Plus qu’un concert, La Danse du Soleil est un cadeau, échangé entre le Geneva Camerata, son chef d’orchestre David Greilsammer, les danseurs et le public. Dans ce spectacle, les instrumentistes jouent par cœur la Symphonie N°40 de Mozart tout en dansant sur scène.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Depuis sa création en 2017, La Danse du Soleil a contribué à la renommée internationale du Geneva Camerata. S’il est très rare dans le monde symphonique de voir un orchestre au complet, chef compris, jouer sans partitions, l’émotion qui émane du spectacle n’est pas uniquement due à l’originalité de la performance. Les regards, les sourires et les gestes qu’échangent les instrumentistes semblent leur conférer une présence rayonnante.
À l’occasion de la prochaine reprise du spectacle le 21 mars au Victoria Hall à Genève, L’Agenda a posé quelques questions à deux musicien∙ne∙s du Geneva Camerata, le clarinettiste Mathieu Steffanus et à la violoniste Albane Genat.
L’Agenda : Quel instrumentiste projetiez-vous d’être, lorsque vous avez commencé votre carrière?
Albane Genat : Je ne sais pas si j’avais une image très précise de ce que je voulais être, mais actuellement je peux dire que je suis contente de ce que j’ai réussi à créer. Dans les études, on est amenée à suivre les voies évidentes : passer les concours d’orchestre pour avoir un poste fixe quelque part. C’est ce que j’ai fait, ça a marché, j’ai eu un poste fixe il y a huit ans, et suis partie après quatre ans parce que ce n’était pas la manière dont je préférais faire mon métier. J’ai démissionné pour pouvoir avoir un maximum de projets variés et atypiques.
Mathieu Steffanus : J’étais quelqu’un d’assez curieux – je pense que c’est le dénominateur commun de tous les musicien·ne·s du Geneva Camerata ! Avant ça, j’avais fait des mathématiques. À partir du moment où j’ai découvert la musique, j’ai eu besoin viscéral d’en faire sous des formes extrêmement différentes : de l’orchestre classique, de la création contemporaine, des spectacles jeune public… Je ne crois pas avoir eu un rêve précis, mais c’est un peu comme un enfant : tant que je m’amuse, ça me va !
Mathieu Steffanus, vous êtes dans l’orchestre depuis ses débuts, comment êtes-vous arrivé au Geneva Camerata ?
Mathieu Steffanus : Quand j’étais au Conservatoire à Paris, mon meilleur copain est devenu un très bon ami de David [Greilsammer]. C’est lui qui lui a donné mon nom. Dans le tout premier projet, il n’y avait pas de clarinette, mais j’ai rejoint l’orchestre dès le deuxième, avec mon collègue Benoît [Savin] qui est toujours là lui aussi. On a un peu grandi avec l’orchestre. On n’aurait pas imaginé un jour jouer des symphonies par cœur !
Albane Genat, vous avez rejoint l’orchestre un peu plus tard, par quel biais ?
Albane Genat : C’est une amie altiste du GECA, Caroline Donin, qui avait donné mon nom. Le premier projet que j’ai fait en tant qu’artiste invitée, en mai 2021, était d’ailleurs aussi un projet chorégraphié, sur la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak avec Marie-Claude Pietragalla. De fil en aiguille, ils m’ont proposé de plus en plus de concerts. À la fin de la saison dernière, David m’a proposé de devenir membre titulaire de l’orchestre. En plus de participer aux concerts, ça consiste, entre autres, à assister aux réunions pour faire évoluer les choses, proposer des idées pour la suite de l’aventure, que ce soit dans l’organisation ou dans l’artistique. Tout le monde a la parole de manière horizontale, ce qui est assez chouette !
Albane Genat avant de monter sur scène crédit ©Yannick Perrin
Photo de haut de page: ©Michael Priest Photography
Quelle est la plus grande difficulté dans la préparation d’un concert comme La Danse du Soleil ?
Albane Genat : Pour moi, ça a été d’arriver dans quelque chose qui existait déjà. Avec la vidéo que j’avais pour travailler, il a fallu que je comprenne où me placer, que je sois là où il faut quand il faut, pour ne pas faire perdre de temps au groupe. Je me rappelle de ma première répétition : Juan [Kruz Díaz de Garaio Esnaola], le chorégraphe, a commencé par lancer un filage, en disant « on verra ce qui se passe ». J’ai dû le faire de but en blanc, sans avoir répété une seule fois avec eux ! C’était un challenge.
Mathieu Steffanus : L’étape la plus difficile pour moi est d’être à l’aise avec le par cœur. Ça arrive de le faire dans des concertos, en tant que clarinette solo – mais c’est presque plus facile à apprendre qu’une symphonie, où il y a beaucoup de passages d’accompagnements, parfois un peu tarabiscotés. C’est beaucoup une question d’organisation. Moi je m’y mets environ deux mois à l’avance, et j’essaie de vivre avec la partition. Plutôt que d’y consacrer deux heures d’affilée, j’essaie de faire 3 minutes dix fois par jour, quand je suis dans le métro, quand je me balade.
