Son texte La femme qui marche a fait l’unanimité auprès du jury du concours d’écriture de L’Agenda, proposé cette année sur le thème L’Homme qui marche. Coup de cœur de la première édition en 2021 avec son texte Déjeuner sur l’herbe, Karin Suini avait pris l’habitude de participer à notre concours comme à un « rendez-vous de printemps ». Autrice publiée en parallèle de son travail de rédactrice au DFAE, cette journaliste de formation est également bénévole au service de causes qui lui tiennent à cœur et maman. Pas étonnant que parmi ses inspirations, elle cite Corinna Bille, qui « écrivait dans un petit carnet sur un coin de table, une casserole dans une main, un enfant sous le bras » !
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Une passion, un lien qui voulait se passer de mots, un vide… et un clin d’œil à Giacometti. La femme qui marche est un contraste des matières, bulle fragile d’émotions s’élevant dangereusement parmi les pierres impénétrables. Et la collision ne produit pas l’effet attendu…
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Contraintes et inspiration
Ce qui a poussé Karin Suini à participer aux quatre éditions du concours d’écriture de L’Agenda, c’est le défi: court délai, nombre de signe limités et thématique imposée. Si la contrainte est son alliée, pour le reste, l’autrice affirme que son inspiration ne suit pas de règle. « En lisant le thème, je n’étais pas sûre de participer… mais, inconsciemment, il a tourné dans ma tête et fait apparaitre des images. Pour L’Homme qui marche, j’ai visualisé cette statue dans le jardin d’un sculpteur – le père d’une amie, décédé il y a peu – et l’envie de raconter m’est venue. Je pars souvent d’un souvenir, d’une personne que j’ai rencontrée puis j’invente sans savoir où ça va me mener. Cette histoire me tenait à cœur, et j’en étais assez fière… Pas fière d’avoir gagné le concours, mais d’avoir écrit, en pensant à ceux qui pourraient la lire et être touchés ».
Celle chez qui l’on décèle une grande modestie et les signes d’une constante remise en question confie que l’écriture est pour elle une façon de rassurer, de se ressourcer. « Je n’aime pas ce genre de grands termes, « se ressourcer »… mais c’est vrai: l’écriture me donne plus d’énergie qu’elle ne m’en prend – sauf les jours où je suis au désespoir car tout ce que j’écris me semble nul! », rit-elle. « Au fond, sans parler de qualité, l’écriture, c’est quelque-chose que je peux faire. Concrètement, je sais que c’est un moyen que j’ai à ma disposition pour m’exprimer. »
L’écriture au quotidien
En 2022, alors que la Lausannoise apprivoise encore son nouveau travail au DFAE à Berne tout en étant maman d’une fille de 7 ans, elle décide de s’engager pour ses valeurs féministes. Elle commence à donner des cours d’écriture et de prise de parole en public – une peur qu’elle a surmontée lors de ses années de journaliste radio – dans le cadre de l’association Politiciennes.ch. « Je fais peu de politique active mais j’aime l’idée que des femmes se lancent. Alors j’essaie de leur transmettre, à mon niveau, des choses qui peuvent leur être utiles ».
Son travail de communicante est également un terrain de pratique quotidienne. Mettant à profit son empathie et son habileté intellectuelle ludique, elle écrit pour les autres, appréciant se mettre dans la peau tant de la personne qui s’exprime que de celle qui recevra le texte. Ce qu’elle préfère, nous glisse-t-elle, c’est transmettre à la fois de la joie et des messages pleins de sens, comme lors des discours du 1er août et des fêtes populaires.
L’écriture créative – un roman édité
Lors d’un atelier d’écriture suivi juste après la première vague de covid à La Maison du Récit, Karin Suini se voit proposer de travailler sur un texte existant. La quarantaine, elle se replonge dans de la matière écrite à 29 ans, du temps des matinales sur Couleur 3. « À cette époque, je commençais à travailler à 4h du matin, terminais vers 11h, et avais tout l’après-midi pour moi. Dans un petit carnet, à la main, j’écrivais des souvenirs. Des souvenirs qui n’ont rien d’extraordinaire dans le premier sens du terme, mais ils sont uniques, car il n’y a que moi qui les ai vécus. Annie Ernaux écrit « Sauver quelque chose du temps où on ne sera plus jamais ». C’est cette idée qui m’a inspirée dans l’histoire que je raconte, celle de mon personnage qui a un Alzheimer précoce ».
Après une réécriture, le manuscrit est bouclé, envoyé… et publié par les Éditions Mon Village sous le titre La promesse de l’Ogre. « C’était en plein covid malheureusement, mais j’ai adoré l’expérience d’être publiée! Je me rappelle ce moment à Payot, devant une petite affichette avec ma photo et une pile de mes livres… Aux Estivales du livre de Montreux, j’ai eu une petite place à côté d’autres auteurs et autrices, j’ai été invitée dans des tables rondes. J’avais à la fois le syndrome de l’imposteur, l’inquiétude du regard des autres, mais aussi la fierté d’être là. J’ai souvent du mal à être contente de moi, mais là, je me suis dit… C’est ton moment, profite. J’ai aussi adoré rencontrer et nouer des liens avec d’autres nouvelles autrices durant la promotion de mon roman. Certaines ont déjà publié un deuxième roman, ça me met une petite pression! »
trouvé! On va l’emporter en vacances…
L’autofiction comme marque de fabrique
Nullement à la traîne, elle avance actuellement sur plusieurs projets en parallèle: pièce de théâtre amorcée, recueil de textes à retravailler, et premier jet d’un second roman auquel elle vient de mettre le point final. Elle y raconte l’histoire d’une femme qui revient d’une expérience catastrophique à l’étranger, qui n’a plus ni appartement ni compagnon et qui va cohabiter avec son grand-père, un ancien bon-vivant rabougri par le temps. Là encore, l’autrice part d’une base personnelle. « Dans ce que j’écris, il y a toujours environ 20% de vrai », sourit Karin Suini.
Karin Suini. Photo: Sébastien Agnetti
Petit questionnaire de Proust
Plutôt comfort-book ou découverte?
Découverte. Je suis une acheteuse compulsive de livres! Un temps, je me sentais coupable d’avoir plus de livre à lire que de livres lus dans ma bibliothèque, jusqu’au jour où on m’a dit: votre bibliothèque, c’est comme une cave à vin, le but n’est pas de tout consommer rapidement mais d’y descendre et de choisir selon les occasions.
Un personnage auquel vous vous êtes déjà identifiée?
Martine! Je réfléchirai si j’ai une réponse plus intelligente… Mais allez, on peut dire Martine!
Une phrase dont vous vous êtes dit « j’aurais aimé qu’elle soit de moi » ?
Corinna Bille a écrit « Sur la vitre, la buée me sépare du monde ». C’est une image que je trouve très jolie, sans avoir besoin de beaucoup de mots.
Un festival de l’été?
Je ne suis pas très festival – à chaque fois que j’y vais, il pleut. (Mais je suis allée au Festival de la Cité l’autre jour. Et il n’a pas plu!).
Un lieu culturel de prédilection?
Habitant près de Plateforme 10, j’y vais moins que ce que je pourrais… mais j’y vais quand même régulièrement.