Deux « i » débarquent dans la vie l’un de l’autre et découvrent que leurs formes, non seulement s’emboitent plutôt bien, mais leur permettent aussi de créer des ponts et d’écrire des univers. Dans une douce intimité, les consonnes de leurs histoires se dissolvent, et leur voix s’élève, aérienne, pour observer d’un peu plus haut la société dans ce qu’elle a d’absurde et de beau.
Textes et propos recueillis par Katia Meylan
Autour d’un café, L’Agenda a rencontré Kim et Damien du duo pop Demain Lundi, qui a sorti il y a quelques semaines son tout premier EP, intitulé quelques. On y trouve des inspirations de la nouvelle vague francophone – Eddy de Pretto, Angèle, Rouquine – mais aussi Christine & the Queens ou encore Billie Eilish.
En couple dans la vie, les deux artistes ont dédié leurs dimanches depuis deux ans à composer et produire des chansons. Leurs cinq titres revendiquent un regard aussi sensible sur les individualités que sévère sur le patriarcat, les discriminations et le capitalisme. Leur rencontre, les relations familiales, la masculinité, les insomnies, ou encore l’obligation de filer droit sur les rails de la productivité font partie des sujets qu’ils abordent. « Ce sont les thématiques récurrentes qui nous animent dans nos discussions, parfois nos prises de tête », sourit Kim.
Kim
Kim, c’est celui qui baigne dans la musique depuis tout petit. Il envisage d’abord une carrière de pianiste professionnel mais, à l’adolescence, au moment où il allait entrer au conservatoire, un bras cassé lui permet d’assumer une autre envie latente. « J’ai dit à ma mère que je voulais prendre des cours de chant. En réalité, je préférais chanter que jouer du piano. Je chantais dans les toilettes pour que personne ne m’entende, avec toute la honte que ça pouvait représenter pour moi. À l’école, j’avais tout le package de l’adolescent timide et complexé : j’étais trop grand, j’étais gay, j’avais un prénom de fille… « rien n’allait », selon les codes, donc je n’osais pas assumer une différence de plus. Qui n’était d’ailleurs même pas une différence, car il y avait sûrement plein de petits garçons qui aimaient chanter, mais ces voix s’éteignaient avec la pression sociale. Donc oui, le grand moment qui a dicté toute la suite, c’est celui où j’ai décidé d’assumer de chanter ». Plus tard, il y a son entrée au conservatoire, sa rencontre avec la Compagnie Broadway qui l’introduit au monde de la comédie musicale, et il devient chanteur à la scène, en parallèle de son métier de graphiste.
Damien
Damien, c’est celui qui est entré là par la porte des mots. Auteur de deux livres publiés aux éditions 5 Sens à Genève, il a, dès son adolescence, un « besoin d’absorption totale », que ce soit de poésie ou de musique. « Il fallait que j’enregistre tout, que je classe tout. Quand j’ai découvert le rock des années 70, par exemple, j’ai cherché TOUT le rock des années 70, pour arriver à définir ce que c’était exactement. Par contre, mes capacités performatives, c’était pas la folie ! », affirme-t-il avec autodérision, en racontant sa frustration d’abord, n’étant pas doué pour un instrument, d’éprouver de l’inspiration mais de ne pas pouvoir l’exprimer. « Le déclic, c’est quand j’ai découvert que FINNEAS, le frère et producteur de Billie Eilish, avait créé toutes leurs chansons par ordinateur. J’ai décidé d’investiguer…
Une rencontre et du travail
Leur rencontre assemble les pièces. Damien et son expérience d’auteur inspire Kim, qui a toujours écrit sans jamais révéler cette partie de lui, à se lancer. Kim apporte à Damien son bagage théorique musical et son expérience d’interprète. Leur participation à un workshop de songwriting avec Peter King à l’école de musique Opus 1604 les encourage à écrire un premier titre, Tombe. « On a hésité à le sortir, mais on a finalement préféré tenter un deuxième. Après avoir écrit Indifférence, on s’est dit qu’il y avait un truc à faire ».
Deux ans plus tard, ils présentent un album de cinq titres. Co-écrits et composés, chantés par Kim, produits à l’ordinateur par Damien. « Ce qui a pris autant de temps, c’est qu’avec nos boulots respectifs, on travaillait principalement les dimanches. En plus, comme je n’avais encore aucun outil, j’apprenais en faisant, je suivais des cours en ligne, raconte Damien. Je me retrouvais avec des montagnes de prod, des fichiers de cinquante pistes. Parfois je réalisais que je faisais n’importe quoi et je devais tout recommencer ». « C’était vraiment du DIY, renchérit Kim. On a fait tout à la maison : pour enregistrer, on a tiré les rideaux et mis le matelas contre le mur, pour insonoriser. Après, on a sélectionné les prises qu’on préférait ensemble sur le canapé, puis Damien a fait la production dans son bureau ! ».
Damien (à gauche) et Kim (à droite). Photo: Mathilda Olmi
Les inspirations et les choix artistiques
On décèle un petit côté geek revendiqué chez Damien lorsqu’il s’enthousiasme : « C’est un parti pris d’enregistrer comme ça. Je me suis intéressé à nos inspirations musicales, pour voir comment ils avaient fait, j’ai rien inventé : Billie Eilish chantait sur son lit, le micro dans la main, tout près du micro. J’adore cette manière d’enregistrer. La voix et l’univers que crée un artiste, c’est très important pour moi. Billie Eilish et son frère ont amené sur ces aspects un travail que je trouve hallucinant. Les imperfections, les respirations, tout ce qui fait que la musique est vivante, ça joue un rôle important ». Son amoureux confirme : « Dans ma voix, il y avait les automatismes scéniques de la comédie musicale, qui est un style très particulier en termes de technique : ultra propre, articulé, le vibrato placé à la fin de la note. Dans notre projet commun, je peux explorer tout autre chose, une approche plus intimiste ».
Les Émergences Musicales de Montreux
Aujourd’hui, dimanche 1er décembre, Kim rejoint les Émergences Musicales de Montreux, une semaine de résidence lors de laquelle neuf nouveaux talents francophones écrivent, composent et développent ensemble leur présence scénique, sous l’aile d’artistes à la carrière confirmée : Alizé Oswald et Xavier Michel du groupe Aliose, Olivier Daguerre et Alex Finkin. Puisque la résidence n’acceptait pas les duos, et puisque la semaine se terminera par un concert sur scène, Kim ira représenter seul Demain Lundi. « Ça va m’obliger à sortir mes démons, à danser avec, avec les gens qui seront là, et je reviendrai nourrir notre duo avec ce que j’aurai appris. J’ai hâte de vivre ce qui va être vécu ! », confirme la lueur dans ses yeux bleus.
La scène
Pourra-t-on voir le duo en live prochainement ? « On en discute… ». Ils échangent un regard complice. « On est en train de réfléchir à ce qu’on pourrait proposer pour ne pas trahir notre univers et pour exister les deux scéniquement. Là, on est devant un potentiel infini d’idées à défendre, il faut juste qu’on se fixe. Ça dépendra beaucoup des rencontres et des opportunités qui se présenteront dans les prochains temps ! ».
Demain Lundi
www.demain-lundi.com
Les Émergences Musicales
Du 3 au 7 décembre 2024
Concert des Émergents le samedi 7 décembre à 20h
Caux Palace
www.emergencesmusicales.ch