Le Collectif moitié moitié moitié, dans sa pièce La Grosse déprime, s’attaque à un sujet d’angoisse pour nombre d’entre nous : la dette publique. Pendant une heure trente, les quatre comédien∙ne∙s rient de leurs peurs en chantant les coupes budgétaires dans la santé et la culture sur du répertoire barbershop, dans une narration éclatée entre publique et intime. Conclusion : « La finance, c’est pas si chiant ».
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Personnellement, la dette publique, je n’y connais pas grand-chose, ça me fait un peu peur, et d’ailleurs, je me dis que même dans ce spectacle humoristique qui a pour but de vulgariser le sujet, il y a probablement des références que je n’ai pas saisies. Quelques jours après avoir vu la pièce au Casino Théâtre de Rolle, en rencontrant Matteo Prandi et Adrien Mani, deux des quatre membres du Collectif moitié moitié moitié, je leur demande : Est-ce qu’au départ, en choisissant de faire une pièce sur le thème des finances, vous aussi, vous avez été intimidé∙e∙s ? « Oui, et c’est précisément pour ça qu’on voulait faire ce spectacle », répond Matteo Prandi.
Après avoir abordé la montagne et le monde de l’entreprise dans ses deux premières pièces, le collectif formé de quatre comédien∙ne∙s diplômé∙e∙s de La Manufacture (Cécile Goussard, Adrien Mani, Matteo Prandi et Marie Ripoll) prend le prétexte de son art pour se plonger dans la finance. Et c’est précisément ça aussi que raconte le spectacle : comment des gens normaux, en se renseignant, se débrouillent avec une matière dont on est parfois tenu∙e à l’écart par des discours technocratiques.
Les guides
Parmi les chaînes YouTube de vulgarisation, les ouvrages techniques, sociologiques ou littéraires potassés, le collectif choisit ses inspirations. « Le ministère des contes publiques de Sandra Lucbert, qui s’intéresse à ces questionnements du point de vue de la littérature, nous a conduit dans cette création », raconte Adrien Mani. « D’autres lectures nous ont influencé en termes de dramaturgie, par exemple Grandeur et Décadence de Liv Strömquist. Dans sa posture d’autrice de BD qui enquête sur des questions économiques, on a trouvé des correspondances avec ce qu’on avait envie de faire: une narration éclatée, qui glisse d’une situation à l’autre, d’un personnage à l’autre ». Et parmi ces personnages, le public croise souvent, ici ou là, les interprètes eux-mêmes.
Chœur ouvert
On témoigne notamment de leur penchant pour le chant, déjà adopté dans les créations précédentes. Si les deux premières empruntaient des morceaux existant, cette fois, les artistes se sont adressé∙e∙s au compositeur Lucien Rouiller et au chef de chœur François Renou, afin d’aborder un répertoire barbershop amusant et exigeant. « Chanter nous met dans une posture de fragilité, d’honnêteté constante avec le public : on peut pas tricher sur le fait que c’est pas notre métier de base », nous surprend Matteo. Rien ne nous l’aurait laissé deviner, et bien que l’on sente, en tant que spectatrice, un petit danger permanent qui guette le quatuor dans les harmonies serrées a cappella, l’écoute est très plaisante. Adrien confirme : « Moi, à chaque fois avant de commencer, je me dis « mais pourquoi est-ce qu’on chante dans ces spectacles ? Ça me stresse tellement ! Et en même temps, il y a un truc inexplicable qui se passe dans le fait de chanter à quatre, ça parle très fort de collaboration. Il faut s’écouter, se soutenir. C’est une mini-loupe sur notre manière collective de travailler. Et puis, c’est une manière de nous garder en jeu, ne jamais être supérieur à la pièce ».
La Grosse déprime. Photos: ©Aurelia Thys
Un souhait d’honnêteté maximale, d’humilité, comme si les quatre artistes prenaient une sorte de malin plaisir au risque de pouvoir rater leur coup, tant dans le chant que dans leur travail d’artiste. Ils s’amusent d’une mauvaise réception imaginaire dans la presse, de leur situation à la fois précaire de comédien∙ne∙s, à la fois privilégiée de troupe soutenue par le système qu’elle remet en cause. « On ne peut pas – et on ne veut pas – s’extraire de la critique. On se prend comme partie du problème ».
L’effet escompté
Et quelle a été la tendance de ces réflexions politiques et économiques sur leur moral ? « En tout cas, ça n’a pas agravé notre déprime », sourit Adrien. « Cécile [Goussard] parle souvent du fait que oui, on est désespéré∙e∙s, mais dans le désespoir il y a de l’énergie ». Une énergie à la fois railleuse et joyeuse, mise au service de plusieurs francs moments de rigolade pour le public. « On espère que la pièce soit une sorte de gros shaker émotionnel. Pendant 1h30, on a une catharsis au sens premier du terme. On se moque, on rit de notre désespoir, et si à la fin, ça encourage certaines personnes à trouver légitime de s’intéresser à la vie publique comme ça nous a encouragé∙e∙s nous, ce sera gagné. »
La Grosse déprime
Par le Collectif moitié moitié moitié
Création au Casino Théâtre de Rolle du 26 février au 2 mars 2025
Tournée:
- Du 12 au 16 mars 2025
Théâtre Oriental-Vevey
- Du 20 au 22 mars 2025
Le Spot, Sion
- Du 27 au 31 mars 2025
Les Clochards célestes, Lyon (France)
- Du 16 au 30 mai 2025
Théâtre du Grütli, Genève
- Du 16 au 21 septembre 2025
Théâtre 2.21, Lausanne
- Du 26 au 27 septembre 2025
ABC, La Chaux-de-Fonds
- Le 3 octobre 2025
L’Échandole, Yverdon-les-Bains
Site web du collectif : moitiemoitiemoitie.ch