À l’Université de Lausanne, huit reproductions de pièces issues du Musée Jenisch Vevey se racontent à travers des récits et une scénographie conçus par des élèves du Gymnase de Burier. L’exposition De mains en mains. Récits de parcours d’œuvres fait dialoguer musée, université et gymnase autour d’une autre manière de transmettre l’histoire de l’art.
Texte et propos recueillis par Océane Martin
Comment raconter la vie d’une œuvre d’art ? Son parcours, ses changements de propriétaires, les lieux qu’elle traverse ? C’est à ces questions que répond l’exposition De mains en mains. Récits de parcours d’œuvres, présentée à l’Université de Lausanne, fruit d’une collaboration entre le Musée Jenisch Vevey, Les Accroches de l’UNIL, et deux classes du Gymnase de Burier. Modeste par sa taille, l’exposition séduit par la richesse du travail collectif qui l’a fait naître et par la finesse de sa mise en scène.
Cet événement prolonge l’exposition D’où je viens, présentée au Musée Jenisch Vevey de novembre 2024 à février 2025. En effet, depuis 2020, le Musée Jenisch a engagé un vaste projet de recherche de provenance sur ses collections publiques. Une telle enquête suppose un travail d’archives minutieux et parfois incertain. « Le Musée Jenisch conserve des collections composées à 95 % d’œuvres sur papier, des objets souvent discrets et peu documentés », explique Pamella Guerdat, conservatrice adjointe et responsable de la recherche de provenance du musée. « Baliser leur parcours s’avère donc un exercice complexe ». Cette démarche est cependant incontournable pour les musées suisses aujourd’hui : connaître l’origine des œuvres, retracer leur historique et garantir qu’aucune d’entre elles ne soit liée à une spoliation ou à une acquisition douteuse relève d’une mission centrale.
Mais De mains en mains ne se contente pas d’exposer cette enquête institutionnelle : elle la met en récit, en donnant littéralement la parole aux œuvres. Huit reproductions de pièces de la collection, racontent leur voyage à la première personne : de l’atelier qui les a vues naître aux réserves du musée, en passant par des salons privés, des maisons de vente ou un office de douane. Dans un parcours scénographique coloré conçu par des gymnasien·ne·s, le public est invité à suivre ces trajectoires, à écouter les détours et les hasards qui composent la biographie des œuvres d’art.
Photos: © Aurélie Tuluka, Les Accroches, SCMS
Une collaboration interinstitutionnelle
Présentée dans le bâtiment Anthropole de l’UNIL, l’exposition est le fruit d’un projet conduit à plusieurs mains. Pour le service culturel Les Accroches, l’objectif principal était de faire vivre cette démarche de manière participative : « L’intérêt de ce projet réside dans la collaboration avec les étudiantes et étudiants qui ont pu expérimenter concrètement le processus de création d’une exposition et y apporter librement leur contribution », explique Sidonie Pradervand, chargée d’expositions pour Les Accroches.
Deux classes du Gymnase de Burier ont travaillé sur le projet pendant une année, accompagnées par une collaboratrice de L’Éprouvette, Claire Voron, médiatrice culturelle et scientifique, et par l’équipe des Accroches. Plusieurs ateliers dispensés dans les deux classes ont permis d’aborder la question de la recherche de provenance, une discipline technique, qui tente de révéler la complexité du parcours des œuvres ainsi que les enjeux liés aux zones d’ombre de leur histoire.
À partir de ces découvertes, les jeunes étudiant·e·s ont imaginé des récits en écho au dispositif mis en place dans l’exposition D’où je viens. La scénographie a, quant à elle, été élaborée avec la volonté de prolonger l’idée d’un savoir en mouvement. Les espaces de l’exposition sont délimités par des couleurs différentes : une harmonie visuelle qui évoque aussi les différents lieux de transit des œuvres. Encadré·e·s par une graphiste professionnelle, les élèves ont créé une installation immersive, ludique et colorée où le public chemine comme dans un récit fragmenté.
Photos: © Aurélie Tuluka, Les Accroches, SCMS
Entre art, pédagogie et transmission
Au-delà de sa forme esthétique, De mains en mains est un véritable projet de médiation culturelle. En associant des élèves à une enquête muséale, il transforme la transmission du savoir en une expérience partagée, où chacun·e devient à la fois acteur·ice et interprète de l’histoire de l’art : « Le musée joue un rôle sociétal important : il est garant de la transmission du patrimoine aux générations futures », rappelle Pamella Guerdat. « Associer des gymnasiennes et gymnasiens avec un cadre universitaire et muséal permet d’ouvrir la discussion sur les collections et notre responsabilité collective face aux enjeux mémoriels ». Ce croisement entre institutions donne forme à une démarche commune qui dépasse les frontières habituelles entre savoir académique et expérience sensible. Le projet fait entrer dans la recherche celles et ceux qui, habituellement, la découvrent de l’extérieur : les gymnasien·ne·s deviennent médiateur∙ice∙s, les œuvres prennent vie, et le musée devient lieu d’échanges.
L’exposition met ainsi en lumière une autre manière de faire de l’histoire de l’art : partagée, expérimentale et sensible. Elle montre qu’apprendre à regarder, c’est aussi apprendre à questionner la mémoire des objets, leur circulation et la responsabilité de celles et ceux qui les conservent. De mains en mains illustre ce que la médiation culturelle peut produire lorsqu’elle relie les mondes de la recherche, de l’enseignement et du musée. En donnant voix aux œuvres, mais aussi à celles et ceux qui apprennent à les raconter, l’exposition rappelle que l’histoire de l’art ne se conserve pas seulement dans les musées : elle se transmet, se rejoue et se partage, de mains en mains.
De mains en mains. Récits de parcours d’œuvres
Accroche Anthropole, UNIL
Dès le 6 octobre 2025
Entrée libre
www.eprouvette-unil.ch/evenement/
Visite guidée : 13 novembre 2025, 17h–18h30. Inscription sur eprouvette-unil.ch

