Ramon Llull et son héritage – D’un ordinateur en papier aux codes et algorithmes actuels

Jusqu’au 10 mars prochain, l’exposition d’ArtLab à l’EPFL propose de découvrir Ramon Llull, philosophe, logicien et théologien catalan dont les travaux ont une influence universelle non seulement dans le domaine technologique mais également dans le domaine de l’art, de la littérature, de la musique ou encore de la conception des religions. « Thinking Machines. Ramon Llull and the ars combinatoria » présente l’une des premières machines d’acquisition de connaissances et tente de laisser entrevoir sa complexité, tout en explicitant les liens de ce système de pensée avec les créations qui en ont découlé, jusqu’à aujourd’hui.

Texte: Katia Meylan

Thinking Machines. Ramon Llull and the ars combinatoria, EPFL ArtLab, 03.11.2018 – 10.03.2019. Exhibition view. Left: Ralf Baecker, Rechnender Raum / Computing Space, 2007. Right: Philipp Goldbach, From the series Read Only Memory, 2016 © EPFL ArtLab Photo © Alain Herzog

L’exposition a été créée pour la première fois au Centre de Cultura Contemporània de Barcelone, organisée par le Professeur Amador Vega, spécialiste de Llull, en collaboration avec la ZKM|Center for Art and Media et l’EPFL. Dans son accrochage à Karlruhe, elle s’est enrichie de nombreuses œuvres rassemblées par les Professeurs et co-organisateurs Peter Weibel et Siegfried Zielinski. Pour l’accueillir à l’ArtLab, la directrice du lieu Sarah Kenderdine a choisi de se concentrer principalement sur la pensée computationnelle et les réalisations, du 13e siècle jusqu’aux artistes contemporain∙e∙s, dans lesquelles ce concept est présent.

En effet, l’ensemble de la pensée de Ramon Llull, ancrée au Moyen-Âge, influence encore aujourd’hui philosophes, programmateur·trice·s et artistes.

Voir crédits au bas de l’article (1)

Le point de départ de l’exposition est son l’Ars Combinatoria, machine de papier complexe qui, en agençant différemment des concepts codés, et en laissant une part à l’aléatoire, crée du sens, formule des questions, ouvre sur des discussions.

Pour nous faire entrer dans l’époque du créateur catalan, on commence par nous présenter des manuscrits de Ramon Llull, de « pseudo-Ramon Llull » (auteurs non-identifiés s’inspirant des écrits du premier), ou encore des manuscrit dans un style proche, qui suivent le même courant de pensée. Certains de ces documents rares ont pu être trouvés directement dans la bibliothèque de l’EPFL.

Si but de Llull était d’arriver aux vérités théologiques et philosophiques qui mèneraient à la paix des religions, d’autres après lui ont bénéficié de son influence, parfois explicitement parfois indirectement, que ce soit à des fins pratiques ou artistiques. Parmi les esprits « pratiques », Gottfried W. Leibniz, qui invente au 17e siècle sa magnifique machine à calculer, jalon de l’histoire du calcul mécanique.
Pour le côté artistique, un exemple d’une interprétation concrète de l’usage combinatoire et aléatoire est une œuvre bien connue: « Cent mille milliards de poèmes » de Raymond Queneau, dont le découpage permet au lecteur de constituer son propre poème.
Une partie des œuvres présentes dans l’exposition impressionnent par leur mouvement autosuffisant, notamment la grande pièce en bois et en ficelle motorisée de Ralf Baecker, ou encore le tableau « Moving objects » de Pe Lang.

Nouvelle interprétation de l’Ars Generalis Ultima, 2018, Philipp Tögel * 1982, Nuremberg, DE

La « Nouvelle interprétation de l’Ars Generalis Ultima » créée en 2018 par l’artiste allemand Philipp Tögel retient notre attention. Elle propose une version « simplifiée » de la machine de Llull, et permet aux visiteur·teuse·s de créer des agencements de lettres qui représentent différents objets, concepts et questions. Ainsi, pour chaque combinaison possible apparaît une question avec sa piste de réflexion.

 

 

 

Une autre œuvre interactive intrigue: celle de Bernd Lintermann intitulée « YOU: R: CODE ». Ce titre peut être interprété par you are a code (tu es un code), renvoyant à l’ADN de chacun∙e, ou your code, (ton code), présentant effectivement à chacun∙e une interprétation de son propre code. Constituée d’une suite de « miroirs » devant lesquelles on se place, l’œuvre commence par nous présenter notre simple reflet, puis nous transpose dans une virtualité, avant de nous passer au scanner pour afficher une estimation de notre taille, de notre âge et de certains signes distinctifs (couleur des yeux et des cheveux, barbe, lunettes)… jusqu’à nous représenter entièrement sous forme de code industriel.

Photo © Alain Herzog. Voir crédit au bas de l’article (2)

Chaque œuvre de l’exposition présente une dimension spécifique de la pensée de Llull, et prête à développer des réflexions dans divers domaines… on ne peut que vous conseiller de la visiter et d’y faire votre propre voyage!

Thinking Machines. Ramon Llull and the ars combinatorial
À voir jusqu’au 10 mars à ArtLab, sur le campus de l’EPFL

Entrée libre:
Mardi à dimanche de 11h à 18h
Jeudi de 11h à 20h
Lundi fermé

Visite guidée samedi 2 mars à 11h15, entrée libre sans inscription

www.thinkingmachines.world

 

(1) Ramon Llull, Ars compendiosa inueniendi ueritatem  France (or Espagne ?), XIVe siècle, Reproduction de manuscrit. Cologny Fondation Bodmer et de e-codices : Bibliothèque virtuelle des manuscrits en Suisse, MS Bodmer 109. Avec l’aimable autorisation de la Fondation Bodmer et de e-codices : Bibliothèque virtuelle des manuscrits en Suisse

(2) Crédits photo: Bernd Lintermann, YOU:R:CODE, 2017, Interactive Installation, Idea: Peter Weibel. Concept, Realization: Bernd Lintermann. Audio design: Ludger Brümmer, Yannick Hofmann. Installation originally conceived for the exhibition Open Codes at the ZKM | Center for Art and Media Karlsruhe. Thinking Machines. Ramon Llull and the ars combinatoria, EPFL ArtLab, 03.11.2018 – 10.03.2019 © EPFL ArtLab

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