Multiples et pourtant uniques

À la fois publicitaire et peintre, aussi adulé que controversé, Andy Warhol, obsédé par la mort et la finitude, a tout de même fini par entrer dans l’histoire en rendant éternel l’éphémère. Celui que l’on considère comme le Pope of the Pop semble effectivement être l’homme de tous les paradoxes. Ces différentes facettes qui font la singularité de l’artiste mais aussi de son œuvre sont justement ce que Pop Art Identities, produite et organisée par l’Association Métamorphose à l’Auditorium Stravinski de Montreux, vous propose d’explorer du 10 juin au 29 août 2021.

Texte: Kelly Lambiel

Bien qu’il n’en soit pas le créateur, Andy Warhol est aujourd’hui considéré comme une figure non seulement emblématique mais également indissociable du pop art. Né en Angleterre autour des années 50, ce mouvement a d’abord été utilisé outre-manche pour parodier ou critiquer l’Amérique et ses symboles, incarnant alors presque à elle seule les dérives de la société de consommation. Récupéré ensuite par des artistes américains comme Roy Lichtenstein ou Jasper Johns, il continuera à dénoncer le capitalisme mais poussera également plus avant les principes établis par son théoricien Richard Hamilton qui le souhaitait « destiné aux masses, éphémère, à court terme, consommable, facilement oubliable, produit en série, peu coûteux, jeune, spirituel et sexy ».  À l’image des ready-mades de Marcel Duchamp ayant bousculé le milieu quelques années plus tôt, le pop art cherche donc à désacraliser l’art des élites afin de devenir, de ce fait, plus accessible pour le grand public.

Plus intelligible d’abord – chez Warhol notamment – parce qu’il se sert, afin d’ancrer ses œuvres dans le réel, d’objets du quotidien: boites de conserve, bouteilles de soda, billets de banque. Alors que depuis les impressionnistes l’art a, en quelque sorte, opéré un important virage vers l’abstraction, voilà qu’il s’ancre à nouveau dans le concret, mettant en scène des sujets, des motifs ou des visages connus. Plus abordable ensuite grâce au procédé de la sérigraphie qui permet de multiplier les impressions à l’infini – ou presque – jusqu’à leur faire perdre le statut de pièce unique, d’œuvre d’art en somme, devenant elles-mêmes des biens de consommation. Ironie du sort, alors qu’il se voulait dissident, irrévérencieux, le pop art a fini par gagner le cœur des amateur∙trice∙s d’art et a vu sa cote grimper en flèche, de même que ses prix. De nombreux artistes et aristocrates ont alors passé commande afin d’être immortalisé∙e∙s par Warhol, obtenir une pièce signée de sa main ou entamer une collection. Ce sont donc ici plus de 160 œuvres dites « originales » issues de fonds privés qui nous sont données à voir.

Divisée en 7 sections, l’exposition retrace, d’une part, le parcours artistique du peintre, mettant en évidence ses choix esthétiques et idéologiques ainsi que son évolution technique. On observe par exemple une certaine froideur émanant de ses premiers portraits, reflets d’un monde hostile, standardisé. Elle revient également, d’autre part, sur la vie de l’homme, en faisant la lumière sur ses thèmes de prédilection ou ses obsessions. Les séries intitulées Flash et Ladies and gentleman, témoignent du statut accordé par Warhol à l’art qui lui sert à la fois de tribune pour critiquer la société mais aussi de tremplin pour mettre en avant certaines thématiques. La première revient sur l’acharnement de la presse lors de l’assassinat de Kennedy qu’il perçoit comme malsain et étouffant. La deuxième aborde le thème du genre en prenant pour sujet des Drag Queens newyorkaises qu’il fait poser comme des stars d’Hollywood.

Marilyn, 1967, screen printing on paper, 91x91cm Private Collection Stefano Pirrone Padua

Regroupant différentes séries très célèbres comme celle des fameuses boites de soupe Campbell ou des portraits de Mao Zedong, la scénographie permet d’ailleurs de rendre parfaitement compte du caractère à la fois singulier et pluriel de chacune. Chaque pièce est en réalité la reproduction pas tout à fait conforme d’une autre et est donc à ce titre « remplaçable » mais participe dans le même temps à la construction d’un tout parfaitement original et unique qui apporte un nouvel éclairage sur le sujet. On le perçoit très bien avec l’accrochage de la série des Marylin dont le caractère répétitif crée une sorte de vertige qui souligne la fragilité et la tristesse du regard de la célèbre icône. Conçue par Maurizio Vanni, Pop Art Identities nous éclaire donc sur les questionnements et les prises de position opérés par Warhol tout au long de sa carrière en tant qu’artiste et être humain et nous invite, dans le même temps, à nous questionner à notre tour sur nos propres identités.

Pop Art Identities
Du 10 juin au 29 août 2021
Auditorium Stravinski, Montreux
www.warholmontreux.ch

Image en haut de l’article:
Rolling Stones guitar, Emotional Tatoo cover, 1982.
Private collection Marco Rettani Switzerland

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