Le public de la piscine
Deux ans après une première performance dans une serre Fulleraine, l’artiste-chorégraphe valaisanne Florence Fagherazzi et ses élèves de danse sont de nouveau allés à la rencontre du public avec Silent Fights.
**
Assis∙e sur un banc de la paisible Martigny, vous regardez les voitures passer. Nous sommes le 18 septembre et, en cette fin d’après-midi, le temps est encore clément. Que faire? Où aller? Une balade vous ferait du bien mais il n’est pas évident de se décider. D’ailleurs, somme toute, vous êtes quand même bien sur ce banc.
Texte de Clara Boismorand
Aux abords de la sortie du parking, le soleil vous plisse les yeux et se reflète dans les vitres des véhicules. Ébloui∙e vous détournez la tête. Une voiture est sur votre gauche. La fenêtre du passager avant s’abaisse et des visages familiers émergent de la pénombre carrossière. “Vous faites quoi? […] À la piscine, il y a un spectacle de danse contemporaine. […] C’est gratuit. […] dans cinq minutes. […] Venez! “.
Sans vraiment comprendre comment cela est arrivé, vous vous retrouvez sur un des sièges arrière. On vous parle, on rigole, on s’agite. La piscine a fermé pour la saison depuis quelques jours. C’est excitant de se rendre dans un lieu condamné la moitié de l’année. Quel lieu singulier, la piscine, tout de même! C’est irréel de passer ainsi de la vie à la mort, d’une eau bleue nerveuse et effervescente en été, à une eau verte plate et chagrin en hiver. Les piscines publiques ont cela d’étrange: une fois fermées, elles inquiètent. On se demande si elles rouvriront un jour, si l’été reviendra. Il reviendra, n’est-ce pas?
Vous passez le tourniquet de l’entrée. Il y a du monde sur le gazon mais personne n’ose s’approcher de la piscine. Interdit∙e, vous évitez les bassins du regard et préférez concentrer votre attention sur les gens autour de vous; jusqu’à ce qu’une voix vous extirpe de l’inconfort. La voix, qui vous parvient à travers des haut-parleurs, vous invite à vous mettre en marche. Curieux∙se et incertain∙e quant à ce qui vous attend, vous avancez dans le gazon et, au tournant, trébuchez, sur une rangée de danseurs et danseuses tout vêtu∙e∙s de noir, le visage encré de mots.
La musique débute et vous voici parti∙e pour une heure de performance itinérante. Du gazon, vous rentrez dans la piscine – vidée à l’occasion – et découvrez, au fond, d’autres danseurs et danseuses. Les corps se disloquent, se tordent, se crispent et se relâchent; on court, on rampe et on tombe! Le tout se termine sur la musique de Cerrone Supernature. À l’image de la scène d’ouverture dans Climax de Gaspard Noé, danseur∙euse∙s et public chaloupent ensemble dans les profondeurs de la piscine. Grisé∙e et un peu sonné∙e par ce que vous venez de voir et de vivre, vous échangez avec quelques personnes autour de vous.
Photo: Colombe Boismorand
Parmi elles, Remy, un entraîneur de natation de Martigny, Noélie et Colombe, deux sœurs, Leopold et Sophie, deux danseurs et Arnaud, un jeune graphiste. Amené∙e∙s par la curiosité et le bouche à oreille, leurs paroles résonnent encore contre les parois de la piscine:
- “c’était intéressant”
- “ils auraient pu un peu plus sourire tout de même”
- “j’ai surtout aimé la fin”
- “on m’a forcé à venir ici”
- “certains danseurs se démarquaient, c’était sympa”
- “ils ont choisi la facilité”
- “la musique était très belle”
- “ça m’a inspiré”
- “elle m’a dit de venir et je suis venu”
- “beaucoup d’émotions dans ce spectacle et on les a ressenties, c’était bien fait”
- “j’ai eu peur, j’ai été pensif, peut-être un petit peu triste mais j’ai eu beaucoup de joie, les danseurs n’étaient pas des humains mais des pensées”
- “je n’aime pas trop la danse contemporaine mais sur les deux spectacles que j’ai vus, celui-ci était mon préféré”
- “par hasard”
- “j’ai aimé la dernière partie où on se prenait moins au sérieux et qu’il n’y avait pas nécessairement de message à faire passer”
instagram: @florence_fagherazzi_danse
Photo de haut de page: © Florence Fagherazzi
Le public de la piscine Lire la suite »