La Compagnie Cadenza vous invite à vivre une expérience inédite: le premier opéra interactif. Entre les six fantastiques interprètes, le premier rôle est attribué au public. Armé de son smartphone qu’il est, pour une fois, invité à garder allumé, en mode silencieux, le spectateur peut intervenir à divers moments du spectacle pour choisir le prochain tableau et créer ainsi sa propre partition. Ce projet enthousiasmant est présenté les 24, 25 et 26 avril à la salle Jean-Jacques Gautier de Chêne-Bougeries.
Texte: Marie-Sophie Péclard
Un opéra soumis au plébiscite du public: l’idée a de quoi interpeller. Comment, en effet, faire cohabiter la rigueur et l’exigence du chant lyrique à la spontanéité et l’improvisation qu’implique le vote en direct? Le challenge de “L’Opéra, c’est moi” est relevé avec brio par la Compagnie Cadenza menée par Antoine Bernheim et Thierry de Marcley, sur une mise en scène d’Elfriede John. Les interprètes sont accompagnés au piano par le chef colombien Juan David Molano et guidés par le comédien Gilles Bugeaud.
Le deuxième défi de cette production est la rencontre entre le moderne et le classique, l’opéra et la technique. “Nous voulons vraiment mixer les deux mondes, les faire s’interpénétrer”, explique Thierry de Marcley. Une équipe de techniciens gère donc un dispositif ingénieux afin de recueillir, compter et dévoiler instantanément les votes des spectateurs. Ces derniers peuvent en effet choisir entre deux scènes, et celle qui aura obtenu le plus de voix sera exécutée par les chanteurs. L’histoire évolue donc au gré des envies du public, qui se prend rapidement au jeu, espérant que son vote soit retenu ou tentant de deviner quel extrait suivra.
En effet, les organisateurs n’ont pas souhaité indiquer le nom des extraits au moment du choix: “Les gens votent pour des situations, et pas pour des ouvrages”. L’aspect ludique est en effet primordial car les concepteurs ont pensé ce spectacle comme un moyen de faire découvrir l’opéra: “C’est un spectacle pour les néophytes, pour les gens qui ne connaissent pas ou qui ont peur de l’opéra. C’est un spectacle accessible, facile, humoristique”. Les passionnés trouveront aussi leur compte par la qualité des voix et en s’amusant à reconnaître les différents morceaux.
Cette constante inconnue est le prix d’un travail colossal, démarré il y a plus de deux ans suite à une idée d’Antoine Bernheim. Avec Thierry de Marcley, il s’est attelé à la sélection de quarante-sept extraits d’opéras, sortis de leur contexte pour créer de nouvelles histoires: “Nous avons travaillé sur 300 ans de musique”, raconte Thierry de Marcley, “avec quelques contraintes: tous les extraits sont en langue originale, soit le français, l’italien et l’allemand, et sans transposition. Nous avons souhaité respecter la musique et le texte tels qu’ils ont été écrits. Nous avons essayé de trouver des liens entre les différents ouvrages, entre différentes scènes, pour créer une histoire. À chaque fois, on part d’un point A et on offre deux solutions au public. Tous les cas de figure ont des solutions qui peuvent aller dans la continuité d’une histoire, que ce soit comique ou dramatique. Nous avons ainsi la possibilité de créer 128 spectacles différents. Le public décide absolument de ce qu’il va se passer, et on est complètement tributaire de son choix”. Antoine Bernheim, qui a constitué l’arborescence, ajoute qu’il fallait également veiller à l’équilibre des musiciens au sein de chaque possibilité et à la cohérence des histoires. Ainsi, chaque chanteur a travaillé et répété cinq heures de musique tout en envisageant les 128 chemins de cet opéra.
Il faut ainsi saluer la prouesse des six interprètes (Annamaria Barabas, Marie-Camille Vaquié, Emmanuelle Fruchard, Thierry de Marcley, Marcos Garcia Gutierrez et Antoine Bernheim) qui, tout en menant de front leur carrière, ont accepté de se mettre en danger à chaque représentation. Le moment des votes est en effet un pic de stress constant, entre espoir et appréhension. Mais c’est aussi pour eux un magnifique challenge qui leur permet d’aborder de nouveaux répertoires, parfois même à contre-emploi. “Et surtout”, ajoute Thierry de Marcley, “nous sommes des pionniers. Personne ne sera capable de fournir le même travail en très peu de temps, humainement ce n’est pas possible”.
Ces trois soirées s’annoncent donc pleines de surprises, comme l’a souhaité Antoine Bernheim : “Quand je vais voir un spectacle, j’adore être pris à contre-pied”. Surtout, comme chaque public est différent, aucun soir ne sera semblable à un autre. Préparez-vous donc avec “L’Opéra, c’est moi” à une expérience étonnante et unique, du 24 au 26 avril à la salle Jean-Jacques Gautier à Chêne-Bougeries.