La 78e édition du Concours de Genève, du 15 au 22 octobre, met à l’honneur le Chant et la Composition. Parmi les trois candidats dont l’œuvre pour alto et orchestre a été retenue par le jury, un Romand : Léo Albisetti, que nous avons rencontré à Lausanne.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Bientôt octogénaire, le Concours de Genève est pourtant l’un des plus novateurs de son acabit : il investit dans la création depuis 2011 par son Prix de Composition biennal, encourage la réflexion et la créativité des candidat∙e∙s en leur offrant de grandes plages de liberté et surtout, accompagne les lauréat∙e∙s dans le début de leurs carrières. Ses prix se déclinent non seulement en argent, mais aussi en expériences, telles que des engagements ou des commandes d’œuvres.
Avant même les récompenses, les concerts à eux seuls valent le détour. Et si le public a conscience du glamour des diverses épreuves de Chant, il connait peut-être encore trop peu l’expérience du Prix de Composition. Pourtant… quoi de plus excitant que d’assister à la naissance d’une œuvre ?
« Je vois ce concours plutôt comme un concert »
Léo Albisetti, titulaire d’un Master en composition à la HEM Genève et enseignant de musique, est l’un des trois finalistes du Prix de Composition 2024. Sa pièce Nouvel Élan a été sélectionnée parmi les 82 partitions reçues par le jury, aux côtés de celles du Brésilien Caio de Azevedo et du Sud-Coréen Sang-Min Ryu.
Plus que la perspective de remporter un prix, ce qui dessine un sourire modeste au jeune homme de 26 ans lorsque nous le rencontrons fin septembre au Café de Grancy, c’est bien celle d’être joué au Victoria Hall par l’Orchestre de Chambre de Genève, le 20 octobre prochain. « C’est ça qui compte ! », s’enthousiasme-t-il. « Je suis aux anges, je trouve tellement génial d’être entendu que pour l’instant, je vois ce concours plutôt comme un concert. Je ne ressens pas la compétition. »
Premier Élan
C’est un professeur de musique au Gymnase de Bienne qui, en sensibilisant ses élèves à la construction de la musique et à l’improvisation, avait donné envie à Léo Albisetti d’écrire sa toute première pièce, un Trio pour violon, violoncelle et piano. « Je voulais, par la composition, essayer de mieux comprendre ce mystère qui fait qu’on aime ou non quelque chose en musique. J’étais un peu parti dans tous les sens pour ce premier travail… disons que je ne le publierais pas ! », sourit-il. Quelques temps plus tard, il intégrait le cursus de Bachelor à la HEM, puis poursuit avec un Master.
Un Élan bien tempéré
En 2022, il livrait, pour sa composition de fin d’études, une pièce pour alto et orchestre intitulée D’un Élan bien tempéré, clin d’œil à L’Elan Tempéré de Kandinsky et au Clavier bien tempéré de Bach. Il explique : « Dans mon parcours d’écriture, la dualité entre rigueur et intuition m’a toujours beaucoup questionné. J’ai fait des pièces affreuses où tout était écrit d’avance, d’autres qui sortaient purement de mon inspiration et qui ne me convenaient pas non plus. Je pense qu’il ne faut pas se faire trop confiance, sinon, on ne se bouscule pas assez et on aura tendance à refaire toujours les mêmes choses. Dans D’un élan bien tempéré, je suis sur la ligne de crête, je conjugue le geste spontané et la mesure ».
La pièce, jouée lors des examens par des étudiant∙e∙s de la HEM, aurait ensuite pu retomber dans le silence, comme cela arrive malheureusement trop souvent à la musique contemporaine, sans un heureux hasard, un an et demi plus tard…
Diplôme en poche, Léo Albisetti complète sa formation à la HEP et commence à enseigner. Ce nouveau métier lui plait et prend une place prépondérante dans son emploi du temps, lui laissant moins de temps pour se consacrer à la création. Il compose tout de même régulièrement pour Les Chambristes, un ensemble d’ami∙e∙s biennois∙es, et garde toujours une feuille blanche sur son piano, au cas où une demi-journée se libérerait devant lui.
