Le concert théâtral Volver, le tango de l’exil joué cette semaine à la Salle Centrale Madeleine à Genève mène à la rencontre d’Astor Piazzolla au travers de ses propres compositions et de celles des artistes qui l’ont inspiré. Son essence prend vie dans des textes racontés à plusieurs voix – dont la sienne – et dans les gestes du metteur en scène Philippe Cohen, qui incarne le compositeur et bandonéoniste argentin du début du 21e siècle.
Texte de Katia Meylan
Piazzolla aura « façonné le tango en profondeur pour les siècles à venir ». C’est le postulat que la compagnie Les muses Nomades raconte dans cette histoire d’exil. Car en effet, l’amour du compositeur pour le tango et son désir de le faire évoluer est d’abord passé par l’éloignement, tant de son pays que de cette musique populaire nationale, de quelques dizaines d’années son aînée.
Réminiscences spatiales et temporelles
Volver, le tango de l’exil narre donc, dans un doux désordre chronologique, les étapes de la vie de Piazzolla. Sa collaboration plus ou moins fluide avec l’écrivain Jorge Luis Borges; sa fascination pour le bandit Jacinto Chiclan pour qui il compose un air; son enfance, lorsque sa famille quitte Buenos Aires pour s’installer à New-York; ses insolents 18 ans, lorsqu’il tape à la porte du compositeur Juan José Castro, qui le redirige vers Ginastera; sa vingtaine, qui le voit s’identifier à la musique européenne… sa trentaine et le bouleversement de la rencontre avec la célèbre Nadia Boulanger, qui lui conseille de revenir à ses racines.
Les conteur∙euse∙s
Le public découvre ainsi l’évolution des sonorités et de la réflexion du compositeur, cheminant aux côtés des muses Nomades et de la Compagnie Confiture en la personne de Philippe Cohen. En 2021, le comédien genevois d’adoption avait déjà eu l’occasion d’écrire et d’interpréter pour la scène un autre pan de l’histoire de la musique, dans la pièce La bonne soupe de Ludwig van B. imaginée par les sœurs Joubert. Aujourd’hui, Volver réunit à nouveau le talent de Philippe Cohen et d’Oriane Joubert, ainsi que des deux musiciens avec lesquels la jeune pianiste compose le Latin Trio, Tomas Hernandez-Bages au violon et Mario Nader Castaneda au violoncelle. Pour compléter l’orchestre, ils s’entourent de la bandonéoniste Gaëlle Poirier et du guitariste Narcisso Saùl, qui signe également les arrangements du spectacle.
Photo © Gilbert Badaf
Une histoire à plusieurs voix et plusieurs gestes
Le concert est raconté de bien des façons autour du noyau de musicien∙e∙s, dans des configurations de quintettes, trios ou solo selon les morceaux choisis.
Philippe Cohen mime un premier air de tango traditionnel. Comme il frétille, on aurait presque envie de voir en lui la silhouette du chef d’orchestre Juan D’Arienzo, qui guette les notes, marque le rythme, apostrophe les musicien∙ne∙s. Puis, le tango traditionnel laisse la parole aux influences classiques, de Bach à Ginastera en passant par Gershwin, pour mieux revenir, se transformer, et devenir du Piazzolla.
L’aspect scénique du concert passe par les gestes, des mimes et des jeux de marionnettes, et même par quelques moments qui avoisinent le stand-up dont Philippe Cohen a le secret, comme lorsqu’il sort de la narration au beau milieu du spectacle pour présenter les artistes avec l’accent italo-latino-new-yorkais.
Le texte accompagne la musique et les mouvements tout au long du spectacle, à travers ce grand cahier noir qui circule de mains en main sur scène. Chacun∙e des musicien∙ne∙s en lit une partie à sa façon, comédien, pédagogue ou même interprète lorsqu’il faut traduire la voix de Piazzolla que l’on entend grâce à des archives audio.
On comprend avec émotion que toutes et tous ont une histoire forte avec cette musique, et que c’est elle qui transcende leur intensité concentrée.
Volver, le tango de l’exil
Du 18 au 21 janvier 2023
Salle Centrale Madeleine
theatre-confiture.ch