PORTEOUS, chemin de la Verseuse 17bis à Vernier, le 4 septembre 2024

Ici et maintenant : une Genève engagée

C’est au Café de la Place à Genève qu’Emmanuelle Bayart me donne rendez-vous. Sélectionnée pour l’Enquête photographique genevoise menée en 2024 sur le thème des « résistances », elle est allée à la rencontre d’associations et de collectifs qui œuvrent à créer un monde possible. Sa série Ici et maintenant, clin d’œil subtil au hic et nunc de Walter Benjamin, rend hommage à la société civile qui propose des alternatives à notre société capitaliste. Rencontre avec une femme engagée.

Texte et propos recueillis par Géraldine Desarzens

Photographe documentaire habitant à Meyrin, Emmanuelle Bayart s’est d’abord formée à l’École des Beaux-Arts de Rouen. C’est par le biais du photographe du coin qu’elle apprend l’existence d’une école de photographie en Suisse, à Vevey. Elle quitte alors sa France natale pour se spécialiser en photographie au CEPV (Centre d’enseignement professionnel de Vevey), où elle obtient son diplôme en 2004. Puis c’est à l’École supérieure des Beaux-Arts, l’actuelle HEAD, qu’elle peaufine sa pratique artistique. Elle se tourne rapidement vers la photographie documentaire, où elle aborde notamment la question du territoire et de son identité. « La photographie est d’essence hermétique, elle ne dit pas de quoi elle est faite. La photographie documentaire permet de toucher à quelque chose de sensible, c’est un moyen de valoriser les sujets », dit-elle en sirotant sa limonade. Bien que fragmentaires, ses clichés montrent une vérité, des espaces et des personnes qui existent. « Être photographe, c’est avoir un regard informé », affirme-t-elle, avant de poursuivre sur ses premières séries documentaires : « j’aime mettre les choses en tension ». Et ça se voit : ses séries Là où les eaux se joignent (2007) et Métropolitain de Moscou (2010) interrogent l’identité des espaces urbains : tandis que la première montre la survie de l’identité aztèque dans une des stations de métro du centre-ville de Mexico, la deuxième oppose le métro voué à la gloire de Lénine à la jeunesse moscovite. La mise en tension permet une réflexion sur l’histoire d’un territoire et son alignement avec la société contemporaine.

Ses œuvres documentaires ont toutes l’air d’avoir un fond politique, qu’il soit question de dénoncer ou de valoriser. La photographie documentaire est-elle alors engagée par définition ? Emmanuelle Bayart répond à ma question avec sa série Ici et maintenant (2024), réalisée pour l’Enquête photographique genevoise. Porté par la Bibliothèque de Genève, le projet des Enquêtes photographiques contribue à créer une archive visuelle des territoires du canton de Genève, destinée au Centre d’iconographie de Genève. Depuis 2022, le thème des enquêtes est les « résistances ». Emmanuelle Bayart a choisi de l’interpréter en s’intéressant aux associations et collectifs, comme le Collectif Afro-Swiss, les Jardins de Cocagne ou encore Le Courrier. « C’est un moyen de les inscrire dans les archives, de leur donner droit de représentation », me dit-elle avec conviction.

Faire exister les entités plus petites, qui permettent d’offrir des alternatives, pour faire connaître une autre Genève : voilà le propos de la photographe. Mais pourquoi les associations et les collectifs reflètent-ils particulièrement  les résistances ? « Car l’engagement et la solidarité sont le contrepoint de la société capitaliste individualiste. Dans l’univers du chacun pour soi, le collectif n’existe plus. L’extérieur à soi ne compte plus, nos causes et nos valeurs se diluent ». De plus, bien qu’elles ne soient que partiellement défendues par les politiques, « les associations participent significativement à l’économie ». Ainsi, la photographe veut inscrire les efforts de ces personnes dans l’histoire. Voilà comment le thème des résistances est interprété par Emmanuelle Bayart : c’est en montrant l’engagement de la société civile qu’on ne cède pas au pessimisme. « La résistance c’est l’engagement. Cela se voit ici en Suisse, où on fait des initiatives pour contester les décisions politiques ».

Enquête photographique genevoise 2024

Collectif Afro-Swiss (CAS), plaine de Plainpalais à Genève. Emmanuelle Bayart, Enquête photographique genevoise
© Bibliothèque de Genève

Photo de haut de page: PORTEOUS, Emmanuelle Bayart, Enquête photographique genevoise
© Bibliothèque de Genève

Elle-même investie, la photographe a rédigé les textes qui accompagnent ses clichés. « Comme la photographie est fragmentaire, il faut avoir une information externe », m’explique-t-elle. C’est aussi un moyen de faire l’histoire : il faut un texte pour pouvoir situer une image, contextualiser ce qu’elle montre. Ses descriptions permettent alors aux spectateur∙ice∙s de situer les sujets et de connaître leurs activités. Les portraits des membres des associations et collectifs pris par Emmanuelle Bayart sont des testaments de la résistance civile et une valorisation d’un travail trop souvent invisible. 

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L’enquête photographique d’Emmanuelle Bayart en ligne : www.bge-geneve.ch/iconographie/galerie/ici-et-maintenant-par-emmanuelle-bayart

Les enquêtes photographiques genevoises sur les « Résistances » seront exposées au Centre de la photographie de Genève en 2027. Pour plus d’informations : www.centrephotogeneve.ch/expo/enquetes-photographiques-genevoises

Pour plus d’informations sur le travail d’Emmanuelle Bayart : www.mbayart.com

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