Caroline Tschumi

Les princesses de l’Histoire vues par Caroline Tschumi

Au Château de Chillon, Caroline Tschumi met en lumière les princesses d’antan et évoque, par des couleurs vives et un soupçon de magie, leurs histoires respectives. Le tout dans un décor de rêve: un château au bord de l’eau. Rencontre avec l’artiste.

Propos recueillis par Stefanie Rossier

Le Château de Chillon vous a commandé 12 œuvres pour cette exposition. Quelle a été votre première réaction?

J’avais déjà eu l’occasion de rencontrer Marta dos Santos, la directrice du Château de Chillon, lors d’une visite et d’un atelier que j’avais donné au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne dans le cadre de l’exposition collective Jardin d’Hiver #1: Comment peut-on être (du village d’à côté) persan (martien)?, à laquelle je participais en 2021. Peu de temps après, et suite à la découverte de mon travail, Marta m’a contactée pour me proposer de réaliser une exposition personnelle au Château de Chillon, et de se voir pour discuter du thème, car il s’agissait d’une commande spécifique, et donc, d’un travail inédit pour moi. Ma première réaction a été de me sentir très impressionnée par rapport au lieu et à son importance en tant que monument suisse, notamment. Ça a aussi été un peu magique, car j’allais régulièrement au château en vélo étant enfant, et je me racontais toutes sortes d’histoires autour de celui-ci.

Pour quels éléments avez-vous collaboré avec l’équipe du Château, et pour lesquels avez-vous au contraire profité de votre carte blanche?

La première chose que nous avons définie avec Marta et Noémie Enz, la curatrice de l’exposition, était ma marge de manœuvre au niveau de la liberté de représentation de ces princesses qui ont réellement existé. Marta et Noémie ont été catégoriques: l’idée était de laisser complètement libre d’interprétation l’imaginaire de l’artiste invité∙e, car la volonté de la fondation du Château de Chillon est précisément d’intégrer de l’art contemporain au château, sans entraves et sans tabous, et de le faire dialoguer avec le lieu mais aussi avec un public très large. Une fois que j’ai eu la validation que je pouvais aller dans la – ou les – directions que je souhaitais, et qu’il ne s’agissait pas d’une commande d’illustration historique, j’ai accepté le projet avec joie. Je trouve encore aujourd’hui très ambitieux et courageux à elles d’avoir pris cette voie d’intégrer de l’art contemporain dans un lieu historique. Dans les faits, c’est une belle réussite car le château a bénéficié de plus de 304’000 visiteuses et visiteurs en 2022 et l’exposition a engrangé à ce jour une hausse du public local de plus de 16%, rien que pour les visites de l’exposition Princesses en lumière. Le choix des œuvres annexes au salon Anken est aussi un exemple d’ouverture de la part de la fondation, car il y est représenté certains de mes travaux les plus étranges. Pour tout le reste, communication, promotion, scénographie, infographisme, planning, encadrement, montage et tant d’autres choses, nous avions des séances régulières toutes et tous ensemble durant lesquelles nous collaborions et avancions sur le projet en accord les un∙e∙s avec les autres.

© Marie-Pierre Cravedi

Quelles ont été vos inspirations principales, tant dans la technique que dans votre imaginaire, pour représenter ces femmes d’une autre époque?

Je n’ai pas cherché quelque chose de particulier car je n’ai pas fait de croquis préparatoires, je n’en fais pas. Je me suis mise devant la feuille et c’est en dessinant que les visages, les états d’âmes et les habits de ces femmes sont apparus. En revanche, je me suis inspirée sur le moment de ce que j’avais lu sur leur vie, par exemple, qu’Anne de Chypre avait survécu aux accouchements de 19 enfants, tous vivants à la naissance. Cela m’a donné l’idée de la faire asseoir sur une racine au bout de laquelle sont représentés dans des sortes de poches amniotiques ses dix-neuf enfants. Le fait qu’elle soit assise, c’est un peu comme si s’était elle-même qui me l’avait imposé. C’était surtout une fois que les dessins étaient terminés qu’ils pouvaient m’évoquer des références, comme, par exemple, Naoko Takeuchi, Walt Disney, ou encore Edmond Dulac ou Klaus Voormann. J’ai une seule fois délibérément choisi un détail pour faire l’un des habits d’une des princesses, à savoir le motif d’une des chemises de John Lennon, qui est un de mes héros, pour réaliser la robe de Marie de Bourgogne. Il y a aussi, dans la plupart des dessins, des éléments liés directement au Château de Chillon, comme des détails d’une fenêtre, ou encore des motifs aperçus aux plafonds des salles.

© Marie-Pierre Cravedi

L’une de ces princesses vous a-t-elle particulièrement interpellée?

Le portrait de Bonne de Berry m’a permis de représenter une de ces princesses dans un aspect plus dérangeant de sa psyché, au moment où elle songe à commanditer un empoisonnement, ce qui est réellement arrivé. J’ai travaillé ce dessin uniquement à la ligne claire, en contraste avec les plus grands formats qui sont tous réalisés aux crayons de couleurs et à la gouache. J’ai aimé dessiner le détail anachronique d’un maquillage qui coule, j’avais l’impression de dessiner le Joker joué par Joaquin Phoenix. Bonne de Berry a été représentée autrefois dans sa baignoire, j’ai donc souhaité garder cet élément, mais aussi parce qu’il me semble que la chambre de bain est un élément très cinématographique, mettant souvent en scène un personnage face à son propre reflet, dans un moment de perte de contrôle imminent.

Quels sont vos projets futurs dans votre carrière professionnelle?

Je souhaite continuer à peindre et à dessiner, aussi longtemps qu’il me sera donné de le faire. Je participe aussi à plusieurs expositions programmées ce début d’année 2023 en France et en Suisse: au Musée régional d’art contemporain de Sérignan, au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, mais également au Museo Villa dei Cedri à Bellinzona ainsi qu’à la foire de dessins contemporain Drawing Now Art Fair à Paris. Je prépare également une exposition personnelle d’ici la deuxième partie d’année, affaire à suivre…

Princesses en lumière
Jusqu’au 23 avril 2023
Château de Chillon, Veytaux
chillon.ch

Photo de haut de page: © Céline Michel