Après son premier roman Antonia, Journal 1965-1966 (2019) récompensé par deux prix et Willibald (2022), Gabriella Zalapì publie Ilaria ou la conquête de la désobéissance aux éditions Zoé. L’Agenda a assisté à une discussion avec l’auteure, organisée lors du Livre sur les quais à Morges.
Texte et propos recueillis par Frida
L’idée de cet ouvrage est née lors d’une nuit d’insomnie alors que l’auteure écoutait un podcast proposant une lecture de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. Un passage la marque, le fait qu’un individu doit écrire des histoires que seul lui peut raconter, et lui donne envie d’écrire sur la figure du père. Gabriella Zalapì imagine donc l’histoire d’Ilaria en entrecroisant fiction et réalité. Afin de trouver la bonne distance avec les événements, l’écrivaine écrit d’abord le récit à la troisième personne avant de la remplacer par le « je » de l’enfant, qui donne au texte davantage de profondeur.
Ilaria ou la conquête de la désobéissance porte sur l’enlèvement d’une enfant de huit ans, Ilaria, par son père, à la sortie de l’école. Les parents de la petite fille sont séparés. Fulvio, le père, est toujours épris de sa femme. En enlevant sa fille, il en fait un objet de chantage auprès de son épouse. Il est finalement pris à son propre piège. Il part pendant deux ans avec Ilaria sur les routes d’Italie. Ces années constituent une véritable fuite en avant dans laquelle il perd pied. Le récit est ponctué des télégrammes envoyés par le père à sa femme, mais ne contient pas les réponses de celle-ci. L’auteure explique qu’elles n’étaient pas nécessaires à la construction du texte et que l’épouse peut, en outre, ne pas avoir répondu. Ce qui importait à Gabriella Zalapì était de faire entendre la voix du père sans le filtre de l’enfant. Pour éclairer la figure de Fulvio, l’écrivaine convoque la mère de ce dernier (la grand-mère d’Ilaria), et superpose ainsi à la figure du père celle du fils. Cela permet aussi de contextualiser le passé : Fulvio a soutenu sa mère lors du décès de son mari. Celle-ci est fantasque, toujours occupée et laisse peu de place à son fils. Pourtant, ils ont un lien très fort. Le but est de dépasser l’image du bourreau que pourrait renvoyer le père d’Ilaria, en lui apportant des failles et de la lumière. Il a enlevé sa fille et ne s’en occupe guère. Cependant, il est plus qu’un homme irresponsable et malveillant.
Ilaria perçoit la grande solitude de son père ainsi que sa honte de boire parfois. La relation entre les deux personnages se révèle complexe. Il s’agit d’un amour défectueux. Ilaria aime son père tout en le détestant. Il la délaisse la plupart du temps mais ils partagent quelques moments joyeux à travers le jeu et la musique. Il lui apprend à mentir mais également à conduire. Cet espace de jeu crée une complicité entre l’enfant et le père. Tous deux partagent aussi un sentiment de peur. Fulvio a peur de perdre sa femme et Ilaria a peur de son père et de ses réactions imprévisibles liées à son alcoolisme. Le contexte historique de l’Italie des années 80 résonne aussi avec la vie des protagonistes.
L’auteure désirait comprendre comment une fillette peut survivre à une telle situation. La petite fille est aux prises avec la loyauté qu’elle ressent pour ses deux parents. Même au milieu du chaos, les enfants parviennent à trouver de la joie. Ilaria se construit en décalage avec les autres enfants. Elle se retrouve dans une situation instable mais crée sa propre stabilité dans les endroits où elle habite provisoirement. Elle reste curieuse et assoiffée d’un contact avec le monde. L’enfant cherche une place à côté de son père qui reste accaparé par sa douleur. Elle la trouve dans la désobéissance.
L’écriture de Gabriella Zalapì est sobre, minimaliste et laisse pourtant voir aux lecteur∙ice∙s les différents personnages et les lieux variés qui constituent ce périple. Étant également plasticienne, l’écrivaine s’imprègne d’images pour donner à son écriture plus de précision. Son sens de la retenue permet une exploration en clair-obscur d’une enfance malmenée et du poids des relations filiales.

Rencontres avec l’auteure :
Lundi 9 septembre 2024 à 19h30Club de lecture Livremoi, GenèveMardi 10 septembre 2024 à 18h30Payot Cornavin, Genève- Vendredi 7 mars 2025 à 18h
Maison Rousseau Littérature, Genève
La page de l’auteure sur les Éditions Zoé :
www.editionszoe.ch/auteur/gabriella-zalapi