Elizabeth Sombart

Elizabeth Sombart – Jamais garder ses secrets

Par un jour ensoleillé de fin septembre, je chemine depuis la gare de Morges Saint-Jean jusqu’à la Fondation Résonnance. J’entre dans ce lieu que je ne connais pas comme dans une autre matière ; une odeur d’encens, des tons pastel et quelque chose que je ne saisis pas vraiment. La pianiste Elizabeth Sombart m’accueille, nous nous asseyons à une grande table, entre la cuisine ouverte et le piano.

Texte et propos recueillis par Katia Meylan

Je sais qu’en mars 2025, Elizabeth Sombart a sorti un album sur lequel elle a enregistré, avec le Royal Philharmonic Orchestra de Londres, les Concertos de Mozart n° 9 & 12. Il suit l’album des Concertos N°20, 21, 23 et 27, sorti il y a deux ans (lire l’article à ce sujet dans L’Agenda), et précède un troisième, à paraitre l’année prochaine, qui clôturera l’enregistrement de ses huit concertos préférés.

Je sais aussi que dimanche 9 novembre à 17h, la pianiste sera au Casino de Montbenon à Lausanne pour le Concert de soutien de la Fondation Résonnance, accompagnée de sept artistes, actuel∙le∙s ou ancien∙ne∙s élèves, désormais professeurs des différentes filiales de la fondation à l’international, qui œuvrent elles aussi à amener la musique aux personnes qui y ont difficilement accès.

Je lui demande d’abord si le fait d’enregistrer ses concertos préférés de Mozart a transformé son lien aux œuvres. Mais j’ai plaisir à aller là où on m’emmène ; l’expérience de vie d’Elizabeth Sombart, son approche de la musique, sa manière de répondre me détourne de mes questions, alors j’accueille ce moment de philosophie imprévue dispensée tantôt avec sérieux, humour, fermeté et gentillesse par une artiste qui n’a « jamais pu garder ses secrets pour elle », selon ses propres mots.

 « Quand on enregistre un disque, il y a toujours un moment de joie de l’avoir fait, et de tristesse d’avoir figé la musique. On doit faire le deuil de la trahison que ça représente par rapport à notre relation à l’œuvre, qui elle évolue. Je dis toujours que les disques, on devrait les écouter comme des pots de yaourt, avec une date de péremption ! Car la musique est un art spatio-temporel avant toute autre chose. Mais… souvent je me dis que j’aurais vraiment voulu écouter quelques minutes de Chopin jouant sa musique. Si jamais il y a un au-delà et qu’il est comme je crois, je demanderai à Chopin de me jouer quelque chose ».

« En tant qu’élèves de Sergiu Celibidache, qui était contre les disques, on était quand même bien contents qu’il ait accepté que ses concerts soient enregistrés. On lui disait, Maître, pour transmettre le savoir, il faut le savoir.
Son enseignement consiste à entendre, comprendre et décrire la logique sensible des phénomènes sonores et comment les mettre en relation pour créer l’unité. La pédagogie Résonnance, c’est la phénoménologie de la musique écrite noir sur blanc. 500 pages de pédagogie technique et scientifique
. Ma professeur à Vienne, Hilde Langer-Rühl, qui travaillait sur la phénoménologie du geste, disait : « on ne joue pas du piano avec les doigts mais avec le diaphragme. J’ai des élèves – et je parle aussi de moi quand j’étais jeune – qui ne savaient pas qu’on avait un diaphragme, qui ne savaient pas ce que c’était de respirer. Le geste doit être une conséquence d’un souffle intérieur maîtrisé, doit être débarrassé de la peur. Souvent, dans le geste, il y a le signe de ce qui en nous n’est pas fluide, ce qui résiste, ce qui veut encore maitriser. Quand on veut tout maitriser, il y a peu de place pour la musique. C’est technique – et c’est parfois très bien, pourquoi pas – mais ça reste dans la séduction.

La clé est de comprendre que tout dépend de nous, tout en sachant que ça ne dépend pas de nous. Je pense à cette élève libanaise qui, lorsqu’elle devait jouer un trait en escalier, malgré sa très bonne technique, était face à un blocage total. Jusqu’au moment où elle a compris que pour elle, ça représentait symboliquement le fait que pendant 17 ans de guerre au Liban, elle avait dû descendre les escaliers à toute vitesse pour aller se cacher dans la cave. J’ai beaucoup d’exemples comme celui-là. La musique entre en résonance avec notre vécu. L’apprentissage du piano et ce qu’il nous enseigne sur nous-même – peu importe qu’on devienne un pianiste ou pas – est un immense cadeau. Il permet de rencontrer ses peurs, de les reconnaitre et de les transformer.

Je me souviens que moi-même, il y a longtemps, j’avais joué à Sergiu Celibidache le Nocturne opus 27 n°2 de Chopin. En haut du premier thème, je faisais un petit effet de pianissimo, je pensais que j’avais un truc, que c’était ma sensibilité propre. Il m’a arrêtée et m’a dit : ‘’Le phrasé de ce thème va jusqu’au point culminant, et revient. Si tu vas contre la tendance musicale naturelle, tu ne fais qu’un commentaire névrotique sur toi-même’’. Au début, je me suis obligée à aller vers ce point culminant, et je comprenais que ça travaillait en moi. La relation des sons avec notre monde affectif est extrêmement directe. Chaque phrasé ‘’juste’’ soigne quelque chose en soi. Je me suis rendue compte qu’au final, la musique est toujours plus belle que soi. »

« La vie d’une pianiste, en tout cas la mienne, c’est la transmission. Quand j’étais petite, j’avais découvert que le majeur était gai et que le mineur rendait triste. Ça m’avait tellement émerveillée que j’allais dans la rue le dire aux gens ! Plus tard on me disait, ‘Ne dis pas tout à tout le monde, tu donnes tous tes secrets !’ Mais il fallait que je partage. Je n’ai jamais pu garder quelque chose pour moi. De toute façon, pour se prévenir de quoi ? On ne peut pas maitriser ce que les gens projettent sur nous. »

Alors que j’allais prendre congé et la laisser retourner à ses élèves, Elizabeth Sombart m’offre une corne de gazelle diaphane achetée à un ami au marché. Comme on offre autre chose, une attention bienveillante d’une petite heure de rencontre, à Morges Saint-Jean.

***

Pour écouter Elizabeth Sombart bientôt :

Concert de soutien de la Fondation Résonnance – Florilège
Dimanche 9 novembre 2025 à 17h
Salle Paderewski, Casino de Montbenon, Lausanne
www.resonnance.org/ch/events/concert-annuel-de-soutien

2 réflexions sur “Elizabeth Sombart – Jamais garder ses secrets”

  1. Ben oui. Je suis dans un autre registre, le sax, ayant passé du soprano par admiration pour Bechet, au ténor sur conseil de mon prof, puis à l’alto plus accepté dans la société. Du jazz à des mélodies qui me plaisent, simplement, parce qu’elles sont tellement expressives ….Mon légionnaire de Piaf, Paroles de Dalida, et bien d’autres, auxquelles je trouve du charme et si difficiles pour participer à la conversation … alors que je me régalais de Puccini quand j’avais 10 ans ! et des premiers enregistrements de la Callas !
    Le souffle, autrement

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