Fin 2023, il tombe sur l’appel du Concours de Genève. Le sujet est, précisément, une partition pour alto et orchestre ! « C’est un concours tellement prestigieux, je me disais que je n’avais aucune chance, et en même temps… c’aurait été trop bête de ne rien envoyer, étant donné que j’avais déjà un matériau prêt », raconte-t-il. « J’ai hésité à tout réécrire, à ne rien envoyer. Finalement, j’ai construit une deuxième pièce sur la première, en l’adaptant à l’effectif demandé : un Nouvel Élan. Quand j’ai appris ma sélection, j’étais avec mes élèves, je leur ai tout de suite partagé la nouvelle ! »
Nouvel Élan
Depuis, Léo Albisetti a contacté Adrien La Marca, le soliste qui interprétera sa pièce lors du Concours. En nous racontant avoir discuté deux heures avec l’altiste, tant de questions techniques que d’inspiration et d’interprétation, le compositeur nous confie que pour lui, découvrir une de ses œuvres pour la première fois passe toujours par la même suite de sentiments. « D’abord on est très heureux, presque euphorique d’entendre sonner ces petits points noirs qu’on a écrits. Après viennent les doutes, on ne reconnait pas ce qu’on a fait, on identifie les problèmes… Et au fond, pour moi le bonheur de ce métier, c’est la deuxième partie du travail : le partage avec les musiciens, quand ils commencent à s’approprier la pièce. C’est à chaque fois une sorte d’aventure, qui m’enrichit énormément. »
Le 20 octobre au Victoria Hall, Nouvel Élan sera donc la mélodie d’une deuxième chance : pour l’œuvre elle-même, pour notre monde en souffrance auquel pensait Léo Albisetti en composant, mais aussi pour le musicien. « Ce concours est une sorte de validation. Ça m’encourage à développer mon langage musical, à découvrir ce que j’ai envie d’entendre de moi. Ça me donne une énergie nouvelle. »
Énergie qui reste infiniment humble lorsque le jeune musicien conclut en évoquant ses projets futurs. Peut-être une pièce plus conséquente, ou une musique au service d’une narration… mais il est encore trop tôt pour en parler !
78e Concours de Genève
Chant 2024
Demi-finales et Finale
Du 15 au 22 octobre 2024
Conservatoire de Genève et Grand Théâtre
Composition 2024
Dimanche 20 octobre 2024
- 14h : Concert-Portrait. Les étudiant∙e∙s de la HEM jouent une sélection de pièces des trois candidats
Conservatoire de Genève - 17h : Finale avec orchestre
Victoria Hall
Petit questionnaire de Proust
L’Agenda: Quelle musique est au top de votre Spotify en ce moment?
Léo Albisetti: … Bonne question… je n’ai pas Spotify, et j’ai rarement une manie sur un morceau. L’autre jour, j’avais envie du début de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak puis, en laissant défiler les vidéos, j’ai découvert d’autres pièces du compositeur. En fait… je confie mes choix à l’algorithme YouTube… ? Ça ne semble pas très intellectuel, dit comme ça (rire) ! Sinon, ce que j’écoute beaucoup pour le plaisir, c’est le jazz – j’allume Radio Swiss Jazz et je me laisse porter. C’est ça la réponse à la question, en fait : je n’aime pas devoir choisir. Il y aurait trop de possibilités.
Quelle activité vous ne faites jamais sans musique ?
Un trajet en train.
Où aimez-vous aller écouter des concerts ?
Ah… partout ! On a le luxe d’avoir des orchestres magnifiques. Je vais très souvent écouter l’OSR, l’OCG, l’OCL… enfin, je dis très souvent, mais ce n’est pas assez souvent quand on voit tous les musiciens qui passent en concert dans la région. Je regrette de passer à côté de beaucoup de choses, mais dès que je peux, j’y vais.
Le dernier concert que vous avez été écouter ?
L’octuor de Schubert par Les Chambristes, hier à Neuchâtel.
Le prochain concert ?
Je n’ai jamais entendu Martha Argerich jouer ! Il faut absolument que j’y aille.
Comment composez-vous ?
Je commence toujours sur le piano, très vite je me retrouve par terre avec plein de feuilles autour de moi… et c’est vraiment tout à la fin que j’utilise l’ordinateur.
Une autre passion ?
J’aime bien cuisiner. Je vois des parallèles avec la composition : une fois le travail terminé, on partage un moment éphémère.