l’odyssée (en minuscule) revisitée
En octobre 2022, L’Agenda découvrait la première de Odyssée, dernier chant au Théâtre 2.21, dans une mise en scène de Cédric Dorier d’après la pseudo-tragédie de Jean-Pierre Siméon, qui se réapproprie les codes du célèbre mythe avec poésie et humour. La pièce est reprise actuellement au Théâtre Alchimic.
Texte et propos recueillis par Jeanne Moeschler
Le spectacle commence de manière incisive (quelques âmes sensibles dans le public sursautent) et nous voilà plongé∙e∙s dans les Enfers. L’Odyssée commence… une odyssée? Les navires, les batailles sanglantes et les amourettes d’Ulysse à tout va ne sont plus qu’un souvenir: c’est un jeune homme affaibli qui se tortille comme un ver au bout d’une corde que nous voyons sur scène. Larmoyant, déchiré entre la vie et la mort – car l’intrépide a bu de l’eau mortelle de l’Achéron – Ulysse n’attend que de questionner Tirésias sur son avenir politique et amoureux. Il devra prendre sa curiosité en patience… c’est Euméos, douanier des âmes, et une jeune femme – une Ombre étrange et envoûtante – qui s’occupent, pour l’instant, du Héros tourmenté. Alors que le premier part à la recherche du devin, un jeu de séduction et de désillusion commence entre la femme et Ulysse, encore vivant, torse nu, dévoilant ses attraits tel le héros que l’on imagine, quelque part entre la mort et la vie, la tendresse et la moquerie. Mais qu’est-ce qui séduit le jeune homme? Le prestige et les victoires dont il se languit à grands cris, regardé de haut par l’Ombre qui se trouve au-dessus de lui (autant physiquement que par ses dires). Détachée de l’existence des vivants, elle rit de l’orgueil et de l’égocentrisme de notre héros qui feint de se remettre en question au moment où il goûte la saveur de la mort sur sa langue.
Sur plusieurs niveaux visuels, Ulysse semble parfois se rapprocher du monde des vivants avant de glisser douloureusement en-dessous, au bas des Enfers, à l’inverse de l’Ombre qui se déplace dans l’espace avec la légèreté et la malice d’un souffle d’air. C’est également avec un sourire narquois que le public assiste à l’effroi d’Ulysse lorsqu’il entend les prédictions du devin, qui nous fait glousser par sa tenue cocasse et ses mimiques comiques. L’eau mortelle du fleuve renverse les ordres et Ulysse plonge chez les morts (dans un décor aux airs de bassin de piscine): aux eaux victorieuses que le Héros traversait et aux libations dont il s’abreuvait, s’oppose le « murmure des fontaines », subtile et doux que les Grands ne prennent même plus la peine d’écouter. C’est ce chuchotement simple qui devrait accompagner l’existence à laquelle Ulysse tient tellement qu’il est prêt à en regoûter la saveur terrible de la vie que va lui imposer Hadès pour le reste de ses jours.
À la fin de la pièce, le public conquis applaudit chaleureusement le metteur en scène et les comédien·ne·s (Denis Lavalou, Clémence Mermet et Raphaël Vachoux) jusqu’à en avoir les mains rouges et endolories. Dans le foyer du 2.21, nous félicitions Cédric Dorier pour son travail de mise en scène et celui-ci nous confie « avoir été très content de voir la pièce se créer dans ce lieu, car l’idée était de créer des Enfers avec de la profondeur dans un espace petit ». Au niveau des costumes, il a été décidé (après différents essayages de marcels) de présenter Ulysse « torse nu, comme les héros et les statues grecques » et les deux autres personnages « dans des couleurs cuivrées des Ombres des Enfers, où le jeu de lumières – reflets brillants et vivants – laisse planer le doute ». Ulysse, encore vivant, semble en effet plus vulnérable que les Ombres intangibles.
Cette odyssée en minuscule nous invite à remettre en question l’égocentrisme contemporain de l’homme et sa recherche de la grandeur qui ne trouve que la haine au bout. L’insatisfaction perpétuelle de la réalité résonne comme des vagues assourdissantes au lieu de couler avec le murmure des fontaines. Un voyage, introspectif mais de dimension atemporelle et universelle.
Odyssée, dernier chant
Cie Les Célébrants
Du 10 au 19 octobre 2024
Théâtre Alchimic, Carouge
www.alchimic.ch
Création du 25 octobre au 13 novembre 2022 au Théâtre 2.21, Lausanne