Marcher dans les villes, marcher dans le MCBA

« Quelle que soit la direction prise, marcher conduit à l’essentiel », écrit Sylvain Tesson. Il est probable que Francis Alÿs partage au moins une partie de cette réflexion. L’exposition qui est consacrée à son œuvre au MCBA de Lausanne montre en effet de nombreuses vidéos dans lesquelles l’artiste belge parcourt des kilomètres dans Mexico, Londres et d’autres villes. Il nous emmène également dans un Afghanistan dont on doute qu’il existe encore aujourd’hui.

Texte et photos de Marc Duret

Au premier étage du MCBA, Alÿs nous montre le fruit de ses années passées en Afghanistan dans les années 2010. Dans les vidéos, on observe par exemple des jeux d’enfants, qu’il s’agisse de cerfs-volants ou de pneus qu’ils font rouler le plus vite et le plus loin possible en les poussant avec un bâton. L’artiste s’inspire de ces jeux dans son œuvre Rell-Unreel, où les pneus sont remplacés par des bobines de film. On traverse avec Alÿs  et les enfants une Kaboul que les événements récents semblent avoir déjà projetée dans un passé lointain. Ces vidéos s’accompagnent de dessins, de peintures et de carnets de croquis, dans lesquels l’artiste  dessine, écrit et juxtapose les couleurs des insignes militaires (il était rattaché aux forces armées britanniques comme « artiste de guerre ») aux paysages et aux images de l’Afghanistan: portraits du commandant Massoud, jeeps militaires, croquis de ses montages vidéo, etc.

Le 2e étage fait office de rétrospective, parfaite pour un·e visiteur·euse qui découvrirait, comme l’auteur de ces lignes, l’œuvre de l’artiste marcheur. Une vingtaine d’écrans disposés dans une salle immense du MCBA montrent Alÿs en train de déambuler dans des villes, souvent en réalisant une action à priori futile, comme pousser un énorme bloc de glace dans Mexico, ou vider des pots de peinture verte dans Jérusalem. En réalité, dans le premier cas il montre ainsi la dureté du métier des vendeurs de rues ou transporteurs des cités d’Amérique latine, dans le second il rappelle le changement de frontières après la Guerre des Six jours, qui a conduit à l’occupation de territoires palestiniens par Israël. On le voit par ailleurs traverser des quartiers londoniens équipé d’une baguette de batterie, jouant une drôle de mélodie sur les portails, capots et autres objets passant sous sa main. À Ciudad Juarez, cité réputée pour la violence qui la parcourt, il pousse avec ses pieds un ballon enflammé. D’autres vidéos présentent des itinéraires plus courts, mais au sens toujours étendu.

L’une des grandes réussites de cette exposition est la scénographie de la vaste salle du deuxième étage. Il est en effet possible de regarder plusieurs (très grands) écrans simultanément, en étant immergé dans l’œuvre de Francis Alÿs, souvent hypnotique. On pense ici, par exemple, à un amusant kaléidoscope de feux de signalisation pour piétons photographiés dans des villes du monde entier. L’ambiance sonore, créée par le mélange des bandes sons des diverses vidéos, nous plonge elle aussi dans un intriguant voyage. Quelques chaises disposées ça et là, rappelant celles sur lesquelles on s’assoit dans les écoles primaires, permettent de reposer nos jambes du piétinement muséal, alors que l’artiste, lui, marche infiniment. Puisque ces chaises tournent sur elles-mêmes, elles invitent aussi à s’offrir un panorama à 360°, assis au milieu de la mobilité des vidéos et de l’artiste. On se dit alors qu’il est plus agréable de se remettre en marche et de partir découvrir la suite de l’exposition et, pourquoi pas, avant que le musée ne ferme car 18h approche, l’exposition permanente du MCBA. Dans les rues lausannoises que l’on retrouve après ce voyage avec Alÿs, les décorations de Noël illuminent les balcons dans le silence dominical du froid de décembre.

Francis Alÿs. As Long as I’m Walking
Du 15 octobre 2021 au 16 janvier 2022
MCBA, Lausanne
www.mcba.ch/expositions/francis-alys/

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