Rencontre avec Éric Constantin, le prof Dicodeur, pour son spectacle Voltaire, Rimbaud, Internet et moi, qu’il jouera le 10 avril au Théâtre du Pré-aux-Moines à Cossonay et le 2 mai au Hameau-z’Arts à Payerne.
Texte et propos recueillis par Marie-Sophie Péclard
Éric Constantin est prof, mais pas que. Il a été chanteur pendant la première partie de sa vie, avant de rejoindre l’équipe des Dicodeurs sur la RTS. Depuis 2023, il sillonne les scènes romandes avec son premier seul-en-scène, Voltaire, Rimbaud, Internet et moi. Son but ? Faire rire avec de la littérature. Sur le papier, ce n’est pas gagné, mais Éric Constantin connaît ses classiques et s’inscrit dans la tradition du théâtre de Molière, « Plaire et instruire », avec les outils du 21e siècle. Une très jolie porte d’entrée sur la littérature par laquelle l’humoriste cherche « par tous les moyens » à dépoussiérer les classiques et à soigner quelques traumatismes des cours de français. Micro, guitare et humour en main, il convoque les grand∙e∙s auteur∙ice∙s mais aussi le yoga, le football, Aya Nakamura, des figurines pour enfants et des histoires de vie. Nous avons le plaisir de le rencontrer avant son passage à Cossonay.
L’Agenda : Vous avez joué la première de votre spectacle en 2023, comment a-t-il évolué ?
Éric Constantin : J’ai plus d’interactions avec le public. D’abord parce que je suis plus à l’aise et aussi parce que j’ai fait beaucoup de scolaires, je me suis rendu compte qu’il fallait parfois s’habituer au public en fonction de ses réactions parce que ce n’est pas un sujet facile. On va parler littérature pendant une heure et demie, ça demande des petits sas de décompression.
À force de le jouer, avez-vous repéré des passages où les réactions sont les mêmes à chaque fois ?
Il y a deux passages. Au début, il y a une série de réactions symptomatiques quand je pose des questions au public du type « Qu’est-ce qu’a écrit Voltaire » ou que je parle de figures de style. Je vois la tête des gens se demander si ça va être comme ça pendant 1h, et ça m’amuse parce que je sais que derrière il y a des choses qui vont les détendre un peu. Il y a aussi le passage où je parle de Céline, qui pose toujours la question de l’homme et de l’artiste. Beaucoup de gens pensent que c’était juste un collabo et un antisémite et ne vont jamais le lire. J’essaie de le ramener à quelque chose que je connais, le style. La réaction est toujours la même après avoir entendu un extrait de texte, ils sont surpris de voir qu’il écrivait bien.
Votre spectacle suit l’idée que la littérature n’est pas là où on s’y attend et qu’elle n’est pas si inaccessible que l’on pense…
Je pense que parfois la littérature est inaccessible, je le vois avec mes élèves. Il y a des gens qui y sont imperméables et mon but est avant tout de les faire rire, qu’ils associent la littérature à un moment rigolo. Je ne veux pas les convertir ou qu’ils aient des regrets. Après, si le spectacle peut leur donner envie de lire et de faire un pas vers la littérature, c’est super.

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Votre spectacle part tout de même du constat que la littérature, c’est ennuyeux. Est-ce qu’on pourrait l’enseigner de manière plus attractive ?
J’ai un vrai amour pour les artistes qui essaient de faire rire et de nous apprendre quelque chose en même temps. J’ai une grande passion pour Alexandre Astier et ses deux spectacles, j’aime beaucoup Alex Vizorek, et je dirais que ça montre qu’on peut tout enseigner différemment. Mais cela reste du divertissement et, quand on est enseignant, on a d’autres enjeux. Il faut suivre le programme, mettre des notes, il y a des objectifs et c’est difficile pour la plupart des profs de faire différemment. C’est pourquoi je ne peux pas blâmer personne. Mais je ne pense pas non plus que l’ennui soit une fatalité, au contraire. De mon côté, comme dans le spectacle, j’essaie d’introduire les figures de style avec des chansons. On doit essayer de faire comprendre à quel point Voltaire était fun, à quel point Molière était malin, pertinent, en avance sur son temps. Je trouve que c’est ça, notre enjeu.
Pendant votre spectacle, vous commencez avec une fausse conférence, commentez un match de foot, faites parler des figurines, prenez la guitare… Faire plein de choses sur scène, c’est aussi un moyen de ne pas s’enfermer dans une case ?
Honnêtement, il y a pire comme case. Même si je ne me résume pas à ça, je suis content d’être associé à la littérature. J’ai une frustration qui vient mes études, comme je n’ai pas fait de doctorat, je ne me considère pas comme un expert et personne ne m’avait parlé en expert de la littérature avant aujourd’hui. Je crois que c’est une petite vengeance sur la vie. En tous cas, littérature/rire est une case dans laquelle j’ai encore de la marge avant de m’embêter…
Pourquoi avoir choisi les Lettres ?
Sûrement parce qu’à un moment ça m’a parlé. J’aimais consacrer plusieurs heures de ma journée à lire et j’ai toujours aimé comprendre comment fonctionne les choses, j’aime analyser. Par exemple pour ce spectacle, j’ai regardé beaucoup de vidéos sur comment faire un spectacle.
