Le Festival Agapé honore la musique et l’art sacré, alternativement une année sur deux Genève et à Reims. Sa 17e édition investit la Salle Frank-Martin du 28 mai au 1er juin 2025 avec six spectacles jeune public et douze concerts, rassemblant des artistes venu∙e∙s partager leur expérience et transmettre leur passion. Le percussionniste Keyvan Chemirani a partagé avec nous quelques réflexions autour de son art et de son concert intitulé Tales of new ancient rhythms, entre traditions et compositions originales.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Une grande famille
La voix de l’Irano-parisien Keyvan Chemirani nous parvient depuis le sud de la France, où il prend quelques jours de congé – ce qui ne l’a pas empêché d’accepter un rendez-vous téléphonique ! À évoquer la carte blanche que lui a confié le Festival Agapé, on le sent tout réjoui. Celle-ci lui a permis de constituer, spécialement pour l’occasion, un programme nouveau et un ensemble de treize solistes, parmi lesquels sa sœur Maryam au chant et son frère Bijan à la percussion. S’y retrouvent autant d’instrumentistes aux traditions orientales que de chambristes, maniant zarb, duduk oud, violoncelle ou clavecin. « Tous sont des amis avec qui je joue souvent. On fait partie d’une même grande famille. Pour moi, il y a différentes familles de musiciens : certains par exemple vont dédier toute leur vie et leur amour à un style, d’autres sont dépositaires d’une tradition qu’ils ont besoin d’ouvrir à d’autres répertoires. Les musiciens que j’ai réunis suivent cette quête de l’identité dans l’altérité », exprime Keyvan Chemirani. « Comme ils viennent de mondes musicaux différents, j’envoie des partitions à certains, alors que d’autres, issus de la tradition orale, auront plutôt besoin d’apprendre la musique par cœur pour pouvoir ensuite l’habiter. Ceux qui viennent du jazz sont un peu entre les deux, ils lisent la musique et ont besoin de plages d’improvisation. Ce patchwork, c’est un peu l’histoire de ma vie ! Je confronte mon savoir personnel, qui au départ est issu de la tradition de la musique savante persane, avec d’autres mondes musicaux. Mon instrument, le zarb, est un peu comme un sésame pour rencontrer les gens. C’est ça qu’on va essayer de faire à Agapé : une musique qui soit celle de la rencontre, de la curiosité, de l’ouverture à l’autre. »
Un monde troublé
Un projet qui semble parfois désespérément éloigné de l’actualité mondiale, des tensions, des polarisations exposées sur la toile et devant lesquelles le percussionniste admet, comme nombre d’entre nous, être effrayé. « Les réseaux nous permettent d’être en dialogue, oui, mais est-ce que ce dialogue est toujours fécond, est-ce qu’il nous rend des meilleures personnes ? Il y a une sorte d’urgence à proposer d’autre chose. De l’amour. De l’amour, pour les gens qu’on aime, pour nous-même, pour les autres. De l’amour pour tout le monde ! ». Il éclate alors de rire, de peur de tenir des propos bateau, puis se ravise. « Même si c’est bateau, ce ne sont pas des mots en l’air. Ce sont des choses que je vis. Je sens que le public est sensible à ça, au-delà des notes, il y a quelque chose de plus profond, une envie de communier, de donner ce qui nous appartient et inversement de s’inspirer de ce qui appartient aux autres, d’en faire son miel, de grandir et de murir avec. Pour moi, c’est presque une voie philosophique. »

Keyvan Chemirani. Photo: Stéphanie Griguer
Carte blanche partagée
Les oeuvres au programme du concert Tales of new ancient rhythms racontent, elle-aussi, cette philosophie d’ouverture. Le titre est un hommage à un duo de kora qui a fortement marqué le percussionniste, New ancient strings, que jouaient Ballaké Sissoko et le regretté Toumani Diabaté. Mais il traduit également l’esprit du concert, qui est celui d’utiliser des éléments de langages rythmiques issus des traditions fortes de l’Iran et de L’Inde pour composer des thèmes originaux et contemporains. Des compositions écrites par les musiciens de l’ensemble côtoient un chant traditionnel italien et une chaconne de Purcell, témoignant du désir de Keyvan Chemirani de partager ce qu’il aime. « Pourquoi se refuser le plaisir de donner les clés à ces musiciens géniaux pour quelques morceaux ! Quand à Purcell, j’en suis un grand amoureux. Il y a dans sa musique des cellules mélodicorythmiques en boucles, sur lesquelles il construit tout un édifice. C’est quelque chose qu’on retrouve dans la musique orientale. Je trouve beaucoup de liens entre la musique baroque et la musique orientale : une douceur dans les timbres des instruments, le rapport à l’improvisation,… », explique le percussionniste.
Le sacré dans l’authenticité
Agapé honore la musique dans toutes les formes que prend le terme « sacré », religieux ou non. En plus de ses traditions musicales liées aux grands poètes mystiques persans des 12e et 13e siècles, Keyvan Chemirani croit surtout à l’authenticité. « L’expérience scénique est une expérience ou on se met à nu. L’abandon et la sincérité sont très importants. Si on essaie de montrer autre chose que ce qu’on est à l’intérieur, quelque chose ne sera pas à sa place. C’est une quête, qui passe par un travail intérieur important, et un échange extérieur avec les autres. C’est le fait que chacun joue profondément ce qu’il est qui va donner du sens à la musique ».
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2025 sera une année genevoise pour le percussionniste, qui y reviendra à plusieurs reprises cet été puis en automne. Quelques jours après, le concert Tales of new ancient rhythms du 31 mai, il sera à l’Alhambra parmi les ami·e·s de Thomas Dunford dans le cadre des Athénéennes, puis, en octobre, créera son nouveau projet Sufi Saraband à la Cité Bleue, un projet autour de Rûmi et de la poétesse contemporaine Forough Farrokhzad.
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Festival Agape
Du 28 mai au 1er juin 2025
Salle Frank-Martin, Genève
www.festivalagape.org
Anciens articles de L’Agenda au sujet d’Agapé :
« La musique sacrée saura-t-elle vous faire vibrer ? »
L’Agenda 79, Mai/juin 2019
« Les Argonautes : cap sur leur troisième projet »
L’Agenda 90, Mai/juin 2021
« Les quêtes de Chouchane Siranossian »
L’Agenda 102, Mai/juin 2023
« La Passion selon Jordi Savall »
L’Agenda 107, Mai/juin 2024