Maria Stavrinaki, professeure en histoire de l’art à l’Université de Lausanne et commissaire d’exposition, explore dans L’Âge atomique au Musée d’Art moderne de Paris l’impact des découvertes scientifiques sur l’art au 20e siècle. À travers son parcours, elle nous montre comment la recherche universitaire et le commissariat d’exposition se nourrissent mutuellement, alliant théorie et pratique dans un dialogue enrichissant.
Texte et propos recueillis par Clara Zimmermann
Article en collaboration avec le Master de spécialisation en analyse des discours et de la communication publics, UNIL
L’Âge atomique : quand l’art rencontre les avancées scientifiques
Les découvertes sur l’atome font progresser les recherches, la création de la bombe atomique bouleverse les imaginaires, la nucléarisation du monde redéfinit l’énergie… Le 20e siècle a été marqué par des avancées scientifiques majeures qui ont ébranlé l’époque et inspiré de nombreux esprits créatifs. Envisageant l’infini contenu dans l’infiniment petit, la puissance inquiétante d’un objet autant fantasmagorique que terrifiant, et la promesse d’une énergie diffuse et imperceptible, les artistes ont trouvé dans ces bouleversements un nouveau champ d’exploration.
C’est cette lecture inédite de la modernité que propose l’exposition L’Âge atomique. Les artistes à l’épreuve de l’histoire, en réunissant des œuvres qui n’avaient jusqu’alors jamais été présentées ensemble. Chaque création, replacée dans son contexte historique et esthétique, explore les interrogations suscitées par les bouleversements scientifiques du 20e siècle. L’exposition rassemble des œuvres d’artistes de renom, parmi lesquel∙le∙s plusieurs figures suisses telles que Friedrich Dürrenmatt, Le Corbusier, Miriam Cahn, Julian Charrière et Erik Nitsche.

Le Corbusier, Composition avec photo de la bombe « H ». 1952. Fondation Le Corbusier © F.L.C. / ADAGP 2024, Paris
D’une carrière académique à la pratique du commissariat d’exposition
C’est Maria Stavrinaki, que nous avons eu le plaisir de rencontrer, qui a imaginé cette exposition. Professeure associée à la Section d’histoire de l’art de la Faculté des Lettres de l’Université de Lausanne depuis 2023, cette historienne de l’art possède un parcours académique et professionnel des plus cosmopolites. Après des études en Grèce et en France, suivies de travaux en Allemagne et aux États-Unis, elle s’est lancée en 2019 dans une nouvelle aventure en devenant commissaire d’exposition à Paris. «Au-delà du médium de l’écriture ou de l’enseignement, je me suis dit que la question qui m’intéressait pourrait bien trouver une autre expression: celle de l’exposition », explique-t-elle.
L’enseignement universitaire constitue un atout majeur dans l’exercice du métier de commissaire : le·la professeur·e, en expliquant constamment des problématiques complexes à ses élèves, développe l’aptitude à théoriser au-delà de l’analyse de cas particuliers. Cette exigence théorique s’est révélée essentielle pour un projet comme L’Âge atomique, qui traite de questions interdisciplinaires, mêlant histoire, science et art. Maria Stavrinaki le pointe elle-même : « Le privilège du chercheur, c’est-à-dire le fait d’être payé pour ses recherches, est une condition fondamentale pour mener à bien ce travail de théorisation. »
L’exposition, un terrain d’expérimentation pour l’historien∙ne de l’art
Et réciproquement, quelle valeur ajoutée le rôle de commissaire d’exposition apporte-t-il à celui de professeur⸱e ? Maria Stavrinaki est claire : l’apport réside avant tout dans le travail direct avec les œuvres. L’universitaire peut rédiger des textes sur des œuvres qu’il⸱elle n’a jamais vues, mais le⸱la commissaire commence par concevoir son exposition, puis se confronte forcément à la réalité des œuvres à un moment donné. « Elles sont souvent beaucoup plus intéressantes que ce que l’on perçoit à travers une reproduction », nous confie Maria Stavrinaki. Ce qui avait été minutieusement anticipé et planifié lors de la préparation de l’exposition peut ainsi se voir modifié, redéfini, voire réinventé à l’instant où les œuvres prennent place dans l’espace d’exposition.

L’Âge Atomique, @MAMVP, Paris Musées, © Pierre Antoine
Autre distinction : alors que l’universitaire enseigne à des élèves en formation, le⸱la commissaire s’adresse à un public bien plus large, souvent hétérogène et parfois peu familiarisé avec l’histoire de l’art. « Cette réalité exige de trouver un autre langage », explique Maria Stavrinaki.
Enfin, le travail de commissaire d’exposition est une aventure publique, visible et sujette à critique. Contrairement à l’isolement académique, il transforme la conception d’un projet en un acte concret, où l’œuvre entre en contact direct avec les personnes présentes, offrant une nouvelle forme de dialogue entre l’art, l’artiste et le public.
L’art de l’exposition
L’exercice simultané de ces deux métiers semble offrir des bénéfices grâce à leur complémentarité, ce qui explique sans doute l’engagement fréquent d’universitaires dans l’organisation d’expositions. Maria Stavrinaki confirme cette réalité en mentionnant qu’elle connaît beaucoup de collègues impliqué∙e∙s dans des expositions à travers le monde. « C’est notre discipline, l’histoire de l’art, qui le permet », précise-t-elle. Peut-on affirmer toutefois que les professeur⸱e⸱s sont nécessairement les meilleur⸱e⸱s commissaires ? L’historienne de l’art réfute cette idée : « Il y a des universitaires qui font de mauvaises expositions, et des conservateurs extrêmement érudits qui en font de très belles. » Reste que commissaire d’exposition est un véritable métier à part entière. « C’est un métier qu’il faut apprendre, notamment car il impose énormément de contraintes matérielles », affirme Maria Stavrinaki.
Si la relation entre le monde académique et celui de l’exposition est évidente, il reste essentiel de reconnaître la spécificité du travail de commissaire. De l’université à l’espace d’exposition, l’universitaire devenu⸱e commissaire développe de nouvelles compétences en transformant sa réflexion théorique en une rencontre vivante et partagée.
L’Âge atomique. Les artistes à l’épreuve de l’histoire
Du 11 octobre 2024 au 9 février 2025
Musée d’Art Moderne de Paris
www.mam.paris.fr
Photo de haut de page:
Bruce Conner, BOMBHEAD, 2022. MOMA ©Conner Family Trust, San Francisco – ADAGP 2024 – photo Courtesy Magnolia Editions, Oakland, CA.