Filafrique

L’Afrique à Genève : Pour une démocratisation de l’art contemporain africain

Petit espace niché au centre de Genève, la galerie Filafriques célèbre l’art contemporain africain. Rencontre avec sa fondatrice Carine Biley, dont l’enthousiasme est contagieux, lors du dernier artpéro autour des œuvres des artistes sud-africains Reggie Khumalo et Gavin Goodman.

Propos recueillis par Géraldine Desarzens, le 11 février 2025

L’Agenda: Vous avez fait des études supérieures d’ingénieure en électrotechnique et électrique (ESIEE) à Paris. Comment vous êtes-vous tournée vers le marché de l’art ?

Carine Biley: Mon père adorait l’art, il était collectionneur et ramenait souvent des objets de ses voyages à la maison : des tableaux, des sculptures, etc. J’ai grandi en Côte d’Ivoire entourée d’œuvres d’art et j’y ai toujours été très sensible. J’ai d’ailleurs fait un double cursus en suivant des cours de photographie en parallèle de mes études d’ingénieur. C’est en exposant mes propres œuvres que je me suis davantage intéressée à ce qui se passait de l’autre côté et que j’ai fini par mettre un nom sur ce véritable métier que j’avais envie d’exercer.  

La transition entre l’ingénierie et la galerie n’a pas été difficile ?

C’était difficile, mais je ne me suis jamais sentie aussi vivante. J’ai quitté un métier stable de cadre dans le secteur de télécommunications pour suivre des études en marché et commerce de l’art à l’ICART à Paris. J’ai énormément appris en pratique lors de stages en galeries et en foires.

Comment se sont passés vos débuts dans le marché de l’art ?

J’avais porté mon sujet de fin d’études sur les lieux de l’art. Je me suis rapidement intéressée aux aéroports et plus précisément à leurs business lounges. Mon but était de les « customiser » en galerie d’art, pour y révolutionner l’attente des voyageurs, tout en leur offrant la possibilité d’acquérir une œuvre exposée en quelques clics. Un salon de l’aéroport de Genève m’a fait confiance et c’est ainsi qu’en 2018 est née ma 1 ère galerie : B Lounge Art. Les artistes représentés étaient internationaux, mais la sélection était très eurocentrée. L’année suivante le concept s’est déployé dans l’hôtel Mövenpick, puis dans le Qafé Guidoline.

La galerie B Lounge Art est ensuite devenue Filafriques ? Comment ça s’est passé ?

Alors que la galerie était en pleine expansion, il y a eu le Covid. Tout a été mis à l’arrêt. Et il y a eu le meurtre de George Floyd en 2020, suivi du mouvement Black Lives Matter, qui a été bouleversant. Je pense que la transition s’est véritablement enclenchée à ce moment-là. Bien que je sois Franco-ivoirienne, ma culture française a toujours dominé ma culture ivoirienne. Je n’ai jamais vécu le racisme. Mon prénom n’a pas de sonorité africaine, j’ai probablement dû passer entre les mailles du filet ! Il y avait donc une quête identitaire culturelle et personnelle à nourrir. Et cela s’est fait par le biais de Filafriques. Mais bien avant, j’ai ressenti cette évidence lors de la première édition de la foire AKAA (Also Known As Africa) de Paris en 2015. Cet art contemporain africain résonnait tellement fort en moi, avec tellement de justesse. Non seulement je me sentais plus légitime pour le promouvoir, mais je le ressentais aussi comme un devoir pour mon continent.

Avez-vous une volonté de vous démarquer d’une vision occidentale de l’Afrique ?

Oui. En Europe, quand on parle d’art africain, l’imagination est trop souvent réduite aux masques traditionnels ou aux objets d’artisanat. À travers ma galerie, j’ai l’ambition de faire connaître l’art contemporain africain avec un grand A, d’une richesse et d’une créativité folles, qui surprend, déroute, fascine. Bien loin de certains clichés que l’on pourrait avoir encore sur l’Afrique. À terme, j’espère qu’il sera identifié en tant qu’art contemporain et que cette étiquette ne soit plus nécessaire.

Si Filafriques existe depuis 2020, comment se fait-il que la galerie ici à Genève n’ait été inaugurée qu’en septembre 2024 ?

À la base, Filafriques était une galerie nomade, qui organisait ses expositions et autres évènements dans différents lieux : Un concept store africain aux grottes, l’hôtel Mövenpick, le Qafé Guidoline, le Global Health Campus, tous à Genève. Mais un lieu fixe devait venir compléter cet écosystème. J’ai alors signé le bail de cet espace du boulevard James-Fazy 18, à cinq minutes de la gare, le 10 septembre 2024. Et l’inauguration se fit avec et en présence de l’artiste sud-africain Reggie Khumalo.

Vous proposez régulièrement des « artpéros » : parlez-nous de ce concept.

C’est un prétexte pour faire revenir les gens à la galerie après les vernissages. Ces derniers sont souvent bondés. Les artpéros sont des formats plus intimistes, où on peut décrypter les œuvres et prendre le temps de mieux les apprécier. C’est un bon moyen d’amener l’art contemporain africain vers les gens et ainsi de le démocratiser.

Aujourd’hui, c’est le dernier artpéro autour d’œuvres sélectionnées de Reggie Khumalo et Gavin Goodman…

Ce qui est drôle, c’est que les deux artistes originaires d’Afrique du Sud ne se connaissent pas personnellement. Ils se suivent mutuellement sur Instagram et apprécient le travail l’un de l’autre. Le plus intéressant, c’est que les deux hommes ne se rêvaient pas artistes : Reggie [Khumalo] est autodidacte et s’imaginait bien entrepreneur dans la finance, et Gavin [Goodman] faisait des publicités pour des grosses marques. Leur style visuel s’oppose mais j’ai trouvé intéressant de les exposer côte à côte. L’abondance des couleurs et la générosité du tissu qui déborde des toiles de Reggie rompt avec le minimalisme des photographies de Gavin. Les deux célèbrent la beauté des femmes africaines.

Qu’en est-il de la suite ?

Être galeriste, c’est énormément de responsabilités. En plus de dénicher des nouveaux talents, il y a tout le travail d’acheminement des œuvres, leur transport, logistique complexe. Il y a également le volet événementiel pour driver du monde à la galerie, toute la communication, la création de contenu pour les différents réseaux sociaux, le site internet. Il faut être présent sur les foires internationales, ce qui est extrêmement coûteux. Il faut se constituer son réseau de collectionneurs et assurer leur confiance. Le plus difficile après avoir ouvert son espace, c’est réussir le dur challenge de rester ouvert. Je ne représente pas beaucoup d’artistes, car le marché est exigeant. Mais chacun d’eux est un choix et une conviction personnelle. Pour contribuer au mieux à leurs carrières respectives, il me semble important que mon travail soit plus qualitatif que quantitatif. Mon objectif est de les accompagner le plus loin possible et de faire en sorte qu’ils rayonnent à travers Filafriques.

La galerie Filafriques montre du 14 février au 29 mars 2025 une sélection d’œuvres de l’artiste ivoirien Obou Gbais dans une exposition intitulée The Power of Love.

Obou Gbais

Prochains artpéros :

  • Jeudi 6 mars 2025, 18h-20h
  • Vendredi 14 mars 2025, 18h-20h
  • Vendredi 21 mars 2025, 18h-20h

Pour plus d’informations :
www.my.weezevent.com/obou-gbais-the-power-of-love

Galerie Filafriques
Boulevard James Fazy 18
1201 Genève

www.filafriques.gallery

Instagram: @filafriques

www.linkedin.com/company/filafriques/

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