La Galerie Grande Fontaine à Sion accueille Almanach, une exposition de Nobuko Murakami, artiste pluridisciplinaire d’origine japonaise, basée à Paris. À travers ses œuvres en papier, Murakami explore son héritage culturel tout en tissant des liens avec d’autres traditions et cultures, établissant un pont entre les diverses expressions de l’humanité. Chaque pliage de papier s’ouvre comme une fenêtre sur les multiples facettes de l’être humain : celles que nous choisissons de révéler et celles que nous gardons cachées.
Texte et propos recueillis par Emilie Thomas
Racines culturelles et inspirations spirituelles
L’attrait de l’artiste pour le papier s’enracine profondément dans son héritage culturel. Lors de notre rencontre, Nobuko explique qu’ayant grandi dans une maison traditionnelle japonaise aux bois noircis par le temps, elle avait été immergée dès son plus jeune âge dans les rituels shintoïstes. Elle a décrit comment ses parents célébraient le nouvel an shintoïste en disposant dans toute la maison de petits papiers blancs pliés, remplis de grains de riz, de sel ou d’eau, en offrande aux esprits de passage.
Cette enfance dans un environnement empreint de spiritualité a profondément influencé sa perception du papier, non seulement comme support artistique mais aussi comme medium vivant entre le visible et l’invisible, le matériel et le spirituel. En pliant le papier, l’artiste explore l’idée que chaque pli dissimule une facette, une partie cachée de la vie, à l’image des aspects de nous-mêmes que nous ne dévoilons pas toujours.
Mask Passport : des identités poétiques
La série Mask Passport s’inspire d’un petit masque africain en bois, une découverte qui a poussé l’artiste à approfondir sa compréhension de leur signification et leur utilisation. Des recherches sur le sujet ont révélé que ces masques étaient utilisés comme de véritables pièces d’identité dans diverses régions d’Afrique, notamment au Gabon. Ils permettaient aux individus de se déplacer librement en divulguant leur origine, leur statut social et leur profession, grâce à des formes et des couleurs spécifiques. De petite taille, ils étaient facilement dissimulables, pouvant être cachés dans une poche ou portés autour du cou.
L’artiste, en revisitant ces masques de manière poétique et onirique, les métamorphose en passerelles vers un univers imaginaire. Ces symboles de liberté ouvrent la voie à des explorations intérieures et à des voyages invisibles.
Mask Green Man : un gardien mythique
L’installation Mask Green Man puise son inspiration dans la mythologie européenne, incarnant l’esprit ancestral des forêts à travers le personnage de l’Homme Vert. Traditionnellement considéré comme le protecteur de la forêt, ce gardien mythique veille sur la flore, la faune et les mystères de la nature. L’idée de cet être lui est venue lorsqu’elle a commencé à manipuler des feuilles en papier dont les motifs évoquaient des branches et des feuilles. Pour apporter une dimension supplémentaire à cette œuvre, des pliages de papier noir ont été intégrés, symbolisant pour l’artiste la matière noire, une substance mystérieuse et omniprésente dans l’univers. L’installation explore la dualité entre ce qui est visible et ce qui demeure invisible, mettant en lumière les mystères inexplorés de notre monde.
Le carnaval : une renaissance
Certains masques de l’exposition font écho aux traditions du carnaval, perçu comme une célébration du renouveau et de la renaissance de la nature. Inspiré en particulier par le carnaval de Mamoiada, en Sardaigne, l’artiste explore dans ces œuvres la thématique de la mort et de la renaissance naturelle, à l’image des masques portés lors de cette procession et qui illustrent les liens ancestraux entre les humains, la nature et les animaux.
Arbre de Vie : une connexion cellulaire
La série Arbre de Vie est née d’une exploration du microchimérisme menée lors d’une précédente exposition. Ce phénomène, caractérisé par la présence en faible quantité de cellules ou d’ADN d’autres individus chez une personne, survient souvent entre la mère et l’enfant durant la grossesse. Ces cellules, possédant un ADN distinct, sont étudiées pour leur rôle potentiel dans certaines maladies et processus de guérison.
L’artiste s’est inspirée de ces découvertes pour revisiter la notion de l’arbre de vie, en relation avec la cellule génétique et l’ADN, la considérant comme des éléments de mémoire. Elle a transformé cette idée en ce qu’elle appelle des « cellules poétiques », intégrant la dimension biologique dans une expression artistique.
Pronoia : un journal intime universel
L’installation Pronoia est une création débutée le 28 janvier 2023 par l’artiste, et qui se déploie comme un journal intime visuel où chaque jour est marqué par une création nouvelle, capturant ses émotions du moment, ses expériences quotidiennes, les lieux visités ou des événements d’actualité. Par exemple, un des pliages a été réalisé avec une feuille brûlée trouvée le jour où des manifestations ont enflammé Paris suite à la réforme des retraites. Un autre pliage capture un moment plus personnel : la première fraise de l’année dégustée par l’artiste.
Ce projet incarne la philosophie de la pronoïa, qui propose une vision du monde radicalement différente et qui est l’antithèse de la paranoïa. Tandis que la paranoïa peut nous faire sentir que tout conspire contre nous, la pronoïa suggère que l’univers, au contraire, pourrait bien œuvrer en notre faveur.
Dans son processus créatif, Nobuko Murakami explore nos origines culturelles et nos patrimoines spirituels, souvent invisibles, intégrant cette immatérialité dans son œuvre. Ces pliages symbolisent les aspects cachés de la vie, abritant des souvenirs et des secrets non exprimés, donnant une dimension organique et vivante à son art.
Almanach
Du 15 novembre au 28 décembre 2024
Galerie Grande Fontaine, Sion
www.grandefontaine.com