Lancé en 2017, le Lausanne Project a pour but de mettre en lumière les conséquences du traité qui prit place dans la capitale vaudoise il y a un siècle, en 1923, et qui régla une partie des conséquences de la Première Guerre mondiale. La bande dessinée De la lumière à l’ombre s’infiltre dans les coulisses de ce traité en compagnie de deux personnages issus du théâtre d’ombre traditionnel turc, Hacivat et Karagöz. Scénarisée par trois chercheur∙euse∙s du Lausanne Project, cette aventure est mise en images par l’artiste Gökçe Erverdi, qui dessine au passage un joli portrait de quelques hauts lieux lausannois.
Texte de Marc Duret
Après avoir décidé de fuir leur condition de pantins, Hacivat et Karagöz quittent leur village d’Erzin en Turquie avec des intentions plus ou moins nobles, à savoir libérer leur région du pouvoir français, mais aussi faire fortune dans le pétrole. Ils se rendent alors à Lausanne, où l’un des plus grands rendez-vous diplomatiques de l’histoire du 20e siècle a pour but d’établir une paix durable au Proche-Orient et de dessiner l’avenir des populations de la région autrefois ottomane, notamment grecque, turque, kurde ou arménienne. Le traité entérine en particulier des déplacements de populations forcés et colossaux aux conséquences funestes qui perdurent aujourd’hui.
Les deux marionnettes ayant pris vie croisent à Lausanne des diplomates et des représentants des plus grandes puissances mondiales, un chat grec chassé d’Asie Mineure et même un certain Ernest Hemingway, alors correspondant du Toronto Star, sans oublier Clare Sheridan, seule journaliste femme présente lors de la conférence. Cela donne lieu à des scènes cocasses et souvent amusantes, puisqu’elles mêlent des plaisanteries théâtrales à d’autres davantage liées à la grande Histoire. Celle-ci est présentée sous forme de saynètes qui constituent une sorte de who’s who du Traité de Lausanne, que l’on gagnera sans doute à lire smartphone à la main, afin de compléter par quelques recherches les présentations des personnages et forces en présence. En cela, cette bande dessinée réussit ce qui est sans doute un de ses objectifs, à savoir rendre curieux∙ses ses lectrices et lecteurs, leur donner envie d’en savoir plus sur cette importante étape de l’histoire mondiale. On regrettera peut-être que l’aspect didactique de l’ouvrage, dont le corollaire est de viser une forme d’exhaustivité, affaiblisse un peu le récit en partant dans de nombreuses directions. En mêlant fiction et Histoire, ce dernier compose toutefois une jolie métaphore, en ligne claire, de ce qu’est l’obscur théâtre diplomatique.
De la lumière à l’ombre
L. Conlin, O. Özavci, J. Secklehner, G. Erverdi
Editions Antipodes
www.antipodes.ch