Violeta Hodgers

Décisif Sisyphe

L’absurdité de la vie et ses éternels recommencements, en ce début janvier, ça vous parle ? Pour les deux artistes Violeta Hodgers et Ambre Pini, du Collectif du Feu de dieu, les questionnements existentiels ont été le point de départ de Stratégies souterraines, création hybride entre danse et clown contemporain, qu’elles présentent du 21 janvier au 2 février 2025 au Théâtre de la Parfumerie à Genève.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

Lovée dans un doux pullover jaune qui donnerait envie de passer la journée à lire de la philosophie, une théière à portée de main, Violeta Hodgers nous parle du nouveau spectacle du Collectif du Feu de dieu. Fondé en 2018 avec l’envie de générer des rencontres artistiques et poétiques dans l’espace public, le collectif choisit souvent la rue pour terrain d’expérimentation. Mêlant clown contemporain, chanson et danse, ses spectacles ouverts à la spontanéité s’adaptent aux lieux et aux publics. Stratégies souterraines est en cela une expérience un peu différente. « C’est la première fois qu’on fait une production de ce calibre, avec une créa lumière, une créa son, une scénographie et des costumes. C’est la première fois aussi qu’on part de rien – enfin, qu’on part de nous, qu’on écoute nos envies, nos élans », sourit Violeta.

Face à soi

Une expérience que l’artiste décrit comme vertigineuse. « Pour ma part, je n’avais pas l’habitude de l’absence de contrainte. Ça a été assez déconcertant de se retrouver toutes les deux sur le plateau avec Ambre, à voir ce qui émergeait, à essayer d’y trouver du sens. Du coup, on a assez vite abordé notre rapport au vide, ce qui nous a menées aux grandes questions existentielles ». Filant le sujet, les deux artistes réalisent que la pensée de Camus autour du Mythe de Sisyphe est source de réconfort et d’appui pour de nombreuses personnes en quête de sens. Elles décident de s’inspirer elles-aussi.

Camus dans le miroir

 « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide. ». C’est par cette constatation que Camus introduit son essai de 1942. Selon l’auteur, si l’on tente de résoudre la question de l’absurdité de la vie, on finit soit par y mettre un terme, soit par construire des stratégies idéologiques – politiques ou religieuses – pour se convaincre que tout cela a un sens. C’est pourquoi, plutôt que de tenter de la résoudre, il préconise d’accepter l’absurdité, afin d’embrasser en toute conscience la vulnérabilité de sa condition humaine. Une philosophie qui parle aux deux artistes ayant toujours été sensibles aux façons possibles de traverser l’existence. « Dans notre société, le modèle dominant est rempli de monotonies, d’obligations, de responsabilités. Ça peut être aliénant et ça laisse peu de place pour d’autres choix de vies – ou alors, ces choix sont risqués et critiqués. Le grand concept de Camus, c’est la révolte intérieure ». Vivre, faire, proposer, créer, non pas contre l’absurdité, mais avec elle.  

 

Stratégies souterraines

Photo: Magali Dougados

La sagesse de savoir qu’il reste du chemin

Violeta et Ambre n’ont pas choisi la facilité en invitant la philosophie sur scène. « On galère ! », admet d’ailleurs volontiers notre interlocutrice en riant. « En se retrouvant sur le plateau, on s’est dit ‘Ok, ça c’est la grande théorie… maintenant qu’est-ce qu’on va en faire ?’. On a beaucoup travaillé à trouver un langage commun entre Ambre, qui vient plutôt du monde de la danse, et mon expérience de comédienne-clown. On s’est demandé comment combiner l’abstraction, les images que reçoit le public, avec quelque chose de plus concret. » Un processus au long cours, que les différentes étapes de résidence, l’une en août 2024 au Théâtre du Galpon, l’autre en novembre à La Traverse, ont permis de faire mûrir. Après avoir rassemblé beaucoup de matière, les deux artistes se sont attelées, dans les dernières semaines, à faire des choix et « affirmer avec plus de corps, avec plus de cœur, les esquisses plantées lors des résidences ». Intimidées par l’ampleur du sujet, les deux artistes ont maintes fois remis en question leur sagesse et le sens de leur projet. Violeta relève le parallèle fort entre la philosophie de Camus et leur expérience de création : « On croyait avoir trouvé quelque chose, puis ça retombait, et on recommençait. En fait… on avait parfois l’impression d’être Sisyphe qui roule sa pierre ! ».

À voir la petite flamme qui brille dans les yeux de l’artiste, le défi la réjouit. Il faut imaginer Sisyphe heureux. Comment pourrait-il en être autrement, lorsque son souhait est de « traverser l’absurdité de la vie avec le plus de sensibilité, de poésie, de joie et d’espace émotionnel possible » ?

Stratégies souterraines
Du 21 janvier au 2 février 2025
La Parfumerie, Genève
www.laparfumerie.ch

www.dufeudedieu.ch

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