Retour sur le premier Salon des petits éditeurs romands

L’Association Tulalu !? était présente au premier Salon des petits éditeurs romands le 1er novembre 2014, à l’initiative des Editions Encre Fraîche au Grand-Saconnex. But de l’événement : rendre vivante la littérature dans un esprit de partage et d’échange.

La journée commence par un débat sur la place de la poésie dans le paysage éditorial romand avec :

– Huguette Junod, Ed. des Sables

– Denise Mützenberg, Editions Samizdat

– Tristan Donzé, Torticolis et frères

– Patrice Duret, Le Miel de Le Miel de l’Ours

Animation : Lisbeth Koutchoumoff (Le Temps)

Huguette Junod anime les éditions des Sables depuis 1987 et publie 9 recueils par année. Denise Mützenberg a créé les éditions Samizdat en 1992 et publie 12 œuvres par année. Les éditions du Miel de l’Ours existent depuis 2004 grâce à Patrice Duret qui a édité Jacques Chessex. Enfin les éditions Torticoli et frères sont assez éclectiques et publient aussi bien des romans que de la poésie. Eliane Vernay a publié une centaine d’ouvrages poétiques mais s’est retirée depuis peu.

Pour un petit territoire, la production est exceptionnelle et abondante.

Ces éditeurs travaillent tous par amour de la poésie. Constatant que les grandes maisons ne s’intéressaient guère à la poésie, ils se sont lancés dans l’autoédition, puis se sont ouverts à d’autres auteurs. Chacun fait part de l’origine de sa vocation, née le plus souvent dans l’enfance : réalisation de livres dès le plus jeune âge, lecture de Paul Eluard à l’adolescence. Pour eux, la poésie est une perpétuelle source d’inspiration, une forme d’exorcisme aussi.

Les détracteurs de la poésie prétendent qu’elle n’attire pas le public. Denise Müzenberg rétorque qu’en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Islande et au Québec par exemple, la poésie est un genre très populaire et draine des milliers de lecteurs ou d’auditeurs, car elle est profondément liée à la musique. Elle est la mère de l’écriture, exprime des émotions, témoigne de l’humanité.

Alors pourquoi le monde francophone est-il si réticent face à la poésie jugée trop compliquée ou élitiste ? Peut-être craignons-nous de partager des émotions. Il faut souligner que la poésie n’est pas au-dessus de nous, mais au contraire, elle tisse un lien intime entre le poète et son lecteur. Elle est frémissement de l’être au contact d’un autre être. Il y a toutes sortes de formes poétiques capables de toucher le cœur et de circuler partout, il suffit le plus souvent de donner la possibilité au public de les découvrir lors d’événements et de lectures publiques.

Quel rôle jouent les médias ? Force est de constater qu’aujourd’hui la plupart des médias ne participent pas à la diffusion de la poésie. D’une manière générale, à part quelques revues spécialisées, ils ne laissent que très peu de place à la littérature.

Dans la cacophonie ambiante, il est important de faire entendre une voix, un langage qui ait du sens. Il est essentiel de créer une relation de proximité avec les amateurs. La poésie est une forme de résistance dans une société mondialisée qui ne parle que de profit, car elle permet de se recentrer, d’écouter le silence et les mots qui éveillent notre part d’humanité.

Le second débat donne l’occasion de s’interroger sur le rôle des petits éditeurs, petits, mais costauds ! Avec :

– Giuseppe Merrone, BSN Press

– Michaël Michael Perruchoud, Cousu Mouche

– Laurence Gudin, Editions la Baconnière

– Alexandre Regad, Encre Fraîche

Animation : Isabelle Falconnier (L’Hebdo)

Leurs points communs : questionner notre époque. L’exiguïté du territoire rend les relations plus faciles qu’en France, l’esprit convivial prévaut. Ils rencontrent les mêmes difficultés pour diffuser et exporter leurs livres. Ils se distinguent des grands éditeurs établis depuis longtemps en publiant des auteurs originaux qui n’entrent pas dans les créneaux commerciaux. Ils prennent paradoxalement davantage de risques vu leurs faibles moyens financiers, mais ils donnent la priorité au contact personnel avec leurs auteurs qu’ils suivent pas à pas. Ils publient les livres qu’ils aiment car ils sont d’abord des lecteurs avertis. Ils fonctionnent avec un comité de lecteurs bénévoles. Ils font un travail d’équipe gratifiant. La plupart se sont formés sur le tas, car en Suisse, contrairement à la France, il n’y a pas de formation professionnelle dans le domaine de l’édition. Il faut beaucoup d’énergie et d’engagement pour persévérer dans cette voie, mais le but est de prendre du plaisir dans cette activité, d’en être fier lorsque paraît un ouvrage sur lequel on a beaucoup travaillé main dans la main avec l’auteur. Des éditeurs vraiment costauds qui ont le courage de se démarquer des autres maisons d’édition. Il y a des inégalités criantes entre les grands et les petits éditeurs au niveau structurel et commercial.

Notons que les magazines parlent toujours des mêmes livres, les petits éditeurs sont les seuls à explorer d’autres formes d’écriture. Bien entendu, ils aimeraient avoir davantage de possibilités de diffusion. Ils publient environ cinq livres par année. Vu leur petite structure, il n’est pas possible d’en faire davantage.

L’émergence des petits éditeurs correspond aussi au désir de proximité qui se manifeste dans plusieurs domaines : vins et gastronomie par exemple.

Giuseppe Merrone souhaite davantage de professionnalisme comme en Suède, par exemple, où les auteurs et les éditeurs sont mieux soutenus. Il souligne la nécessité d’une coordination des efforts. Laurence Gudin va dans le même sens en proposant un label pour les éditeurs romands. Elle pose une question clé : existe-t-il un imaginaire spécifique en Suisse romande ? Elle se propose de mettre en avant l’originalité des auteurs de cette région. Aujourd’hui les choses changent, les auteurs sortent de leur solitude, il y a davantage de rencontres à tous les niveaux. Elle constate un manque cruel de critiques littéraires et souhaite relancer cela.

Depuis dix ans Encre Fraîche a publié 35 livres, ce qui est beaucoup. Alexandre Regad est très satisfait de voir que ces ouvrages ont encore une audience alors que la plupart des livres disparaissent aux yeux des médias au bout de trois ou quatre mois. Il veut créer la continuité, et pour cela, il faut y croire !

Cette journée s’est poursuivie par des lectures d’auteurs et des débats. Pari réussi car le public était nombreux et enthousiaste. Un Salon qui a permis aux auteurs et aux éditeurs de mieux se connaître et de créer des liens qui sont amenés à se développer.

Texte: Sylvie Blondel

Vice-présidente de l’Association Tulalu!?

et auteur du «Fil de soie » éditions de l’Aire

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