Fragments d’un parcours amoureux de Chloé Barreau, je l’ai vu au CityClub Pully lundi dernier et ses images, ses voix me reviennent constamment depuis. J’ai repensé aux visages caressés par sa caméra, aux fêtes, aux apparts, aux rues et aux bars, à la musique, aux instants de poésie mutuellement offerts, aux coupes courtes décoiffées par le vent, à ce grain particulier de l’image qui immortalisait les trombines des ados des années 90. À toutes ces images qu’on a perdues, à toutes ces images qu’elle a gardées.
Texte de Katia Meylan
Fragments d’un parcours amoureux est une preuve tangible que les sentiments ont existé pour un temps. Depuis ses 16 ans, Chloé Barreau a filmé ses amitiés et ses amours. Des centaines d’heures de rush. En 2016, elle confie à la journaliste Astrid Desmousseaux son désir d’en faire un documentaire, mais, ne trouvant pas les subventions escomptées, remet le projet à plus tard. Elle se frotte à de la retenue, des accusations voilées de narcissisme, notamment. Au fil du temps, le dossier s’enrichit, se complète… Et un jour, Chloé Barreau envoie deux lettres. À deux de ses ex. Aux centaines d’heures d’archives s’ajouteront des dizaines d’heures d’interviews, menés par Astrid Desmousseaux. Douze ex ont accepté de partager leurs souvenirs.
Parler d’amour, ce n’est pas futile. Ce n’est pas anecdotique. Et puis, un élan narcissique inspirerait-il tant de gens à repenser à tant d’autres ?
Depuis lundi dernier, j’ai repensé à Chloé, Sébastien, Jeanne, Laurent, Rebecca, Anne, Ariane, Jean-Philippe, Anna, Bianca, Marina, Marco, Caroline. À toutes ces personnes que le film nous fait rencontrer, à leurs mots, leurs pauses, leurs regards.
J’ai repensé à ceux qui racontent avec nostalgie, à celles pour qui les souvenirs sont devenus flous, à celles chez qui ils sont encore vibrants. Aux admiratives, aux attendries, aux plus cyniques. À celles qui se livrent et à celles qui se protègent. Chloé ne se protégeait pas du tout. C’est Jeanne qui le dit. (Rectification après avoir vu le film une deuxième fois: c’est Ariane).
J’ai repensé au fait que le public avait ri plusieurs fois lorsque Marco ou Jean-Philippe parlaient à l’écran. Moi aussi, mais je ne savais pas vraiment pourquoi. Le rire avait changé au fil du film, d’amusé il m’a semblé devenir bienveillant, très complice.
J’ai repensé à celles qui interrogent la démarche, enthousiastes ou abasourdies. « On a tous besoin d’un archiviste », affirme Jean-Philippe. « Je trouve ça fou qu’elle s’autorise à demander ça, mais une fois qu’on nous le demande c’est impossible de dire non ». C’est Rebecca, le coin de la lèvre retroussé.
« Je ne suis pas fétichiste de ma biographie », dit-elle encore. J’ai cherché mon carnet dans lequel, à dix-neuf ans, j’avais noté des extraits de Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes qui me parlaient. Il y avait beaucoup d’autres choses dans ce carnet, mais je ne le trouve plus. On a tous besoin d’un archiviste.
J’ai pensé aux personnes qui sont restées proches de Chloé et à celles qu’elle n’a plus jamais revues.
J’ai pensé à Lucian et à Arnaud.
J’ai pensé à l’ex qui n’avait pas accepté d’être dans le film. Astrid Desmousseaux nous a dit, lors du bord de scène après la projection du CityClub lundi dernier, que Chloé et lui avaient repris contact depuis et étaient redevenus amis. Je ne sais pas pourquoi, mais ça m’a beaucoup plu.
J’ai pensé aux ex à qui Chloé n’avait peut-être pas proposé de figurer dans le film. Je ne sais pas s’il y en a. Est-ce que parfois, on a tous cette impression de ne pas avoir compté ?
Je me suis demandé à quoi ressemblerait le film de Bianca, de Caroline ou de Marina.
Je me suis demandé qui serait dans mon film à moi. Et si mes ex m’écrivaient une lettre pour me proposer d’être dans leur film, à eux, qu’est-ce que j’y dirais ?
J’ai pensé à ma chance, et à celles qui ne peuvent pas repenser à toutes leurs anciennes relations avec amour et nostalgie, parce que la violence avait dépassé les bornes.
J’ai repensé à la dédicace « À Valentina M. » dans les crédits. Je sais à qui je dédicacerais une preuve d’amour.
Autant de pensées en « je », tournées vers les autres. Des fragments, elles aussi. Fragments de verre encore coupants ou déjà polis, embellis par le temps. Qu’en fait-on quand ils miroitent là, devant soi ? Il faut en faire quelque chose.
Fragments d’un parcours amoureux
De Chloé Barreaux
Projections à venir :
CityClub Pully
– lundi 20 octobre à 20h
– jeudi 23 octobre à 20h15
– vendredi 24 octobre à 18h
– dimanche 26 octobre à 16h
– mardi 28 octobre à 20h
Les Cinémas du Grütli
– mardi 21 octobre à 19h
– jeudi 23 octobre 14h

