La veille de la première représentation de son spectacle La Freak, journal d’une femme vaudou au festival Les Créatives, Sabine Pakora participe à la table ronde sur les libertés d’expressions. En tant que femme comédienne franco-ivoirienne soumise aux clichés et préjugés, elle a dû constamment se réinventer dans sa carrière. Elle a notamment vite compris que “le monde des arts n’est pas du tout un univers de création détaché des rapports sociaux, [mais que l’]on y reproduit les rapports de domination”. Sur cinquante projets, l’artiste en a reçu seulement deux sans exotisation: prostituées, femmes de ménages, femme vaudou, voici à quels rôles on la rattachait continuellement. C’est ce qui la pousse en partie à monter son propre spectacle, synthèse de toutes les expériences vécues ces 10 dernières années.
Texte de Jeanne Moeschler
Sur scène, deux sculptures, belles, imposantes, qui reprennent leur place et éblouissent le public. Des habits colorés sur des cintres, un miroir de loge artistique, une chaise et des micros. Sabine Pakora se meut dans l’espace et les rôles, racontant parfois des histoires qui lui sont arrivées, imitant parfois des personnes dont les commentaires éminemment racistes l’ont marquée. On voyage ainsi entre la Côte d’Ivoire, la France et la Suisse et les stéréotypes qui ont accompagné Sabine, de son enfance à l’âge adulte.
La force de cette pièce réside dans la sincérité des propos et la richesse des images utilisées. Par ses mots, la comédienne nous transporte d’une pièce « chatoyante » où la télévision « crépite comme un bon feu » à une église où c’est dans un costume de Mickey bien trop serré (il est du 42, elle en fait du 52) qu’elle doit apporter un gâteau à l’enfant roi du jour, sous les yeux effarés des invité·e·s.
À la télévision, Sabine n’a jamais vu de personne qui lui ressemble. On vit dans un monde où les fées sont blondes et minces, et pas noires et grosses. Elle grandit sans modèle dans un monde avec un filtre blanc. Être noir, c’est comme être « trois points de suspension sur une page blanche », trois petits points dérisoires dans un « un océan de blancheur immaculée », alors que toutes les couleurs devraient pouvoir y nager.
La comédienne change également de peau en se mettant dans celles d’hommes ou femmes blanches, du réalisateur au professeur d’université. Ces personnes-là, considérées comme la norme, sont rarement stéréotypées. C’est une vraie reprise de pouvoir de le faire, car leurs propos racistes, souvent banalisés, sont mis en lumière frontalement. Ça surprend, ça étonne et on se dit: mais non, ils·elles ont quand même pas dit ça? Et pourtant si. On ne sait si on doit rire ou être stupéfaite en entendant ces histoires, à la fois très drôles mais révélatrices d’un racisme profondément ancré dans la société. Au final, on fait les deux, un rire dépité nous échappe – comment un tel rapport de domination est-il encore possible aujourd’hui?
À la fin, les applaudissements sont bruyants et la comédienne annonce, émue, que c’est la première représentation de son spectacle hors de Paris. En souhaitant que celui-ci transmette son message drôle, émouvant et politique au plus grand nombre de personnes, nous quittons la salle, accompagnées par le goût de colorier une bonne fois pour toute cette vilaine page blanche.