Le Musée Ariana abrite, du 20 Novembre 2015 au 20 Mars 2016, une exposition dédiée au travail céramique de l’artiste allemand de renommée internationale Jürgen Partenheimer. Invité à créer une série limitée pour la Manufacture de porcelaine de Nynphenburg, l’artiste se plonge dans la technologie du matériel et crée des vases dont l’abstraction et le minimalisme résonne avec son œuvre.
«La poésie est un contenant». Je suis frappée par cette phrase prégnante, lue dans le livre La poésie sauve la vie de la poète italienne Donatella Bisutti. Elle ne m’aurait toutefois pas frappée ainsi si je ne venais pas juste de voir l’expo de Jürgen Partenheimer au Musée Ariana à Genève, intitulée «Calliope» et exposant des «Contenants».
Peintre, dessinateur et sculpteur allemand abstrait et post-minimaliste actif dès les années 1980, Jürgen Partenheimer est invité en 2011 par la Porzellan Manufaktur Nymphenburg à créer une série de pièces uniques. Comme d’autres artistes dans le passé (on pense, entre autres, à Picasso, Fontana, Mirò), loin de considérer la céramique comme un art mineur, l’artiste décide de se lancer dans l’aventure du modelage avec liberté et motivation. Ce qui est au départ un défi devient pour lui une occasion unique de ne pas se limiter à appliquer ses décors à des modèles industriels pré-faits, mais de se confronter directement à la porcelaine, matière esthétique et très exigeante dans sa technique.
Le résultat est une série originale de 21 vases déclinés en trois formes différentes, qui pour la première fois est montrée à l’Ariana en version complète.
Les vases, dans leur beauté simple et à la fois solennelle, attendent le visiteur sur des socles d’exposition noirs qui exaltent les couleurs claires et pastel de leur formes délicates. Le positionnement détaché, à l’apparence accidentelle, se révèle un choix de rigueur et de clarté visuelle qui souligne le dessin minimal et pur des contenants. On a l’impression que chaque vase, dans ses contours quasi anthropomorphes, est présent par lui-même, de façon silencieuse et nette. Le regard s’apaise et on devient comme réceptacles d’un écho de dimension purement musicale. «Silence horizontal, exposition verticale» égrène opportunément une des phrases poétiques écrites sur les murs et qui accompagnent l’exposition.
Tout est prétexte à expérimenter des effets: les surfaces des vases déclinent élégamment différentes formes de modelage. Elles sont à la fois brutes et polies, émaillées et opaques, décorées, blanches et colorées. La réception de la lumière devient un jeu à facettes multiples, depuis les reflets brillants sur un bord lisse, en passant par les subtils et sobres changements sur un ventre rond, aux ombres vibrantes des marques du tournage sur un cou allongé. Eloge de l’imperfection, la décoration peinte est abstraite et souligne, dans ses traits incertains et indéfinis, la valeur du hasard et la temporalité du geste.
Plongés dans le concret de la matière, il est bien légitime alors de s’interroger sur le titre choisi pour cette série. Pourquoi «Calliope»? Pourquoi une référence aussi directe à la muse par excellence, celle de la poésie épique? C’est ici que la phrase sur la poésie comme contenant, évoquée au début, s’avère éclairante.
Si on regarde de plus près, le travail de Partenheimer se révèle à la fois matériel et conceptuel. Il s’intéresse au processus du tournage, aux implications temporelles du travail manuel et à l’alchimie de la transformation directe de la matière; et pourtant cette transformation s’inscrit pour l’artiste dans le domaine du conceptuel, là où le geste artistique, comme le passage de la matière au feu du four, en changeant et remodelant les formes, parle du travail créatif en lui-même et de son rapport avec l’inconnu et l’insondable.
Comme les mots évocateurs d’une poésie se font conteneurs vides que chacun peut remplir selon sa propre sensibilité et imaginaire, ainsi les vases sont des objets creux qui renvoient à une multiplicité d’usages et de signifiances: censées être occupés, ils parlent de l’eau de la vie, comme du vide intérieur et des cendres mortuaires. Véhicules d’émotions, les vases « Calliopes» connectent la terre au ciel, la matière à la forme dans un mouvement vertical qui, à travers les cous grand ouverts de certains d’entre eux, semble évoquer le chant religieux et un souffle épique.
La céramique, matière millénaire qui n’a jamais perdu son charme, se confirme ici une fois de plus ancrée dans l’art contemporain. Comme on a pu le voir à travers les nouvelles tendances exhibées au Salon Céramique 14 de Paris en octobre dernier, les ré-peintures des « vases colorés » de l’artiste chinois Ai Weiwei, ou encore l’exposition Ceramix en cours à Maastricht, dans le monde les artistes continuent de trouver en ce matériau un moyen d’expression stimulant aux effets toujours surprenants.
On sort de cette exposition avec l’impression d’avoir fait un voyage régénérant à rebours vers les territoires mythiques de la maitrise artisanale grecque et orientale, et en même temps d’avoir été le témoin privilégié d’une discussion pleine d’espoir entre le monde complexe de la céramique et les formes contemporaines de l’expression artistique.
Texte : Anna Maria Di Brina