Emma Ruth Rundle était à Genève le 14 février dernier dans le cadre du festival Antigel pour la promotion de son album Engine of Hell. Ce dernier album, épuré et dépouillé des textures de guitare et de l’urgence vocale qui ont fait la notoriété de l’artiste, marque une étape dans sa carrière et les émotions brutes qui résonnaient dans les murs du Casino Théâtre ce soir-là étaient chargées d’une intensité qui n’avait rien à envier au plus bruyant des groupes de rock.
Texte d’Eloïse Vibert
La soirée a commencé avec les textures sonores anxiogènes de Jo Quail, des pièces inspirées par les énergies de la nature dont la dissonance portée par un violoncelle électrique squelettique capturait le souffle de l’auditoire. Cette première partie de soirée nous emmenait dans des paysages tantôt arides, tantôt inondés, parfois urbains où la nature avait repris ses droits et où nos peurs primaires ne pouvaient que fluctuer au rythme des loops superbement maitrisés.
Puis, après une pause d’une dizaine de minutes ponctuée par quelques mots du directeur d’Antigel, c’est au tour d’Emma Ruth Rundle de monter sur scène. Habillée d’une combinaison et d’une veste dont la moitié est noire et l’autre moitié blanche, maquillée avec des larmes pailletées, la compositrice s’assoit au piano et brise le silence: “Bonjour, mon nom est Emma et je vais vous jouer l’album Engine of Hell du début jusqu’à la fin”.
La sobriété de cette première intervention est suivie par les premières notes de Return, le premier morceau de l’album. La tension toujours palpable de la performance précédente se transforme soudainement en une mélancolie de plus en plus intense, une douleur enfermée dans un écrin d’abandon.
Les morceaux se suivent devant une audience silencieuse, soucieuse de ne pas casser la beauté de cette douleur exquise. Bloom of Oblivion nous emmène au plus profond des étapes du deuil – un thème récurrent de cette soirée – ponctué par des chuchotements, et clôturé par des cris du cœur répétant comme une libération: “I love you, see ?”.
Puis, la compositrice nous invite à vivre le souvenir capturé dans la chanson Dancing man. Citadel suit peu de temps après, accompagné par Jo Quail au violoncelle, nous offrant ainsi une respiration en mêlant l’énergie complémentaire des deux artistes.
L’interprétation d’Emma se veut théâtrale mais avec mesure et sobriété, rappelant un peu le jeu de scène de Tori Amos, où les jeux de regard servent le texte et les émotions brutes partagées dans ce moment suspendu dans le temps. L’artiste laisse parfois échapper quelques larmes, nous donnant un accès privilégié à une authenticité salvatrice.
Enfin, arrive le dernier morceau du set: In my Afterlife, qui donne le coup de grâce avec une progression d’accords qui nous emmène vers la fin de la performance en beauté. La chanson est suivie d’un rappel par lequel l’artiste clôture le concert avec des morceaux de ses albums précédent dont Marked for Death, issu de l’album du même nom.
Et puis, comme une apparition, Emma remercie le public, se lève, un peu déboussolée et disparait d’un côté de la scène nous laissant avec les tornades d’émotions qu’elle a suscité.
L’ironie de la date à laquelle ce concert a eu lieu n’échappera pas à certain. Malgré l’association un peu malheureuse en apparence entre un concert qui expie la douleur et le deuil de l’artiste et la fête des amoureux, l’authenticité de la performance et la catharsis qu’elle renfermait était un cadeau qui dépasse largement un bouquet de roses offert hors saison.