bureau n’observerait-il pas plutôt ses équipes dans le contexte énigmatique de la forêt?

Camper traite de suicide certes, mais la pièce n’est pas sérieuse ou sombre. Le jeu des comédien, décalé et apathique rend la brume plus légère et les sujets de conversation des protagonistes, que ce soit l’intrigue d’un film de samouraï, des cours d’espéranto ou les règles du tchoukball, prouvent qu’il s’agit plutôt d’une comédie absurde que d’une tragédie.

Camper
Du 17 au 21 janvier 2023
Théâtre Saint-Gervais, Genève
saintgervais.ch

Photo de haut de page © Pierre Daendliker

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