Finding Words, Fighting Words
Galerie Fabienne Levy, Genève
Du 11 septembre au 15 novembre 2025
Retour à Genève pour une nouvelle visite : cette fois, j’ai poussé la porte de la galerie Fabienne Levy.
La galerie est présente dans trois villes, Lausanne, Genève et Zurich, et ses deux espaces en Suisse romande présentent des expositions communes.
Actuellement, c’est Anjesa Dellova, artiste suisse née en 1994 au Kosovo, qui est mise à l’honneur avec son exposition Finding Words, Fighting Words, visible jusqu’au 15 novembre.
J’avais déjà repéré quelques images de l’exposition sur les réseaux, mais c’est en découvrant la première toile que j’ai su que j’allais vouloir en parler ici. Je crois que ce qui m’a réellement frappée dans cette œuvre c’est l’étrange sensation qu’elle provoque. La scène représente une mère et ses deux enfants, dont un nouveau-né. Les deux figures principales nous fixent du regard, mais je suis incapable de dire si j’y perçois de la tristesse, ou si elles expriment une forme de dureté et de résilience. Elles regardent droit devant elles, sans que je sache si elles s’adressent aux spectateur·rices ou si elles voient au-delà. Le bébé quant à lui est presque effacé, il semble dormir, apaisé. Et là, les questions surgissent : qu’ont-ils vécu ? qu’ont-ils vu ? Je me demande ce qu’ils disent ou, plus exactement, j’essaie de comprendre ce qu’ils éveillent en moi, sans jamais parvenir à mettre des mots sur ce sentiment étrange.
Anjesa Dellova, Famille. 2025, huile sur toile
Cette œuvre, c’est Famille. Avec sa palette monochrome de gris violets, aux tonalités sourdes et feutrées, presque froides, elle dégage une atmosphère à la fois intime et silencieuse. La pratique picturale d’Anjesa Dellova se distingue par une technique qu’elle nomme frottage : une application à sec de peinture à l’huile sur une toile préalablement enduite d’un apprêt texturé. La solennité des visages figés et des corps hiératiques confère à l’œuvre une certaine gravité. Les grands yeux arrondis, récurrents dans ses peintures, adoucissent la scène et lui donnent une apparence faussement naïve. C’est A Family from the Mountains of Kolonja, du photographe albanais Dhimitër Vangjeli (1872-1957), actif dans la première moitié du 20ᵉ siècle, qui a inspiré l’artiste. À travers ses images, il témoignait de la vie rurale et des traditions des montagnes du sud de l’Albanie : cérémonies, portraits de famille et scènes ordinaires du quotidien.
Une seconde œuvre m’interpelle, d’abord par sa tridimensionnalité. On peut certes en faire le tour, mais comme un tableau, son dos ne révèle que la structure. L’artiste elle-même évoque une forme entre peinture et objet ; peut-être pourrait-on alors parler d’un tableau-sculpture.
Passé cette première interrogation, on retrouve dans Ange, Pli ou Chose les caractéristiques récurrentes du travail de l’artiste : les grands yeux et le traitement monochrome, qui cette fois se décline dans des tons rouges.
Anjesa Dellova, Ange, Pli ou Chose, huile sur toile, plâtre, bois, béton.
Série des Lamentations
Néanmoins, dans cette œuvre, les figures disparaissent. Ne demeurent que des yeux multiples et des mains, ouvrant une nouvelle interrogation : quelle en est l’inspiration ?
Antoine Bony, le nouveau directeur de la galerie de Genève, lève le voile. Ange, Pli ou Chose fait partie de la série des Lamentations. Cette œuvre est inspirée d’une vidéo documentant un rite funéraire albanais, un moment consacré aux hommes pour exprimer leur chagrin. L’artiste a été intriguée par le contraste, dans une société traditionnellement machiste, qu’offre l’existence d’un espace où les hommes peuvent pleurer et se montrer vulnérables, alors que ces manifestations de douleur sont le plus souvent associées aux femmes. La courbure de l’œuvre évoque un geste de repli sur soi, une introspection silencieuse semblable à celle que l’on éprouve dans les instants de fragilité. Cette nouvelle série a été présentée par l’artiste aux Swiss Art Awards 2025, pendant Art Basel, l’un des rendez-vous majeurs de la scène artistique internationale.
Anjesa Dellova est diplômée de la HEAD à Genève et de l’ECAL à Lausanne. La qualité de ses œuvres est déjà reconnue car elle a été lauréate des bourses Alice Bailly et Leenaards. Je dois avouer que j’ai été particulièrement touchée par ses œuvres en les découvrant en vrai. Les photos ne laissaient pas deviner cette présence, cette intensité discrète qu’elles dégagent une fois face à elles. Je n’ai pas encore vu la seconde partie de l’exposition, présentée à Lausanne, visible quant à elle jusqu’au 8 novembre mais je compte bien la découvrir très bientôt.
Finding Words, Fighting Words
Galerie Fabienne Levy, Genève
Du 11 septembre au 15 novembre 2025
Du mardi au vendredi de 10h à 18h30
Samedi de 11h à 17h30

