Se presser au Théâtre de Beaulieu emmitouflé·e dans une écharpe pour aller voir le Béjart Ballet Lausanne a ce petit parfum de fin d’année, pendant artistique des biscuits à la cannelle ou des fenêtres de l’Avent. Pendant les trois ans de rénovation du théâtre de résidence de la compagnie, le rendez-vous s’est de toute évidence fait attendre pour plus d’un·e, puisque hier soir, la première de Wien, Wien, nur du allein a fait salle comble.
Texte de Katia Meylan
Chaque siège a trouvé emploi. Ceux des premières rangées, assez proches pour entendre le contact des corps. Les suivants, qui permettent encore de voir l’émotion des mouvements passer sur les visages. Et ceux du balcon, offrant une vue imprenable sur les tableaux d’ensemble. On aurait envie d’être partout, pour voir ce ballet sous toutes ses facettes! À quand les représentations où l’on change de siège à l’entracte?
Chorégraphiée par Maurice Béjart en 1982, la pièce n’avait encore jamais été reprise sous la direction de Gil Roman. Désormais, la troupe actuelle aura elle aussi valsé, bugué, fièrement sauté ou ressuscité sur les musiques de l’École de Vienne, toutes époques confondues. Dans le collage sonore imaginé par Béjart, les silences rehaussent un pas de deux, les dissonances ficellent un amour, alors que le traditionnel Beau Danube Bleu de Strauss peut couver quelque dysfonctionnement.
Se mettant au pas de la valse, la pièce suit un rythme ternaire. Quatre trios à l’amour impossible se croisent et, au milieu, un duo fusionnel. C’est une histoire d’apocalypse, nous dit l’argument. « À partir de cela, on peut imaginer toutes les histoires possibles », nous dit Béjart. L’étreinte est un mouvement récurrent, et son accessibilité semble justement inviter chacun·e à suivre son propre ressenti, tout comme l’envoi d’un baiser soufflé, repris dans les tableaux de groupe. On se plait à imaginer qui aime qui, qui fuit qui, pour quelles raisons spontanées ou cosmologiques. En périphérie de ce qui se joue sur le devant de la scène, les personnages vivent leur vie, parfois en écho, dans le décor outre-noir.
Photos: © BBL, Gregory Batardon
Les interprètes ont toutes et tous leur part à jouer dans cette approche de l’apocalypse. Tout particulièrement remarquée dans l’un des rôles titres, Solène Burel était magnifiquement fragile aux côtés de ses amours impossibles, dansées par les non moins magnifiques Mari Ohashi et Oscar Eduardo Chacón. Les trois anges en chaussettes et bretelles, dans leur solo respectif plein de fougue détaché de tout pessimisme, auront aux aussi ravi le public. L’ovation aux artistes n’aura cessé qu’une fois les lumières allumées, pour nous laisser retourner un peu plus heureux au froid de décembre.
Wien, Wien, nur du allein
Jusqu’au 22 décembre 2022
Théâtre de Beaulieu, Lausanne
www.bejart.ch