La Société de Musique La Chaux-de-Fonds invite la mezzo-soprano Vivica Genaux, le contreténor Laurence Zazzo et la Lautten Compagney Berlin pour une soirée baroque unique le 1er décembre à 17h, sous la baguette de Wolfgang Katschne.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan


Le concert, intitulé Gender Stories, reprend des airs et duos d’opera seria enregistrés sur un album éponyme paru au printemps 2019. Genre peu représenté sur scène pour cause de longs récitatifs et d’intrigues compliquées, l’opera seria est ici mise en valeur à travers une sélection d’airs des grands Haendel, Vivaldi et Hasse comme des plus confidentiels Galuppi, Lampugnani, Porpora, Wagenseil et Traetta.
Difficile parfois de reconnaitre qui, de la mezzo-soprano ou du contreténor, chante quelle partition. Et c’est bien l’une des idées derrière ce programme dans lequel les solistes chantent tantôt les rôles de femmes écrits pour voix d’hommes ou vice-versa.
L’Agenda a eu l’occasion de s’entretenir hier au téléphone avec Vivica Genaux, dont la voix, même à travers le combiné, transmet avec chaleur sa sympathie et l’amour de son art.
Quels ont été pour vous les moments marquants du concert Gender Stories lors de la première à Dortmund, en mai dernier?
Vivica Genaux: L’air Se Bramate de Haendel. J’avais chanté cet opéra mais dans un autre rôle, celui d’Arsamene. C’était la première fois que je chantais l’air de Serse en concert et j’ai adoré ça. Il est très dynamique, avec beaucoup de changements de tempo. Également l’air Risponderti vorrei d’Achille in Sciro, très typique du style de Hasse, qui est mon compositeur préféré. C’était René Jacobs (ndlr, chef d’orchestre avec qui elle enregistre en 2002 l’album Arias for Farinelli, notamment) qui m’a fait connaitre la musique de Hasse il y a vingt ans, et depuis il est resté le compositeur le plus proche à mon cœur.
Comment appréhendez-vous ce thème de fluidité des genres dans la musique, autour duquel est construit votre album et le concert Gender Stories?
Vivica Genaux: Cela fait des années que je fais plus de concerts que d’opéras. Lors d’un concert ou je chantais Gelido in ogni vena de Vivaldi, je me souviens que j’avais demandé à Fabio Biondi si ça le gênais que je le chante en femme. Dans l’opéra il est chanté par Farnace, mais je me sentais drôle de jouer un homme avec une robe de bal très féminine. Et il m’a dit “non pas du tout, fais comme tu as envie!”. C’est là que j’ai expérimenté pour la première fois de chanter un air écrit pour un homme – pour un castrat – avec les réactions et actions théâtrales d’une femme, qui sont toujours un peu différentes. C’est intéressant de penser qu’un air, dans le cas de Gelido in ogni vena par exemple, peut être chanté à n’importe quelle époque car ça a à faire avec l’émotion humaine, mais il change beaucoup avec la masculinité ou la féminité.
Pour moi, dans le baroque, la façon la plus intéressante de jouer est l’androgynie. Je joue beaucoup avec ça dans les concerts; pour un même air, selon les jours je me laisse sentir si j’ai envie d’explorer le côté masculin ou féminin de l’air, des mots et de la situation. Ça peut dépendre des vêtements, qui sont souvent androgyne, talons et pantalons. Je sens la différence si je suis en pantalon et en gilet ou en robe longue avec une coiffure sophistiquée.
J’ai toujours fait mes recherches pour connaître l’histoire et l’origine d’un air, dans quel contexte et pour qui il a été écrit, mais depuis ce moment avec Fabio, je me laisse beaucoup plus de liberté dans l’exécution. Pour devenir plus élastique dans ma présentation, pour avoir plus de possibilité d’entrer dans l’air et de m’exprimer sans être complètement dans le rôle du personnage.
