« Je m’élève au-dessus de la ville qui dort. » De son canapé aux ruelles de Bienne, Les Moucherons de Zoé Borbély nous font envisager les petits détails de l’expérience de tous les jours comme une invitation à la poésie. Originaire de Bienne, formée à l’Institut Littéraire Suisse, la jeune autrice s’est volontiers prêtée au jeu de l’interview.
Texte et propos recueillis par Alexia Valzino
Article en collaboration avec le Master de spécialisation en analyse des discours et de la communication publics, UNIL
Premiers pas drosophiles
C’est par le jeu du hasard que je me suis rendue compte qu’une de mes camarades discrètes des bancs de l’amphithéâtre venait de publier, en mars 2024, un récit qui, selon les mots de l’autrice, empreinte sa forme à la poésie. Entre une vieille femme mystérieuse, baba, qui semble vivre perchée sur une colline, une jeune personne, Axel, qui partage avec elle la machine à café et les questionnements d’une génération, et Biarritz qui apparaît comme l’horizon d’une échappée belle, ces lignes racontent aussi l’expérience du chez-soi et de la ville. Diplômée de l’Institut Littéraire Suisse en 2021, Zoé Borbély a grandi parmi les livres, chanceuse d’avoir eu « (…) des parents qui m’achètent des livres et m’emmènent à la bibliothèque. » En 2022, elle rencontre Augustin Rebetez, l’éditeur du Label Rapace, qui l’encourage à continuer le projet d’écriture des Moucherons et lui propose une publication dans sa maison d’édition.
Battre le pavé biennois
Dans les ruelles pavées de la ville bernoise, l’autrice raconte l’histoire personnelle et familiale qui résonne entre ces murs: « Sur mes papiers d’identité, il est écrit que mon lieu d’origine est Bienne. Pourtant, j’ai des grands-parents aux origines hongroise, suisse-allemande, italienne, française et franc-montagnarde. Bienne est le lieu de naturalisation de certains d’entre elleux (…) Aujourd’hui, Bienne est une ville qui est façonnée par l’immigration, et elle l’était aussi d’une certaine manière à la génération de mes grands-parents, c’est ce que disent mes papiers d’identité et c’est la symbolique que je lui accorde. » Cette ville où le destin des exilé∙e∙s se mêle, c’est aussi pour la jeune autrice la possibilité de faire l’expérience de l’autre, expérience qui constitue un moteur important de son processus d’écriture. « C’est un espace où les corps s’entrechoquent, les gens avec qui je parle, que ce soit le jour ou la nuit, ne sont pas fait·e·s des mêmes expériences que moi. Ces rencontres sont aussi importantes, à titre personnel et pour l’écriture. » La ville, c’est ce lieu où l’on observe la rencontre hasardeuse de soi-même et de l’autre. Dans ces espaces où notre expérience résonne avec le titre du livre, c’est notre rapport aux autres qui ne cesse de se réinventer. Pour Zoé, cette place n’est jamais donnée en soi, et c’est par l’écriture qu’elle raconte être avec sa génération : « Je vois dans ma génération une multitude de groupes, et je n’ai pas un attachement exclusif envers l’un d’eux. Je crois que nous avons chacun·e une manière de “prendre part” au monde, et je ne cherche pas à me donner une autre place que celle de l’écriture (…) En tant qu’autrice, j’essaie de participer à une littérature qui n’est pas seulement pour les “cheveux blancs”, et cette réflexion intervient souvent dans mon travail. Dans ce sens, je pense que j’essaie d’être avec ma génération. »

Raubazine: jeter l’encre.
Dans cette ville où elle déambule, l’autrice ne fait pas que tirer son inspiration. En 2020, elle se forme aux bases de l’impression typographique et intègre l’association Officina Helvetica, une imprimerie associative où l’on peut suivre des cours pour apprendre la composition et le fonctionnement de presses pour venir y faire ses propres projets. Tout de suite, cette expérience plaît à Zoé. « J’ai tout de suite aimé le contact avec la matière, moi qui avais toujours aimé dessiner, bricoler,… J’avais besoin de ce rapport matériel au texte. Ça ouvrait mon horizon littéraire à de nouvelles questions : Comment est l’objet dans lequel le texte se présente ? Qu’est-ce que ça change à la lecture, un beau livre ? » En 2021, elle commence des nouveaux projets à l’atelier typographique Le Cadratin, où elle termine l’été dernier de réaliser un livre intitulé Portrait des prochains disparus, exposé durant Tirage Limité, les rencontres romandes du livre d’artiste. À Officina Helvetica, elle cofonde avec une amie, Camille Leyvraz, une micro maison d’édition nommée Raubazine, qui se concentre sur la forme courte et la poésie. Les livres y sont entièrement composés en caractères en plomb et imprimés de manière artisanale. Une troisième publication est actuellement proche de paraître.
À la fois avec Raubazine et l’écriture, on espère que les petites pattes des Moucherons deviendront grandes.
Les Moucherons
De Zoé Borbély, Ed. Label Rapace, 2024
www.abelrapace.com/Les-moucherons-Zoe-Borbely