Grâce aux doigts de fée de Florence Darbre, restauratrice de la Fondation Martin Bodmer, un Livre pour sortir au jour (aussi appelé Livre des morts) datant de la 21e dynastie d’Egypte a fait hier son grand retour à l’institution de Cologny, après plus d’un an de travail.
Texte de Katia Meylan
Propos recueillis lors de la présentation à la presse du 19 mai 2022, Fondation Martin Bodmer
Photos de Naomi Wenger
Acquis par Martin Bodmer en 1937, cent ans après sa découverte en Egypte puis son achat par un baron anglais collectionneur, le Papyrus Bodmer 101 est l’un des huit Livres des morts de la collection de la Fondation. Ces véritables “modes d’emploi de l’au-delà” faisaient partie du matériel funéraire déposé dans les pyramides avec les momies des rois et des membres du clergé. Leurs textes listaient les étapes – environ 200! – à suivre pour réussir son chemin après la mort.
Jacques Berchtold, directeur de la Fondation Martin Bodmer, et Nicolas Ducimetière, vice-directeur, ont les yeux qui brillent aux côtés de ce document qu’ils viennent de retrouver dans de toutes nouvelles conditions, et nous donnent volontiers des éléments d’Histoire ou d’analyse qui nous le font voir bien plus que comme une relique exotique.
Ils nous apprennent ainsi qu’il était rare qu’un papyrus contienne l’entièreté des 200 étapes; le plus long connu de nos jours fait une dizaine de mètres, mais souvent, un document était fait d’une sélection résumée, selon la personne pour qui il avait été écrit. Le Papyrus 101, mesurant 117 x 23 cm et composé de six feuilles collées les unes aux autres, est un incipit, un fragment de la 17e étape. Le défunt (à droite), un prêtre d’Amon, est représenté jeune, en habits de fête, afin de voyager sous son meilleur jour. Il fait une offrande au dieu Osiris, dont le visage noir, loin d’être un symbole funèbre, est plutôt celui du renouveau, rappelant la couleur du limon qui remonte pendant les crues du Nil. Nicolas Ducimetière pointe un hiéroglyphe ayant la forme d’un œil comme étant le début du texte – pour commencer la lecture, il faut rencontrer les regards – ainsi que le sens de lecture, de gauche à droite pour une partie, de droite à gauche pour l’autre.
Photo: Pierre Albouy
Florence Darbre évoque quant à elle l’émotion qui survient devant un tel objet, et la nécessité, dès le travail commencé, de la mettre de côté pour n’observer plus que l’aspect technique. Membre de la fondation, cette restauratrice retraitée depuis 2020 avait accepté de reprendre du service pour travailler sur cette pièce d’exception, dans son atelier à Nyon. Pensant d’abord en avoir pour trois mois, elle est aujourd’hui fière, près d’un an et demi plus tard, d’avoir passé par les étapes du nettoyage, de l’observation, de l’analyse et des tests, d’avoir déjoué les pièges des vernis, colles et autres matériaux de restauration que le papyrus avait reçu au cours de restaurations des siècles passés, pour finalement avoir rendu au Papyrus 101 un bel aspect.
Si la Fondation Bodmer a un budget alloué à l’acquisition, de telles entreprises de restauration demandent quant à elles de trouver des financements externes. C’est là qu’entre en jeu Optima Climatisation; étant partenaire de l’institution depuis de nombreuses années, l’entreprise décide en 2014 de contribuer à la restauration d’objets d’Egypte Antique. Grâce à ce mécénat, une statue en bois d’un marcheur debout datant de 2500 av. J.-C. avait déjà été restaurée en 2015, avant le papyrus 101. Le suivant sera peut-être le papyrus 102, que l’on découvre encore très abimé dans l’exposition permanente du musée. Passera-t-il lui-aussi entre les mains de Florence Darbre? Forte de cette belle expérience, celle-ci répond l’envisager.
Ce type d’initiatives de restauration, ainsi que de numérisation, permettent notamment d’insérer des objets dans des corpus plus larges, de permettre aux chercheur∙euse∙s du monde entier d’avoir accès à des documents, ainsi que de donner accès au grand public à des trésors vieux de 3000 ans.
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Dans le cadre des Journées européennes de l’archéologie, il sera possible d’admirer ce témoin plusieurs fois millénaire, et de réveiller l’émotion, l’imagination, le vertige que suscite la pensée du voyage qu’a fait ce papyrus, à tous les siècles qui séparent la société qui l’a créé de la nôtre.
Présentation au public du Papyrus 101
Les 18 et 19 juin, 14h30 et 16h30
Sur inscription
Pour en savoir plus:
fondationbodmer.ch/la-restauration-dun-papyrus