L’apprentissage par cœur vous challenge donc plus que la danse ?
Mathieu Steffanus : Le chorégraphe sait qu’on n’est pas des danseurs, je ne vais pas devoir faire des entrechats ! Le travail consiste surtout à savoir se placer, à avoir la bonne attitude sur scène. Tout ça se construit avec une logique de troupe et un temps de répétition plus long, qu’on ne connait pas habituellement en tant que musicien. Au mois de mai, on va faire une création sur la Symphonie N°1 « Titan » de Mahler avec la chorégraphe Marion Motin, et là on a carrément 12 jours de répétitions. C’est énorme ! En général, pour monter un concert symphonique, c’est quatre jours. Là, on a le luxe de pouvoir tâtonner, chercher, potentiellement se planter… Mais la condition sine qua non, c’est qu’on connaisse la musique par cœur en arrivant.
À votre avis, la mise en scène peut-elle distraire de la musique ?
Albane Genat : À la fois oui et non. Dans le processus de travail, il y a des choses qui sont perturbantes corporellement et qui nous écartent de la musique dans un premier temps. Puis quand on commence à mieux comprendre ce qu’on est en train d’incarner, je trouve que le mouvement nous rapproche encore plus de la musique. Les deux deviennent intrinsèquement liés.
Mathieu Steffanus : Quand on est en mouvement, il y a des passages où on est complètement mélangés sur scène, ça arrive que tout à coup on soit à côté d’une contrebasse et d’un cor. Alors bien sûr, c’est plus difficile. Mais le but n’est pas d’arriver à faire une version aussi parfaite que le Philharmonique de Berlin. On cherche autre chose. C’est une question de contexte : imaginons que vous faites une soirée à la maison et qu’un de vos amis pianiste joue Chopin avec un petit coup dans le nez. Il fait quelques fautes, mais l’expérience sera peut-être plus forte qu’en écoutant la même œuvre dans une salle par le meilleur pianiste du monde.
La Danse du Soleil, ©Iván Martínez
Comment vivez-vous un concert comme La Danse du Soleil ?
Mathieu Steffanus : Le chorégraphe, Juan, a une approche très profonde et extrêmement honnête. Il est comme un enfant affairé à son jeu, qui donne envie de le suivre et nous met à notre tour dans cet état-là. C’est un vrai voyage. Je ne connais personne dans l’orchestre qui se lasse de cette pièce. Le fait de s’exprimer physiquement sur scène est plus immersif que lorsqu’on est assis au pupitre. Une autre chose agréable, c’est qu’on a toujours un très bon accueil du public. À la chaleur des applaudissements, on sent qu’il s’est passé un truc, qu’on a vécu quelque chose de fort.
Albane Genat : Quand je suis arrivée dans l’aventure, mes collègues m’ont dit « Tu verras, après la première représentation, ça va te faire quelque chose ». Ça l’a fait à tout le monde… et ça a été mon cas aussi.
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Migros-Pour-cent-culturel-Classics
Il n’est pas surprenant que La Danse du Soleil, dans son essence extraordinaire, ait charmé le Migros-Pour-cent-culturel-Classics. En effet, cette saison 2024-2025, sa programmation a changé d’angle et regarde désormais à 180°. Elle ne tombe pas sur la tête, mais souhaite renverser la façon dont est transmise et perçue la musique classique. Notamment, par des concerts dansés comme celui du Geneva Camerata en avril 2025, ou encore des concerts de très grande envergure tels que celui du Budapest Festival Orchestra à venir en mai.
Instaurée déjà en 1948 dans le cadre du Pour-cent culturel par le fondateur de Migros, cette saison de concerts a su évoluer pour que perdure sa mission. Aujourd’hui, elle invite chaque année six orchestres de renommée internationale à se produire à Genève, Berne, Lucerne et Zürich.
Prendre l’abonnement permet d’assister à six concerts pour un tarif avantageux de 16.50 à 66.50 la place, selon la catégorie. Les jeunes bénéficient d’un tarif réduit, et les plus spontané∙e∙s peuvent même acheter des billets « last minute » à 10 francs.
Étant donné que le nombre d’abonnements vendus est limité… guettez l’annonce de la saison 2025-2026, qui se fera le 19 mai 2025 ici !
Infos pratiques :
Pour assister aux prochains concerts, les places peuvent se réserver via la billetterie en ligne, ou auprès de différents points de vente: Migros Change Rive / Migros Change MParc La Praille / Stand Info Balexert. Vous pouvez également réserver par e-mail à scmbilletterie@migrosgeneve.ch ou par téléphone au +41 58 568 29 00.
www.engagement.migros.ch/fr/organisation/migros-geneve/billetterie
La Danse du Soleil
Geneva Camerata
Oeuvres de Mozart, de Lully et de la compositrice suisse Barblina Meierhans
- Vendredi 21 mars 2025 à 19h30
Victoria Hall, Genève
Autres dates, hors de la tournée Migros-Pour-cent-culturel-Classics :
- Mardi 29 avril 2025 à 20h
Théâtre du Jura, Delémont - Mercredi 30 avril 2025 à 20h
Théâtre du Beausobre, Morges