Après un tout premier rendez-vous en mars dernier aux Scènes du Grütli à Genève, l’Observatoire romand de la culture (ORC) a tenu hier sa deuxième rencontre depuis sa création. Ces deux dates avaient pour but d’ouvrir des discussions autour de l’étude intitulée « Parcours des artistes en Suisse romande – Ressources et étapes clés », parue en automne 2024. Elles ont réuni une cinquantaine de chercheur∙euse∙s, membres de faîtières, représentant∙e∙s d’institutions publiques, artistes et multiplicateur∙ice∙s de casquettes du secteur culturel.
Compte-rendu : Katia Meylan
Rencontre du jeudi 22 mai 2025 à la Ferme des Tilleuls, Renens
En septembre 2022, l’Observatoire romand de la culture débutait ses activités pour pallier au manque de statistiques exploitables dans le secteur. Ses missions, en collaboration avec les sept cantons romands, 14 villes et deux hautes écoles (UNIL et HES-SO), sont les suivantes : Collecter et valoriser des données / Mener des recherches sur diverses thématiques / Organiser des rencontres avec et entre les acteur·rice·s des différents milieux culturels, tout cela afin de dégager des pistes d’action.
Deux études ont été publiées depuis : « Le financement public de la culture romande » (juin 2024), et « Parcours des artistes en Suisse romande – Ressources et étapes clés » (novembre 2024) sous la direction de Catherine Kohler, dont les résultats ont été présentés lors des rencontres aux Scènes du Grütli (31 mars) et à la Ferme des Tilleuls (22 mai).
Constats
Les résultats de l’étude démontrent que pour les artistes, développer des compétences au-delà du côté purement créatif est une nécessité. Catherine Kohler pointe des difficultés administratives qui perdurent tout au long d’une carrière, indépendamment de l’expérience acquise. Au-delà de l’apprentissage « sur le tas » des rouages administratif, le problème vient surtout du temps consacré (41,76% des personnes interrogées ont répondu y consacrer plus de 10 heures par semaine) et de l’absence de rémunération (fait relevé par 84,7% des artistes). La chercheuse pointe également que la logique de « soutien par projet », qui s’est instaurée au sein des organismes de soutien public et privés, augmente le travail administratif et encourage les artistes à produire plutôt qu’à tourner.
Une certaine liberté d’expression et un désir de transparence s’est dégagé des interventions qui ont suivi, tant à Genève qu’à Renens, tant parmi les intervenant∙e∙s invité∙e∙s que les auditeur∙ice∙s.
« La production est un vrai métier »
Sur le sujet de la solitude des artistes et des compagnies devant les tâches administratives, Isabel Amian, secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle, énumère plusieurs initiatives d’aide et de conseils existantes : l’entité qu’elle représente, mais aussi Le bureau des compagnies au Grütli, la faîtière Les Compagnies Vaudoises, l’association TIGRE ou encore le Bureau culturel du canton de Neuchâtel.
À l’étape des études, elle déplore (lors de la rencontre de mars) un manque de formation à l’aspect administratif. Elle salut le fait que La Manufacture l’ait invitée à donner un cours, mais les deux heures consacrées ne sont selon elle pas suffisantes. Julie Marmet, membre du comité de Visarte Genève, mentionne (lors de la rencontre de mai) que le cours intitulé Guide de survie après la HEAD… au sujet des questions administratives proposé par Visarte, avait rencontré un grand succès et a été depuis intégré au cursus de Master Arts visuels.
L’autre casquette de Julie Marmet lui fait aborder le sujet des modèles émergents de bureaux de production tels qu’Arroi, où elle œuvre à l’accompagnement de projets artistiques. Un modèle qui existe également dans les arts vivants (voir le tout fraichement débarqué equ-ip, ou encore oh la la – performing arts production, qui statue sur son site: la production «est un vrai métier»). Le business modèle de ces bureaux, à but lucratif, est de mettre au budget leur salaire lors des demandes de subventions. Michelle Dedelley, cheffe du service Culture-Jeunesse-affaires scolaires de la Ville de Renens, relève à ce propos: «Les collectivités publiques n’aiment pas donner pour le fonctionnement, alors que le fonctionnement est une réalité! Il faut aller contre ce réflexe qui est de se dire, lorsqu’on voit cette ligne dans le budget, ‘‘ce n’est pas de l’argent qui va aux artistes’’».
