La Possession (2) Photo : Samuel Rubio

Angoisse à Vidy: La Possession ou le cauchemar de n’être plus soi-même

Jusqu’au 31 octobre, le Théâtre de Vidy présente La Possession de François-Xavier Rouyer. À l’heure où les animations macabres d’Halloween, qui essaiment en général à cette période de l’année, succombent les unes après les autres aux restrictions sanitaires, la grand-messe annuelle du frisson se tiendra cette année sur les planches. Sous une lumière blafarde, la pièce de Rouyer se déploie lentement comme un monstre tentaculaire, pour donner corps à l’une des angoisses humaines les plus profondes: la perte du moi, aspiré par un corps étranger, rongé de l’intérieur par une force hostile. Avis aux adeptes de sueurs froides…

Texte: Athéna Dubois-Pèlerin

“Je voudrais savoir s’il est possible d’épouvanter au théâtre, de faire dresser les cheveux sur la tête comme cela arrive parfois au cinéma ou dans la vie”, s’interroge l’auteur et metteur en scène. Depuis sa genèse littéraire, le genre dit “d’épouvante” a pour vocation de mettre au jour nos terreurs primitives, dont la plus fondamentale est sans doute la peur de l’altérité menaçante, quelle que soit sa forme. Le fantasme spécifique de la possession a été exploré tant de fois à l’écran qu’il est devenu l’un des principaux ressorts du cinéma d’horreur: l’imaginaire collectif est hanté (c’est le cas de le dire) par des scènes d’Alien ou de L’Exorciste, qui figurent une invasion – matérielle ou psychique – du corps, espace intime supposé jusque-là inviolable.

S’il reste plus difficile d’effrayer sur les planches qu’à l’écran (effet de réel oblige), transposer cette thématique-là sur la scène s’impose presque comme une évidence, le théâtre étant l’art de la possession par excellence. Transfiguration du comédien, métamorphose de la comédienne, qui exécutent dans la chair cette “expérimentation éternelle d’être autre, […] de se dédoubler”. L’interprète se laisse posséder par son personnage, qui se voit à son tour possédé par une puissance qui le subjugue. Délicieux vertige de la mise en abyme théâtrale.

Photo: Samuel Rubio

L’intrigue de la pièce est aisément résumée: une femme, mal dans sa peau, décide de prendre possession d’un autre corps. Mais on ne brise pas impunément le lien qui unit un corps à son esprit… Et c’est bien là que repose la charge horrifique de la pièce, brillamment emmenée par un casting des plus affûtés. Au-delà de la performance impressionnante des comédiennes, qui se métamorphosent sous nos yeux, on se sent saisi∙e de malaise à la vue de ces êtres vidés de ce qui faisait leur singularité un instant auparavant. Corps parasité par une conscience qui n’est pas la sienne, esprit piégé dans une enveloppe qu’il ne reconnaît pas, carcasse humaine abandonnée à l’état de coquille vide: on s’étonne soi-même de constater à quel point l’indivisibilité du corps et de l’âme répond à une loi naturelle, qu’il est angoissant de voir enfreindre. La scission est vécue comme une mutilation, et perçue comme telle par le spectateur, qui ne peut que s’interroger sur sa propre essence – et se laisser gagner par la peur de la perdre. N’est-ce pas là la fonction d’une excellente œuvre d’horreur: susciter l’introspection par le biais de l’épouvante?

La Possession
Jusqu’au 31 octobre
Théâtre de Vidy
www.vidy.ch

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