Pour les airs du programme de Gender Stories, c’est différent, j’essaie surtout de me mettre dans le rôle. Ce n’est pas vraiment comme un concert que je crée avec d’autres orchestres où je suis libre d’être moi-même. Nous racontons l’histoire des femmes qui chantaient les rôles des hommes et des hommes, castrats ou contreténors, qui chantaient les rôles des femmes. C’est compliqué car il y a aussi des airs où je chante le rôle féminin, et je ne peux pas me changer entre les numéros! Ça passe par les mouvements du corps, la façon de bouger les épaules et les mains change un peu, et l’expression de la voix.


Comment cela se met-il en place avec votre partenaire Laurence Zazzo?
Vivica Genaux: On a beaucoup parlé pour se mettre d’accord, s’arranger pour chanter plus ou moins fort, de manière plus décidée.
En 27 ans que je fais cette carrière, j’ai chanté plus de 60 rôles en travesti, car les mezzo-sopranos ont souvent pris les rôles de castrats. Au 17e siècle cela se faisait beaucoup pour les hommes de chanter des rôles de femmes, mais aujourd’hui ça n’arrive pas souvent et ce n’est pas encore complètement accepté à l’opéra. C’est difficile de trouver des contreténors avec la voix assez aiguë pour beaucoup de rôles de femmes. Souvent aussi, le corps du castrat, surtout jeune, était très féminin. Ce n’est pas le cas de Laurence, il n’a pas un corps très féminin! (rire) Mais par sa voix et ses expressions vocales, il a la possibilité d’exprimer sa part de féminité.
Qu’avez-vous hâte d’expérimenter à nouveau sur scène dans ce concert à La Chaux-de-Fonds?
Vivica Genaux: Chaque première fois que l’on fait un concert, on ne sait pas à quoi s’attendre. On connait bien les morceaux mais l’énergie entre toi et le public n’est pas encore définie. Je me réjouis car maintenant je connais mieux la dynamique du programme. J’aime toujours m’amuser quand je chante, et ça devient plus facile quand on a déjà fait le programme avant. On gagne aussi en confiance dans notre rapport avec l’orchestre. Il y a des airs qui ne font pas partie du répertoire habituel et je les chante seulement avec le Lauten Companey, et certains duos étaient totalement nouveaux pour moi.
Est-ce que le fait d’élargir toujours votre répertoire est quelque chose qui vous plaît?
Vivica Genaux: Ça fait partie de ma vie, et heureusement! J’ai commencé quand j’avais 24 ans en chantant Rossini. Après trois ans, on a commencé à me demander ce que je pouvais faire de différent. J’ai toujours dit “Je ne sais pas! Rossini va bien pour ma voix mais je ne connais rien d’autre”. Alors quelqu’un m’a conseillé de chanter Hasse, et quand j’ai eu cette possibilité je suis tombée amoureuse du son de l’orchestre baroque avec instruments originaux. Depuis là je n’ai jamais rien choisi, il y a toujours quelqu’un qui m’a conseillé ce qui était bien pour moi. Je ne connaissais ni les compositeurs, ni les airs, rien! J’écoutais, je chantais et j’étais toujours contente. J’ai tellement appris comme ça! Si j’avais dû dire ce que je voulais faire, j’aurais été beaucoup plus limitée.
Dans le répertoire de belcanto, Bellini, Donizetti – avec Rossini, on peut faire un peu de variations – il faut faire exactement ce qui est écrit sur la partition, et ça ne me va pas! (rire). Le baroque est plus comme le jazz: les ornements du da capo doivent exprimer ce que tu fais de mieux. Si tu aimes les trilles, les roulades, tu fais ce que tu veux, il faut trouver quelque chose dans l’air, la musique, le texte ou le rôle, où tu peux t’exprimer. On sort avec un air qui est fait sur mesure pour sa voix.
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Gender Series
Le dimanche 1er décembre à 17h
Société de Musique La Chaux-de-Fonds
Salle de Musique de la Chaux-de-Fonds