Invisible: Fauteurs de micro-troubles à Plainpalais et à la Ferblanterie

Un sentiment de puissance – de beauté. Une gêne – une excitation – une réflexion…
Pêle-mêle selon les personnalités, les impressions ressortent alors qu’assis
 autour d’une table à La Comédie de Genève, on débriefe Invisible.

Texte: Katia Meylan

Invisible, ce n’est pas un spectacle mais une performance participative imaginée par Yan Duyvendak, co-écrite par 32 auteur·trice·s et testée dans différents contextes sociaux et culturels. Y ont participé La Manufacture, l’Arsenic et La Comédie de Genève où elle est encore au programme jusqu’en mars 2020, mais aussi des théâtres et fondations en Hollande, en Inde et en Serbie.

En m’y inscrivant, je m’attendais à devoir sortir de ma zone de confort. Heureusement, j’ai avec moi un allié.
« Hors les murs », indique le billet, et je ne spoilerai rien si je dis que le but de ce jeu est d’effectuer, par groupe de 7 à 12 et en feignant de ne pas se connaître, trois micro-actions en 2h pour troubler imperceptiblement l’espace public. Ces Actions ne constituant pas la surprise en elle-même mais plutôt son déclencheur potentiel, nous découvrons nos missions dès notre arrivée à La Comédie, en même temps que nous rencontrons nos complices d’un soir – également venu·e·s par paires. Valérie, Corentin, Rébecca, Gaëlle, Valentin et moi-même recevons donc trois Actions à effectuer, modes d’emploi à l’appui.

Action #8, S’aligner: Arriver de manière successive dans une rue commerçante. S’arrêter sur une même ligne qu’une personne qui attend. Jouer avec la durée, la visibilité et la mobilité de la ligne. […]
Action #6, L’amour à deux? S’installer par couples dans un bar. Commander à boire. Rester ensemble sans échanger la moindre parole. Communiquer normalement avec les serveur
·euse·s.
Action #3, Monte le son: [Toujours par couples ] choisir un sujet de conversation. Faire monter puis descendre le volume des conversations en synchronie avec les autres couples, via Whatsapp. Chercher à contaminer les usager
·ère·s du lieu […].

D’apparence simple, le concept n’est banal ni dans la vie de tous les jours ni au théâtre. Il ne fonctionne en réalité qu’en équilibre entre ces deux univers. Si l’action est identifiée comme artistique par les passant·e·s, l’effet serait neutralisé, nous prévient Laura Spozio, une des créatrices du jeu, car notre acceptation de l’étrange est plus souple en connaissance de cause.

Plus ou moins confiant, déjà hilare ou curieux, notre petit groupe de six sort alors dans la rue pour aborder Plainpalais et sa première mission. Avoir des consignes me rassure, mais voulant bien faire – ou disons-le, ayant carrément peur de mal faire –, je m’inquiète sans cesse du fait que notre ligne n’est pas bien droite, que personne ne nous remarque… La fête foraine brouille les pistes, on semble passer inaperçu, mais la situation est surréaliste et une étrange excitation empêche l’ennui, ne serait-ce qu’une seconde. On offre une magnifique ligne à une jeune homme, mais tout occupé qu’il est sur son portable, il ne la remarque pas.

Une demi-heure plus tard, lorsque l’on entre successivement à la Ferblanterie pour attaquer l’Amour à deux, la situation redevient pour moi presque confortable. Nous restons dans nos binômes rassurants et ne jouons pas beaucoup la comédie. Lors du débriefing, on regrette presque de ne pas s’être imposé ce challenge supplémentaire. Chaque groupe choisit sa manière de communiquer, les unes par Whatsapp interposés, les autres au crayon gris sur des vieux tickets de caisse, Valentin et moi préférons les gestes et les regards. Là aussi, passe-t-on inaperçu? Ce sont surtout les paires qui s’observent entre elles.

Cela pour mieux prendre de l’élan pour notre troisième mission. Monte le son se profile et on s’accorde sur Whatsapp. J’appréhende. Se mettre à hurler dans le bar, ne va-t-on pas déranger? Et va-t-on nous juger sur le contenu de nos conversations? On rit beaucoup, mais je doute de l’effet sur notre environnement, qui semble une fois encore imperméable à tout trouble.

Je sors du bar avec la forte impression que « ça n’a pas marché » et la tête pleine de réflexion au sujet de ma personnalité et de celle des autres. De retour à La Comédie en présence de deux organisatrices pour le débriefing, pourtant, les discussions avec le groupe renversent aussitôt mon ressenti.

Corentin a remarqué pendant la première mission des spectatrices que je n’avais pas vues, cela me rassure et me réjouit. Mais au-delà de notre réel effet sur les autres, c’est bien les différents comportements, les difficultés, les sensations engendrées, partagées ou non et les discussions qui me marquent dans cette expérience, encore plus que le fait d’être sortie de ma zone de confort et d’avoir osé brailler des bêtises avec un accent vaudois qui se transforme tout à coup en accent portugais.

Valérie avait déjà participé, et avait donc réalisé trois des six autres actions qui se jouent quant à elles le samedi après-midi, dont certaines demandent des interactions directes avec des inconnu·e·s. Son expérience contribue à alimenter le sujet, qui s’étend.

Invisible. Est-on l’espace d’un instant spectateur·trice du « normal »? Doit-on jouer un rôle pour troubler cette normalité? Ou au contraire, ces actions nous poussent-elles simplement, en restant nous-même, à dépasser nos limites dans un espace public qui nous voit habituellement restreint·e·s à un comportement neutre et inattentif·ve·s aux autres?

Conseils aux futur·e·s invisibles:

– S’habiller chaudement (environ 30 minutes statiques en extérieur pour les Actions du mercredi soir)
– Prévoir minimum 3h pour tout le déroulement
– Pas de Whatsapp? Pas de soucis, quelques appareils sont à disposition

Invisible
Samedi 21 décembre 2019
Les 15, 18, 22, 25 et 29 janvier 2020
Les 1, 5, 8, 19, 22, 26 et 29 février 2020
Les 4, 7, 11, 14, 18, 21 et 25 mars 2020
(les mercredis à 19h, les samedis à 14h30)
La Comédie de Genève
www.comedie.ch

Pour des dates futures et découvrir le travail de Yan Duyvendak:
www.duyvendak.com

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