Altered States : Anne Marie Laureys & Costanza Gastaldi
Taste Contemporary, Genève
Du 13 novembre 2025 au 14 janvier 2026
Nuit des Bains oblige, je me suis rendue à Genève jeudi dernier. Je savais déjà que je souhaitais découvrir la nouvelle exposition Altered States présentée par la galerie Taste Contemporary. Pourquoi cette exposition plutôt qu’une autre ? Pour les deux artistes proposées, Costanza Gastaldi et Anne Marie Laureys, cette dernière travaillant la céramique, un médium pour lequel vous savez déjà que j’ai un faible, mais également pour la galerie elle-même. Ou, plus exactement, pour le regard de sa fondatrice, Monique Deul.
Car une galerie, finalement, c’est avant tout un œil, une sensibilité, une manière de faire dialoguer les œuvres, de les laisser respirer ou, au contraire, de les confronter, de révéler ce qu’elles portent en elles. Certaines personnes savent créer ces rencontres qui transforment une simple exposition d’œuvres en véritable expérience. Monique Deul fait partie de ces galeristes capables de mettre en lumière des œuvres sans jamais les écraser, de créer un espace où elles se répondent naturellement.
Je n’ai jamais été déçue par les expositions qu’elle propose, tant il y a dans ses choix une cohérence, une justesse curatoriale et cette nouvelle exposition ne fait que confirmer mon impression.
Quand je suis entrée, j’ai été attirée par les sculptures d’Anne Marie Laureys, artiste belge née en 1962. Dans ses œuvres, la terre se transforme en une matière veloutée, moirée, qui capte la lumière de façon étonnante. J’ai tellement été surprise par la transition des couleurs et de ces ombres qui glissaient sur les plis que j’ai regardé vers les spots pour vérifier si l’effet était dû à l’éclairage. Mais ce n’était pas le cas. Cette impression de surface lumineuse qui vibrait venait des œuvres elles-mêmes. Les formes paraissent nées d’un souffle ; elles sont fluides, instables, et en perpétuelles métamorphoses. Anne Marie Laureys commence par réaliser des pots sur un tour et tant que l’argile est encore souple, elle la travaille, la replie, la creuse et l’étire. La forme d’origine, traditionnellement fonctionnelle, s’efface pour laisser émerger un volume nouveau qui devient sculpture dans laquelle la mémoire du geste demeure visible.
La couleur ne sert pas à recouvrir la pièce : elle en prolonge les reliefs, elle révèle la sculpture. Elle utilise l’aérographe pour appliquer de fines couches de couleur créant ainsi des dégradés qui donnent des transitions presque atmosphériques. Ses sculptures m’ont donné l’impression d’œuvres issues des profondeurs, comme des vestiges qui auraient longtemps appartenu à un monde immergé.
Vue de l’exposition
Costanza Gastaldi, Bess et Escaramouche, héliogravure, 2025
Anne Marie Laureys, A piece of Sky on earth opus#1, céramique, 2025
Cette impression a certainement été amplifiée par les œuvres inspirées du monde aquatique de Costanza Gastaldi. Ses méduses ne sont pas de simples motifs mais des corps flottants, suspendus dans le temps, oscillant entre présence et disparition, comme si elles hésitaient encore à rejoindre le visible.
Chez elle, l’argentique et l’héliogravure ne sont pas seulement des techniques : ce sont des manières pour l’image de naître depuis la matière. Dans ses tirages argentiques, la lumière remonte à la surface du papier, à l’instar d’une forme enfouie qui chercherait à apparaître.
L’héliogravure au grain qu’elle utilise également est un procédé ancien du 19ᵉ siècle. À partir d’une plaque de cuivre gravée, préparée avec une gélatine photosensible, l’image acquiert une densité et une profondeur de tons captivantes. Cette plaque qui retient la lumière avant de la restituer devient le véritable lieu d’origine de l’œuvre.
Costanza Gastaldi, Nature Fractale II, Héliogravure et peinture, 2023
Dans les tirages de Gastaldi, l’image n’est jamais fixe : elle apparaît comme un souvenir qui affleure, un organisme qui possède une vibration intérieure. La réalité de ses sujets s’efface pour céder la place à une vision plus floue. Les contours de ses méduses deviennent presque abstraits, comme si la photographie captait non pas ce qu’elles sont, mais ce qu’elles laissent derrière elles : une trace, une énergie, un mouvement suspendu.
Face à ces organismes marins qui semblent parfois émerger du papier ou parfois s’y fondre, et aux céramiques ondoyantes d’Anne Marie Laureys, j’ai eu l’impression d’être la spectatrice d’une danse silencieuse. Et je ne peux que vous conseiller de découvrir cette exposition qui fascine autant qu’elle apaise.
Emilie Thomas
Anne Marie Laureys, née en 1962 en Belgique, a étudié à la LUCA School of Arts de Gand. Ses œuvres font partie de grandes collections muséales telles que le Metropolitan Museum of Art de New York (Collection Robert A. Ellison), le Westerwald Museum en Allemagne, le Taipei County Yingge Ceramics Museum à Taïwan, et le Musée Ariana à Genève, en Suisse.
Costanza Gastaldi est née en Italie en 1993. Diplômée de l’école GOBELINS et de l’Université de la Sorbonne, elle vit et travaille à Paris. Ses œuvres ont été exposées à travers l’Europe et l’Asie. Elle a participé à de grandes foires d’art internationales, telles que PhotoFairs Shanghai, Fine Art Asia, Ink Asia, Haute Photographie Rotterdam et Art Paris.
Altered States : Anne Marie Laureys & Costanza Gastaldi
Taste Contemporary, Genève
Du 13 novembre 2025 au 14 janvier 2026
Du mercredi au vendredi de 11h à 18h30
Samedi de 12h à 17h
www.tastecontemporary.com

