« C’est dans votre tête, Mademoiselle ».
Sauf que non. Ce n’est pas dans la tête, c’est dans le corps, ça infiltre le cœur, ça laisse ici des cicatrices, là des failles béantes. L’endométriose, Giliane Bussy en a fait le sujet d’une pièce qu’elle porte aujourd’hui seule en scène, l’aboutissement de trois ans de travail, entre recherche, interviews et écriture.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Photos: Charlotte Aebischer
Comédienne à la vie bien remplie, Giliane Bussy se produit habituellement le cadre du Caméléon, une compagnie théâtrale qui transpose à la scène des problématiques sociales dans une optique de prise de conscience et d’évolution.
Ce créneau la passionne, mais une envie différente, complémentaire, émerge il y a trois ans de cela : celle de s’exprimer sur une thématique qui la touche au cœur. Commence alors un long travail de recherche, tant de documentation scientifique que de récolte de témoignages. Avec toute cette matière, Giliane écrit l’histoire de son personnage, Roxane. Une histoire fictive mais qui pourrait tout aussi bien être celle d’une femme… sur dix. Car c’est ça, la statistique. Une femme sur dix atteinte d’endométriose.
Armée d’une énergie puissante et de beaucoup de charme, Giliane Bussy investit de tout son être l’histoire qu’elle raconte. Dans son sourire et dans sa gravité, dans sa voix, dans l’aisance qu’a son corps à évoluer en parallèle des mots ou lorsque ceux-ci ne suffisent plus, dans ses yeux qui interpellent ou remercient.
INTERVIEW
L’Agenda : Qu’est-ce qui vous a mené à écrire votre premier seule en scène sur ce sujet ?
Giliane Bussy : En tant qu’autrice, j’ai besoin d’être bouleversée pour écrire. Je dois avoir le feu ! Je souffre moi-même d’endométriose, et quand j’ai vu tout ce que la médecine révélait de l’inégalité des genres, quand j’ai constaté que ça restait une maladie très peu traitée alors qu’elle touche une femme sur dix, ça m’a semblé incroyable, injuste. Donc, j’ai foncé.
Ce n’est pourtant pas votre histoire que vous racontez sur scène…
Non, et c’est d’ailleurs pour ça que j’hésite parfois à dire que je suis atteinte de cette maladie. Comme c’est un sujet très personnel, je n’ai pas envie qu’on fasse l’amalgame, qu’on croit que je fais tout ça pour me guérir. Dès le départ, j’avais envie que ce soit l’histoire de plusieurs personnes. Mon moteur, c’était les interviews : j’ai rencontré une vingtaine de femmes, mais aussi des gynécologues, des sexologues, des psychologues… Ça m’a pris trois ans. C’était long, mais très intéressant. C’est des moments inoubliables !
Comment avez-vous fait pour choisir une direction parmi toutes ces pistes qui devaient être exponentielles au fil des rencontres ?
En effet, mon texte de base est dix fois plus long que la pièce (rire) ! J’avais commencé par écrire un premier jet en partant de ma propre expérience et de ce que j’avais envie de raconter. Ensuite j’ai posé l’arc narratif : le voyage de l’héroïne et le processus de deuil. Puis, j’ai planifié différentes interviews, chacune axée sur un thème spécifique : le rêve d’avoir des enfants, le burnout médical, la douleur pendant les rapports, etc. Plus je rencontrais des gens, plus j’avançais dans les recherches, plus je me rendais compte qu’il faudrait parfois une scène entière pour développer une idée, ou au contraire, que cinq pages de mon texte initial pouvaient finalement tenir en une phrase.
Qu’est-ce que vous avez tenu à visibiliser ?
J’ai choisi de montrer les petites choses, celles qui peuvent sembler anecdotiques – les commentaires sur le physique, la banalisation de la douleur – mais qui contribuent à faire que les femmes se sentent démunies, ne s’écoutent pas et ne se sentent pas légitimes. J’ai vécu 10 ans d’errance médicale, et ce n’est de loin pas un cas isolé. Ça ne vient pas de nulle part, mais de l’éducation qu’on a tous et toutes eu. Si c’était une maladie d’homme, à mon avis, le diagnostic serait moins long.
Vous vous entourez d’une équipe exclusivement masculine : Karim Slama à la mise en scène, Simon Labarrière à la direction de jeu, Jérôme Baur à la composition musicale, Patrick Guex à la régie. Pour quelle raison ?
Je voulais faire attention à parler à tout le monde, à ce que ce ne soit pas de l’ordre du « on se comprend entre filles ». Je ne milite pas, je raconte et, si possible, je pousse le public à la réflexion. Donc pour moi, c’était important d’avoir des regards sur ma pièce qui ne soient pas intimes avec la douleur, qui puissent m’interroger. S’ils me posaient des questions que je voulais justement que le public se pose, c’était parfait ; sinon, ça me donnait la possibilité de repréciser certains passages. Et mon « boys club » a été super, d’une bienveillance incroyable ! Karim a beaucoup aidé avec la légèreté, l’humour – ce qui est une bonne chose, car l’important était que le public ressorte touché, pas déprimé (rire).
Un moment dans la pièce, Roxane dit à sa psy : « La seule chose qui me fait du bien c’est quand vous m’écoutez… ». Et là, en tant que public, face à vous qui restituez toutes ces voix, on se sent investi d’une certaine responsabilité : l’écoute.
J’ai ressenti ce grand besoin d’écoute chez la plupart des personnes avec qui j’ai parlé. Je pense que ce n’est pas souvent qu’on laisse la place de raconter une histoire comme ça en profondeur. Pendant les interviews, on a parlé de rêves, de sexualité,… Je ne suis pas psy, il y avait des choses que je recevais et auxquelles moi non plus, je ne savais pas quoi répondre ! Ce que j’essaie de dire, c’est que même si on ne peut rien en faire, l’important c’est d’écouter et de respecter cette douleur. Plus on le fait, plus on donnera de la visibilité à ce genre de maladies, et plus la situation va évoluer.
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On a eu la chance de voir la première de la pièce au PullOff en juin dernier!
Pour cette saison 2024-2025, C’est dans votre tête, Mademoiselle! part en tournée:
- Du 26 au 29 septembre 2024
L’Oxymore, Cully (Vaud) - Le 9 novembre 2024
Théâtre Royal, Tavannes (Jura bernois) - Du 6 au 9 mars 2025
Bateau-Lune, Cheseaux (Vaud)
Vers le site de la comédienne : www.gilianebussy.com