Les dilemmes
Si certaines problématiques (comme le besoin de professionnaliser les différentes tâches qui entrent en compte dans un projet artistique, ou le besoin de sortir de la logique de soutien par projet) mettent toute l’assemblée d’accord, les pistes d’action restent un dilemme. Faut-il privilégier la «politique de l’arrosoir» et répondre à de nombreuses demandes sans pouvoir leur accorder le montant nécessaire à la bonne réalisation du projet, ou au contraire opérer une sélection plus drastique afin de permettre à des projets de pleinement se réaliser, quitte à laisser certains sur le bord de la route? Faut-il centraliser et ne permettre les demandes que par des entités (comme fait CineForom pour le cinéma, en n’acceptant que les demandes de boîtes de production), ou accepter des demandes individuelles? Faut-il soutenir des associations et des projets différents chaque année, ou alors accorder une confiance financière élevée et durable à un petit nombre, comme tend désormais à faire la Ville de Genève pour sortir de la logique de soutien par projet – et potentiellement encourager la «politique de l’élu∙e», comme le relève Julie Marmet ? Faut-il être fidèle aux artistes installé∙e∙s ou faire place aux jeunes ? «Avec la relève, on perd de la valeur. C’est arrivé qu’on me réponde ‘‘on t’a déjà vu!’’» témoigne un comédien présent.
Autant de pistes empruntées actuellement, qui ont chacune prouvé leurs avantages comme leurs inconvénients. Et qui reviennent au même constat: un manque de budget.
Un grand besoin d’humain et de transparence
«J’imagine le temps que ça prend de remplir toutes les cases d’un formulaire de demande… On pourrait simplifier les processus», affirme Michelle Dedelley. Au service culturel de Renens depuis vingt ans, elle dit regretter l’époque où les employés des services étaient plus accessibles. «C’est de plus en plus difficile, car on a nous-mêmes des rapports et des dossiers à remplir. Il faudrait revaloriser le temps non-chiffrable, les discussions, le temps qu’on pourrait prendre pour comprendre et d’accompagner les projets». Un temps qui permettrait, de l’avis de l’assemblée, d’éviter du temps gâché par des malentendus ou autre manques de transparence.
«On a l’impression que les règles sont tacites», déplore Tamara Fischer, dramaturge aux Scènes du Grütli (rencontre de mars). À son propos fait écho celui d’un auditeur (rencontre de mai) qui pointe notamment la frilosité des organismes de soutien à faire un retour sur les demandes soumises, ce qui permettrait pourtant une meilleure compréhension et un potentiel d’amélioration. Parmi les autres dysfonctionnements relevés, le fait de ne jamais accorder la totalité du montant demandé côté organismes de soutien et, côté demandeur, de systématiquement gonfler les budgets. D’autres éléments mentionnés pourraient ressembler à des détails, comme la clause de la Loterie Romande qui interdit à une même structure de faire plusieurs demandes par année,… mais qui pousse ainsi les artistes à créer des associations à la pelle, se rajoutant des charges administratives. « On poursuit tous le même but, c’est absurde qu’il y ait tant de ‘secrets’ », laisse entendre Julie Marmet.
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Ces discussions sans détour font partie du but que poursuit l’ORC par ses études et son organisation de rencontres. On ressort avec une forte impression que plus les auditeur∙ice∙s y seront nombreux∙ses et représentatifs∙ves des différentes dimensions du tissu culturel, plus ils auront la capacité de s’entendre, se comprendre et faire bouger les lignes.
Pour rappel :
L’ORC met à disposition les ressources suivantes :
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État des lieux de la gouvernance de la politique culturelle des sept cantons romands
- Autres ressources utiles, comme un guide des bonnes pratiques en médiation culturelle, un inventaire des pass culture et autres rabais, ou encore un guide pour l’évaluation de la viabilité des projets culturels