Quel a été votre sujet de mémoire ?
J’ai travaillé sur les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, il y a eu une période de vie où j’ai été fasciné par cette femme. J’ai beaucoup aimé écrire mon mémoire, et j’ai retrouvé un peu de se plaisir-là en travaillant sur mon spectacle. Par honnêteté intellectuelle, j’ai tenu à relire Phèdre ou à lire le Comte de Monte-Cristo, qui a été finalement été l’une des meilleures lectures de ma vie.
À quel âge avez-vous commencé à lire ?
Très jeune. Ma tante était prof de français, je l’ai vu lire souvent, elle m’a offert des livres, très vite j’ai compris que c’était cool de lire. D’abord de la bd et ensuite de la littérature. Surtout… j’aimais qu’on me raconte des histoires. J’ai souvenir depuis tout petit d’avoir lu, d’avoir aimé ce que je lisais, et puis je me suis intéressé beaucoup plus tard au style, à comment ça marchait, comment c’était bricolé, pour finalement écrire un spectacle aujourd’hui.
Que vouliez-vous faire comment métier ?
Ça peut paraître prétentieux, mais à dix ans je voulais être prof. À quinze ans, Les Dicodeurs sont arrivés à la radio, et j’ai voulu être Dicodeur. C’était vraiment un but que je voulais atteindre. Quelques mois plus tard, on m’a mis sur une scène pour la première fois et j’ai voulu être humoriste. Aujourd’hui je fais les trois et je mesure ma chance, je me sens vraiment comblé.
Comment avez-vous intégré l’émission Les Dicodeurs ?
À l’époque, je faisais de la musique. Et je me suis rendu compte que, entre la musique et moi, c’était une histoire d’amour mais qu’on n’irait pas au bout. C’est Thierry Romanens, qui faisait partie des Dicodeurs, qui m’a conseillé d’écrire à la production. J’ai passé des essais, et ensuite une première émission. La première fois, j’étais assis à côté de Marc Donnet-Monay et je n’en revenais pas. Aujourd’hui je peux le regarder comme un être humain, mais j’étais très impressionné. C’est toujours une grande fierté, de faire partie de cette équipe.
Vous avez écrit des chansons, des chroniques, aujourd’hui un spectacle… Quel est votre rapport à l’écriture ?
Quand j’ai commencé à écrire des blagues avec Les Dicodeurs, je me suis imposé une grande rigueur et une vraie discipline. Pour être honnête, je n’ai jamais été aussi appliqué dans l’écriture de chansons. La musique, c’était un exutoire qui me permettait de libérer des émotions. Le spectacle, c’est des émotions, plus une passion, de la structure, c’est une combinaison parfaite de tout ce que j’ai pu écrire jusque-là.
Votre figure de style préféré est la métonymie, quelle est celle que vous aimez le moins ?
Le zeugme. Je vois qu’on essaie de jouer avec le sens des mots et d’associer des éléments qui ne s’associent pas normalement… Je crois que je trouve un peu bête d’avoir mis un mot là-dessus !
Est-ce que vos élèves viennent vous voir ?
J’ai beaucoup d’anciens élèves, encore plus quand c’est gratuit ! Mais c’est l’une des choses qui me touche le plus, parce que ça veut dire qu’ils ont fait la démarche d’aller voir un spectacle vivant, alors que je ne suis plus leur prof et que rien ne les y oblige.
Qu’est-ce que le spectacle a amélioré dans votre manière d’enseigner ?
Je me rappellerai toujours la première fois quand j’ai joué au Strap à Fribourg… J’avais 1h15 de spectacle et j’avais l’impression d’un grand vertige… Et une fois qu’on a fait ça, je dois dire qu’on est vraiment libéré à tous les niveaux. La semaine suivante, quand j’ai donné mes cours, je me suis dit « qu’est-ce qui peut te faire peur, après ça ? »
Vous débutez le spectacle en taclant gentiment l’écriture inclusive. Que pensez-vous de son utilisation et, plus globalement, des différentes réformes orthographiques qui animent les débats ?
En tant qu’humoriste, je trouve que c’est une bonne matière à rire, avec certaines limites, parce que c’est un changement. De mon point de vue, toutes les réformes se valent, la guerre des accents par exemple, je trouve que c’est absolument insignifiant. L’écriture inclusive, ça me semble intéressant parce que c’est l’archétype d’une règle qui n’est pas compliquée à comprendre et que beaucoup de gens ont réussi à rendre incompréhensible. Elle suit une certaine logique et ça nous oblige à réfléchir au sens des mots. Si on aime la littérature, si on aime l’humour, les mots ont un sens et l’accord des mots a aussi un sens. Quand on inclut dans le langage des minorités, je ne vois pas en quoi c’est mal. Ça nous oblige, quand on parle et quand on écrit, à penser à tout le monde et je trouve ça bien.
Éric Constantin – Voltaire, Rimbaud, Internet et moi!
- Jeudi 10 avril 2025 à 20h au Théâtre du Pré-aux-Moines, Cossonay
- Vendredi 2 mai 2025 à 20h30 à Hameau-z’Arts, Payerne