Emmener sa mère dans une Rave
Fidèle à lui-même, le programme de la 30e édition du Geneva International Film Festival (GIFF) est foisonnant. Films, séries, compétitions, événements, rencontres ou encore expériences immersives composent son univers. Pionnier dans l’intérêt qu’il porte aux nouvelles expériences cinématographiques, il nous conduit notamment à explorer sept Territoires Virtuels, abritant plusieurs œuvres de VR interactive. Parmi celles-ci, Rave, du réalisateur vaudois Patrick Muroni. L’Agenda l’a rencontré hier autour d’un café à Lausanne, à trois jours du début du festival.
Texte et propos recueillis par Katia Meylan
Son premier long-métrage documentaire, Ardente.x.s, sorti en 2022, suivait un collectif lausannois de films pornographiques engagés. En côtoyant l’intimité de ces personnalités fortes et inspirantes, son point de vue nous laissait la douce impression d’avoir rendu certains liens tangibles pour un instant. Les liens, au sein d’un groupe amical ou familial, sont des thématiques récurrentes dans le travail du jeune trentenaire formé à l’ECAL, qui nous confie s’intéresser surtout à la période charnière entre la fin de la jeunesse et le début de la vie d’adulte. « Pour mon premier court-métrage, je m’était posé la question du souvenir que je voulais garder de mon adolescence. C’était une fête, le moment où le soleil se lève et que je continue à danser avec des ami·e·s », se rappelle-t-il. C’est là l’atmosphère des 7 minutes d’Un matin d’été, tourné en 16mm, autoproduit et projeté en 2019 au Festival de Locarno. « Dans la salle, en entendant la musique de mon film, je me suis demandé comment rendre ça encore plus immersif… C’est là qu’est née l’idée de Rave. »
Rave, docu-fiction de 20 minutes en réalité virtuelle, met la spectatrice et le spectateur à contribution, casque sur la tête VR sur les yeux et manettes aux mains. Racontant la soirée d’une jeune fille de 17 ans invitée par sa sœur et des ami·e·s à sa première rave, l’œuvre propose de l’accompagner dans l’expérience, des préparatifs à la maison jusqu’à la fête elle-même.
Passer de la réalisation de film à la réalisation d’œuvres VR – un rêve de gosse qui a beaucoup joué aux jeux-vidéos, sourit Patrick Muroni – a été un vrai défi. « Le tout est d’être bien entouré. Avec Stéphane Goël, le producteur qui me suit depuis le début, on s’est lancés avec l’envie d’expérimenter. Mélanie Courtinat, une artiste numérique et amie avec qui j’ai fait l’ECAL, et Arnaud Gomis, le développeur en chef, ont apporté leur savoir-faire artistiques et techniques. C’est grâce à ce trio que tout a été possible ». Photogrammétrie, capture volumétrique, Point Cloud, avatars 3D appliquées sur des prises de vues réelles, vision à 360° : une complexité technique mise au service de l’accessibilité de l’œuvre. « Le gros avantage avec ce format, c’est que tout est possible, encore plus qu’au cinéma. Par exemple, j’ai choisi de représenter les souvenirs comme fragmentés, estompés dans un nuage de particules. Une fois que l’idée avait été posée sur le papier, pas besoin d’amener 60 figurant·e·s sur un plateau de tournage ! Le développeur a pu tout créer. C’est un choix, non pas plus simple, mais plus adéquat à ce que je voulais exprimer. »
Patrick Muroni. Photo: Augustin Losserand
Le travail du son a également été un élément indispensable à l’identité de l’œuvre. Non seulement par sa création musicale originale, dont la montée en puissance est pensée pour immerger pleinement et donner envie de danser, mais aussi par les voix des personnages, enregistrées dans deux versions différentes, en français et en anglais par des comédien·ne·s bilingues. Le but étant d’avoir une version très locale et une autre pensée pour une diffusion à l’international. La version anglophone veille toutefois à garder son ancrage romand. « On cite même la Coop à un moment donné, s’amuse le réalisateur. Pour moi, on ne doit pas effacer ce genre de petits éléments qui nous appartiennent et dans lesquels les gens d’ici peuvent se retrouver. »
« Mes souvenirs de rave sont plutôt campagnards, très ancrés entre la France et la Suisse. J’ai fréquenté les raves de mes 15 à mes 30 ans, et je voulais simplement partager ces souvenirs extrêmement forts et qu’on est des centaines, des milliers de jeunes à avoir vécus. J’emmène les spectateurs dans une exploration d’endroits qui sont à la fois populaires et un peu invisibles. Par exemple… j’aurais toujours voulu que ma mère découvre ce genre de soirées ! Grâce à la réalité virtuelle, elle pourra se rendre compte de ce que c’est, qu’il y a des choses extrêmement belles et d’autres plus dures qui peuvent s’y passer ». Accessible, Rave aborde aussi les violences policières, le rapport à la drogue ou au danger, car « parler au plus grand nombre ne veut pas dire édulcorer ce qui fait l’essence de ces moments », complète Patrick Muroni.
Ainsi, accompagné de sa mère, de sa grande sœur, d’un cousin ou d’un ami, on s’assoira sur un bout de trottoir de la scénographie de Rave, imaginée spécialement pour l’espace du GIFF, le temps de vivre l’expérience.
Rave
Dans le cadre de Virtual Territories II
Tous les jours du GIFF, du 1er au 10 novembre 2024
Divers horaires
Salle communale de Plainpalais, Genève
2024.giff.c
Petit questionnaire de Proust
Une rave est réussie si…
Si on y a pris du plaisir, si au petit matin on est avec ses ami∙e∙s encore un peu langoureux de la soirée qu’on vient de passer, qu’on rentre doucement tous sain et sauf pour aller dormir.
Y a-t-il une œuvre dans laquelle tu aimerais vivre ?
Ça serait spécial, mais dans une œuvre de Leos Carax, qui a une poésie dingue. Peut-être Holy Motors, qui est le film qui m’a amené au cinéma assez tard, quand j’avais 20 ans. Ça a été une découverte par accident, mais ça a changé beaucoup de choses. Il y a des voitures qui parlent, des personnages qui changent d’apparence… j’aimerais y vivre car c’est une île de cinéma, et je crois que je m’y sentirais bien.
Qu’est-ce que tu as prévu d’aller voir au GIFF ?
Évidemment les œuvres immersives qui sont aussi en compétition internationales, comme Oto’s Planet, et plusieurs œuvres qui sont allées à Venise que j’ai hâte de découvrir. Des films français, Planète B de Aude Léa Rapin ou Diamant Brut de Agathe Riedinger, ou la série Dune qui me donne très envie. Le GIFF arrive à avoir une programmation avant-gardiste très pointue tout en étant éclectique, j’aurai la curiosité d’aller voir beaucoup de chose !
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